Comment transmettre cette littérature si particulière
?
Traduire, c'est faire passer
un message d'une langue à une autre. La traduction est
le passage indispensable pour que des lecteurs rencontrent un
texte écrit dans une autre langue que la leur. Or les langues
ne sont pas superposables et les traductions ne peuvent pas prétendre
à la conformité avec le texte qu'elles traitent.
Elles en donnent des équivalences pour des contextes et
des temps donnés, et il reste toujours des éléments
plus ou moins intraduisibles quand on passe de la langue d'origine
à celle de la traduction. Ainsi passage et rencontre ne
se font pas sans difficultés. Traduire la Bible, c'est
affronter ces difficultés de façon spécifique.
La Bible en effet constitue une littérature particulière
et ce sont ces particularités qui rendent sa traduction
plus complexe que celle de n'importe quel autre ouvrage. Rappelons
les plus évidentes : la bibliothèque qui constitue
la Bible contient de nombreux livres et comporte deux volumes,
la bible hébraïque ou Ancien Testament et le Nouveau
Testament. Elle est écrite en deux langues principales,
l'hébreu et le grec - quelques textes en araméen
s'y ajoutent dans l'Ancien Testament. Sa rédaction s'étale
sur plusieurs siècles au cours desquels les langues d'écriture
ont évolué. Les contextes de sa production tels
que les enracinements culturels, les circonstances historiques,
les visées de ses auteurs sont extrêmement variés.
Les genres littéraires qui y apparaissent sont nombreux
et diversifiés : récits, discours, proverbes, textes
de lois, prières
rédigés en prose ou
sous forme poétique. Les traducteurs doivent être
attentifs à tous ces éléments qui les obligent
à sans cesse adapter leurs méthodes et remettre
en cause leurs résultats.
Diverse, la Bible est aussi une. Des communautés de croyants
ont rassemblé les livres qui constituent les textes de
référence pour leur foi. Ceux-ci mettent en scène
les grandes questions de l'humanité aux prises avec la
vie en commun sur terre et aux prises avec Dieu. Pour parler de
Dieu et des humains, ils utilisent souvent un langage imagé,
des symboles, des métaphores. Or rien n'est plus délicat
à traduire : chaque culture et chaque langue a sa manière
propre de créer et d'utiliser des images pour parler des
relations avec les autres, avec le monde, et avec le tout Autre
- qu'elles l'appellent Dieu ou lui donnent un autre nom.
Liés par la même quête, les textes bibliques
présentent entre eux des jeux de relations évidents
ou plus subtils : citations de l'Ancien Testament par le Nouveau
Testament, d'un livre par un autre, mais aussi symbolique commune,
reprises de thèmes, de personnages ou de récits,
allusions et clins d'il. Les traducteurs, nécessairement
respectueux de la particularité de chaque texte, doivent
veiller à harmoniser les formulations quand c'est nécessaire.
Par ailleurs la Bible a été et reste le livre
le plus traduit dans le monde. De longues traditions de lectures
et d'usages des textes peuvent marquer les traductions, des positions
dogmatiques et ecclésiales peuvent les influencer. D'où
la nécessité de ne pas se cantonner dans un travail
solitaire même accompagné de ses propres remises
en cause. Actuellement les traductions s'élaborent en équipe
et sont soumises à des relectures critiques. Les équipes
de traductions ont de plus en plus conscientes qu'elles ont en
main des textes qui n'appartiennent pas exclusivement à
leurs églises, mais sont un patrimoine de l'humanité.
La traduction de la Bible est un travail humble, soumis à
la critique, toujours inachevé.
Dans son incarnation humaine, elle est la condition pour que la
Bible vive et accède à l'universalité.
Christiane Dieterlé
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