On donnera à celui qui a,
mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a !
(Matthieu 13:10-17 ; Matthieu 25:22-29 ; Marc 4:21-25)
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Culte du dimanche 12 février 2017
prédication du pasteur Marc Pernot
O
n trouve dans l’Evangile un curieux aphorisme prononcé et même répété
par Jésus : «
on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui
qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a !
». C’est choquant. On le retrouve à cinq reprises dans les évangiles,
dans trois contextes différents.
«
On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui
qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a !
» Cette action prêtée à Dieu par Jésus va dans le sens de cette réalité
qui fait que souvent les riches sont de plus en plus riches et les
pauvres de plus en plus pauvre. C’est ainsi depuis l’origine du monde,
c’était encore plus vrai du temps de Jésus que maintenant, car des
progrès ont été faits. Par exemple en France, il fait bien mieux être
pauvre aujourd’hui qu’il y a 100 ans, et même qu’il y a 50 ans. Je me
souviens avoir été chez des paysans savoyards qui habitaient dans la
même pièce que leurs bêtes, ils étaient, dès la cinquantaine, usés par
la dureté de leurs conditions de vie. Il y a donc eu quelques progrès,
et c’est cela que nous aimerions voir, c’est cela que notre foi, notre
cœur et notre intelligence nous poussent à rechercher activement.
Comment le programme de Jésus pourrait-il être d’enrichir encore les
plus riches et de prendre encore au pauvre le peu qu’il a ?
Mais bien entendu, ce ne peut être le sens de cette phrase dite et
répétée par Jésus. Nous savons bien que ses paroles ne peuvent être
prises « bêtement », au pied de la lettre. Car par ailleurs, toutes les
paroles et tous les actes de Jésus vont dans le sens de soulager les
pauvres, les malades, les affligés. Bien sûr. Mais cela fait partie de
son style et de sa pédagogie de nous choquer volontairement avec des
paroles surprenantes. Avec ces paroles difficiles Jésus cherche à nous
faire découvrir que nous avons des oreilles faites pour entendre par
nous-mêmes, des yeux pour voir, une cervelle pour réfléchir.
D’ailleurs, nous le voyons bien, cette parole choquante intervient
toujours en conclusion d’une parabole de Jésus, donc dans un contexte
où Jésus tente d’aider ses interlocuteurs à évoluer en les mettant face
aux limites de leur propre logique.
Quand nous sommes choqués par une de ses paroles provocantes, j’ai
l’impression que Jésus rigole et nous répond : il y en a au moins un
qui écoute ce que je dis. Mais n’est-ce pas dangereux de la part de
Jésus de dire des choses comme ça ? Je ne pense pas, car cette parole
de Jésus n’a pas de sens au premier degré. Elle contredirait alors la
vie de Jésus mais aussi d’autres paroles de l’Évangile, comme ce que
l’on lit dans le magnifique cri de Marie chantant la louange de Dieu
qui «
a rassasié de biens les affamés et a renvoyé les riches à vide.
» (Luc 1:46-53) Cette seconde affirmation semble moins
injuste que celle qui nous préoccupe aujourd’hui, mais elle n’en
demeure pas moins choquante également, car au sens littéral elle
rendrait impossible la vie sur terre, le semeur n’aurait plus de
charrue pour labourer, plus de semence à semer, plus de faucille pour
moissonner, le meunier n’aurait plus de meule, le boulanger n’aurait
plus de four et l’homme n’aurait plus d’argent pour acheter le pain qui
n’existerait plus... Manifestement, Jésus a de qui tenir puisque sa
maman nous offre ici également des paroles pour que nous nous posions
des questions.
Cette parole «
on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui
qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a
» est donc choquante, mais elle doit bien avoir un sens quand même,
bien sûr. Jésus a une cervelle et s’en sert, il a des yeux et des
oreilles et il s’en sert pour voir la misère des pauvres afin de la
soulager, il voit aussi la pauvreté des riches, afin de la soulager
également.
Toute la question est de réfléchir de quelles richesses Jésus
parle-t-il ici ? De quelles « richesses » sommes-nous riches ? Et
quelles « richesse » fait de nous un pauvre homme ?
Cette question s’adresse avant tout au lecteur, individuellement. Et
comme Jésus ne nous fait pas « la morale », il nous appartient d’éviter
de le faire, mais d’entrer tranquillement en nous-même et de se poser
la question avec lucidité et intelligence. De quoi suis-je riche ?
Cette richesse est-elle pour moi une bénédiction et fait-elle de moi
une bénédiction pour le monde qui m’entoure ? Ou au contraire cette
richesse et le rapport que j’entretiens avec cette richesse est-elle
source de mort pour moi ? Par exemple par la peur de la perdre ? Ou
parce que cette richesse trouble ma vision de la vie, de moi-même et
des autres ?
Dieu est déterminante pour faire face à cette question. Par son
éclairage, mais aussi par son amour, par cette dignité radicale qu’il
nous offre et nous permet d’avoir moins peur de voir clair, et son aide
pour nous faire grandir.
«
On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui
qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a
», cette curieuse phrase de Jésus se trouve donc dans la conclusion de
trois paraboles, nous pouvons regarder de quelles richesses il est
alors question pour qu’elle soit multipliée par Dieu, et quelle
pauvreté gagne ainsi à être également augmentée par Dieu. Car si Dieu a
ce projet, c’est nécessairement que ce sera bon pour nous, comment
pourrait-il en être autrement de la part de celui qui est et demeure
toujours bénédiction pour nous ?
Parabole des talents : richesse de la vocation
La première occurrence de cet aphorisme étrange est dans le contexte de
la « parabole des talents ». Un « talent » était une somme formidable,
quelque chose comme 20 ans de salaire d’un ouvrier ! Celui à qui l’on
offre ne serait-ce qu’un talent, comme au début de cette histoire, a
bénéficié d’une fortune. Cette parabole parle donc bien d’une richesse
incroyable que Dieu nous donne. Mais quelle est cette richesse ? C’est
en partie une question qui nous est posée pour que nous donnions notre
propre réponse. Mais néanmoins il existe une indication au début de
cette histoire qui oriente vers une certaine richesse : Jésus parle de
Dieu comme «
d’un homme qui appela ses serviteurs et leur remet ses biens. Il
donne cinq talents à l’un, deux à l’autre, et un au troisième, à
chacun selon sa capacité.
» (Matthieu 25:14-15). Qu’est-ce qu’un juste et bon maître
donne à chacun « selon sa capacité » ? C’est une responsabilité, c’est
quelque chose à faire pour améliorer le monde, peut-être une personne à
aider. Cette richesse dont parle Jésus dans cette parabole c’est donc
en premier lieu la richesse de la vocation personnelle que chacun
reçoit pour l’exercer, ou non, librement.
Pourquoi donc Dieu donnerait-il au riche de sorte qu’il soit dans
l’abondance ? Comment pourrait-il faire autrement, c’est comme cela en
famille, c’est comme cela dans l’église aussi : quand une personne ne
prend pas sa part dans le travail commun, comme il faut bien que le
travail soit fait, qui va s’en charger ? Ce sera bien sûr celui ou
celle qui a déjà fait plein de choses. Parce que lui aussi, comme Dieu,
ne pourra supporter par exemple qu’une personne ayant besoin d’aide
soit abandonnée.
C’est ainsi que celui qui n’avait rien se voit retirer le boulot qu’il
aurait pu faire et qu’il n’a pas fait. Il était pourtant riche de cette
potentialité, de cet appel, de cette liberté, de cette beauté qu’aurait
pu être la chose faite et bien faite. Et quand Dieu veut rendre ce
pauvre plus pauvre encore, ce n’est pas une punition mais afin qu’en
chacun de nous ce qui reste de craintif s’étiole et que quand-même, le
boulot soit fait au mieux possible.
Cette parabole de Jésus nous montre que cette richesse qu’est notre
vocation est assortie d’une grande liberté. Cette vocation n’est pas
comme une mission toute tracée. Elle est plus large, c’est celle de se
sentir concerné, celle de recevoir le reste de notre vie comme un livre
aux pages blanches sur lesquelles nous pouvons écrire ce qui nous
inspire. A nous de trouver. Il n’y a pas un unique sens à notre vie qui
nous serait donné, mais plein de belles choses à inventer et à faire,
plein de combats à mener qui tous mériteraient d’entrer dans le récit
de notre futur, et d’en composer le sens.
Cette parabole nous appelle aussi à nous montrer raisonnable dans notre
envie de bien faire : « à chacun selon sa capacité ». Nous
avons un talent, c’est déjà immense, peut-être que nous en aurons deux
demain, mais pour aujourd’hui, c’est d’un talent que nous sommes
capables. Telle autre personne a une capacité de deux volumes de
travail, ou de cinq, et même une capacité de dix... tant mieux, il n’y
a ni à en être jaloux ni à en être fier, chacun comme il le peut
aujourd’hui
Quelle richesse que cette vocation et cette liberté, quelle richesse
sont ces occasions que nous avons d’embellir la vie.
Mais comment faire ? Pour nous y aider, Dieu nous offre une autre
richesse.
Parabole du semeur : richesse de la Parole créatrice
Dans la seconde occurrence de ce curieux aphorisme de Jésus, la
richesse semée par le semeur est la Parole, explique-t-il(Matthieu 13:19). «Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ! » (13:10 )
Jésus le prononce plusieurs fois après qu’il ait dit : « prenez garde à ce que vous écoutez » (Marc 4 :24),
ou « prenez garde à la manière dont vous écoutez » (Luc 8 :18). Car s’il est possible de faire la sourde
oreille à cette Parole, il est également possible de l’entendre sans
rien changer à notre existence. La « Parole de Dieu » peut connaître
ainsi des échecs nous dit Jésus dans cette parabole du semeur. Et là
encore il ponctue cette parabole par son refrain «
on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui
qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a !
».
Mais qu’est-ce que cette « Parole de Dieu » semée par le
semeur ? Ce ne sont pas les mots de la Bible. Même l’extraordinaire
richesse des Évangiles n’est qu’une porte d’entrée possible vers cette
Parole qui, selon Jésus, se voit autant qu’elle s’entend, et doit
ensuite être comprise, assimilée à ce que nous sommes pour nous donner
la vie.
Jésus fait alors une différence entre la foule qui écoute et ses
disciples. Pourtant, tous écoutent les paroles de Jésus, mais seuls les
disciples voient ce qu’il y a à voir, entendent ce qu’il y a à
entendre, assimilent ce qui leur est adressé. Les expressions de «
parole de Dieu », de « mystère du royaume », ou «d’ évangile » ...
recouvrent une notion bien connue dans la Bible hébraïque, c’est tout
ce que Dieu nous propose pour nous aider. Par exemple dans l’histoire
d’Agar et de son fils, chassés cruellement par Abraham dans un désert
mortel. Agar et Ismaël sont à terre, quasiment morts de soif. La «
parole de Dieu » est ce qui les fait voir la source qui est à côté
d’eux, la « parole de Dieu » est aussi cette source qui est dans leur
désert pour les faire vivre. La « Parole de Dieu » est ainsi ce qui
nous ouvre les yeux et irrigue notre être, nous permettant de nous
mettre debout et de tracer notre chemin malgré toutes les sécheresses
et les méchancetés, malgré ce qui nous aveugle. La « Parole de Dieu »
emprunte mil canaux pour venir à nous, la Bible nous aide à les
repérer.
Quelle richesse que cette Parole, et même plus qu’une richesse, quelle
source de richesses pour aujourd’hui et pour demain, pour toujours.
Mais c’est vrai que là aussi, la richesse va au riche. Plus notre foi
est grande, plus nous savons capter cette source, entendre le murmure
de cette Parole, la voir, l’assimiler dans notre croissance et notre
capacité à porter des fruits. Et quand notre foi est rabougrie, elle a
plus de mal à saisir ce qui lui permettrait de ressusciter. Comment
faire alors ? Personne, jamais, n’est totalement dénué de foi, ne
serait-ce que l’espérance d’avoir la foi, ou la nostalgie d’un instant
de foi passé. Partir donc de cela, qui a une minuscule mais réelle
capacité de voir, d’entendre et d’assimiler la Parole de vie. En boire
une goute, en assimiler une graine minuscule, qui deviendra vite 30, 50
ou 100. Et laisser ce qui est pauvre en nous, laisser ce qui est triste
et désespéré s’effacer, se dissoudre devant cette vie vivante, vie
ressuscité et ressuscitante.
Parabole de la mesure de grain : richesse de la bienveillance
C’est là que la troisième richesse fondamentale mise en valeur par
Jésus selon les divers évangiles est elle aussi d’une valeur
exceptionnelle. C’est la richesse de la bienveillance.
«
On vous mesurera avec la mesure avec laquelle vous mesurez et on y
ajoutera pour vous. Car on donnera à celui qui a ; mais à
celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a.
» (Marc 4:24-25)
Au départ, il y a la Parole de Dieu, autrement dit quelque chose qui
s’adresse à nous, qui s’intéresse à nous, qui nous a mesuré et qui ne
nous a pas trouvé nul du tout. Bref, quelque chose ou qu’un qui nous
aime. « Prenez garde à ce que vous entendez », nous dit Jésus
en introduction de cette minuscule parabole. Au départ, nous est donnée
cette richesse source de toutes les richesses. Celle de la grâce. Celle
de pouvoir s’aimer enfin soi-même, au moins un peu. Celle de voir la
valeur de ce qui nous entoure. Celle de voir ce qui ne vaut rien dans
nos illusions. Celle d’assimiler tous les talents que nous avons reçus,
la liberté que Dieu nous donne, celle de connaître nos limites. Avec
Dieu de les accepter puis de les transcender dans le service.
Pour cela, il suffit de laisser Dieu nous donner la richesse d’un peu
de bienveillance. C’est une richesse qui pousse, qui bourgeonne, qui
explose de vie.
Amen
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Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2
Lecture de la Bible
Matthieu 25:22-29
Jésus raconte à la foule la parabole des talents, importantes sommes
d’argent données à différentes personnes, amenées à raconter plus tard
ce qu’elles en ont fait :
... Celui qui avait reçu les deux talents s’approcha aussi, et il dit:
Seigneur, tu m’as remis deux talents; voici, j’en ai gagné deux autres.
23 Son maître lui dit: C’est bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle
en peu de chose, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton
maître.
24 Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approcha ensuite et dit : Seigneur,
je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n’as pas semé, et
qui récoltes où tu n’as pas répandu ; 25 j’ai eu peur, et je
suis allé cacher ton talent dans la terre : voici : prends ce qui est à
toi.
26 Son maître lui répondit : Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je
moissonne où je n’ai pas semé, et que je récolte où je n’ai pas répandu ; 27 il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers, et à
mon retour j’aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt. 28 Otez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents. 29 Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui
qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a.
Matthieu 13:10-19
Jésus raconte à la foule la parabole d’un semeur et de ce que peuvent
devenir les grains dans différents terrains, plus ou moins féconds, et
il termine ainsi :
9 Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.
10 Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : Pourquoi leur
parles-tu en paraboles ? 11 Jésus leur répondit : Parce qu’il
vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux, et qu’à
eux cela n’a pas été donné. 12 Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui
qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. 13 C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient
pas, et qu’en entendant ils n’entendent ni ne comprennent. 14 Et
pour eux s’accomplit cette prophétie d’Ésaïe : Vous entendrez bien, et vous
ne comprendrez pas. Vous regarderez bien, et vous ne verrez pas. 15 Car le cœur de ce peuple est devenu insensible ; Ils se sont
bouché les oreilles, et ils ont fermé les yeux, De peur de voir de leurs
yeux, d’entendre de leurs oreilles, De comprendre de leurs cœurs, Et de se
convertir en sorte que je les guérisse.
16 Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce
qu’elles entendent. 17 En vérité je vous le dis, beaucoup de
prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous regardez, et ne l’ont
pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.18 Vous donc, écoutez ce que signifie la parabole du semeur : 19 Lorsqu’un homme écoute la parole du royaume et ne la comprend
pas, le mal vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur: cet homme est
celui qui a reçu la semence le long du chemin...
Marc 4:24-25
Enfin, Jésus propose une courte parabole pour illustrer noter façon de
mesurer, de peser, de jauger la valeur des autres :
24 Jésus leur dit encore : Prenez garde à ce que vous entendez. On vous
mesurera avec la mesure avec laquelle vous mesurez et on y ajoutera pour
vous. 25 Car on donnera à celui qui a ; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même
ce qu’il a.
(Cf. Traduction Colombe) |
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