En décembre 1931 le pasteur
John Vienot annonce qu'il envisage de prendre sa retraite. Agé
de 72 ans il rappelle qu'après la séparation des
Eglises et de l'Etat en - 1906 il a été informé
de sa nomination comme maître de conférence d'histoire
moderne à la Sorbonne lorsqu'il reçoit un appel
de l'Oratoire. Accepter d'entrer à la Sorbonne c'est renoncer
à ses fonctions pastorales. Il devient donc pasteur à
l'Oratoire tout en conservant sa chaire à la Faculté
de théologie de Paris devenue Faculté libre, poste
qu'il détient jusqu'à l'âge de 71 ans et qui
lui a été : confié par l'Eglise luthérienne
dont il est issu en tant que montbéliardais.
John Vienot veut maintenant consacrer toutes ses forces à
la rédaction du tome 111 de son Histoire de la Réforme
française qu'il n'aura malheureusement pas le temps de
rédiger. L'établissement des faits historiques est,
à ses yeux, la meilleure des apologies du protestantisme.
" En ce qui me concerne, écrit-il au conseil presbytéral,
je considère que les besoins de nos Eglises m'ont conféré
une tâche semblable à celle que les Eglises réformées
d'autrefois conféraient après leur destruction,
en 1685, à l'historien Elie Benoist... Le service rendu
sera le même ". John Viénot termine sa lettre
en disant combien il aime l'Oratoire en raison de " son programme
de vie religieuse sans asservissement de l'esprit ".
Wilfred Monod, qui sera son successeur comme président
du conseil presbytéral, lui répond en évoquant
la photographie qui le représente en compagnie d'Emile
Roberty et de lui-même. " Ce portrait fixera le souvenir
d'une période heureuse de notre paroisse, époque
où les trois pasteurs, si différents l'un de l'autre
par leur éducation, leur tempérament, leurs dons
particuliers donnèrent cependant à notre communauté
l'exemple de la plus complète union et d'une fraternité
parfaite ". W. Monod rappelle les lourdes responsabilités
assurées par les pasteurs de l'Oratoire à l'extérieur:
une chaire à la Faculté de théologie pour
deux d'entre eux, la présidence de l'Union nationale des
Eglises. " Cet ensemble ~de circonstances, poursuit-il, représentait
sans aucun doute, une force réelle pour le rayonnement
de l'Oratoire qui se trouve être à quelques égards
l'Eglise métropolitaine du protestantisme français.
"
Le conseil pense immédiatement au pasteur Vergara pour
la succession de John Vienot à partir du 1"' janvier
1933. A l'unanimité il lui adresse vocation. Le pasteur
Vergara décline cette proposition car il souhaite rester
le suffragant du pasteur W. Monod tant que celui-ci sera en fonction
à l'Oratoire. " Je suis arrivé à la
conviction que je devais demander au conseil presbytéral
de bien vouloir me laisser continuer, aussi longtemps que M. le
pasteur W. Monod aura besoin de moi et qu'il tiendra à
ma collaboration, la fonction de suffragant que je remplis auprès
de lui depuis huit ans. La générosité de
mes collègues, jointe aux circonstances, m'ont permis d'ailleurs
de déborder le cadre ordinaire d'une " suffragance
", de telle manière qu'une très large activité
pastorale s'offre ainsi à moi et que j'y trouve toutes
les satisfactions qu'un pasteur peut désirer. "
Le conseil presbytéral dans sa séance de juin 1932
prend une délibération qui mérite d'être
reproduite: " Le conseil... apprécie hautement l'~esprit
de désintéressement personnel de M. le pasteur Vergara
et le souci qu'il montre des intérêts spirituels
de la paroisse.. il accepte, que, conformément à
son désir, M Vergara demeure suffragant de M. le pasteur
W. Monod, mais il n'entend pas pour cela que sa nomination comme
pasteur titulaire soit annulée; elle demeure un fait acquis
à la date du 13 juin 1932 et M. le pasteur Vergara entrera
automatiquement dans ses fonctions de pasteur titulaire lorsque
l'heure de la retraite sera venue pour M. W Monod Le conseil,
d'autre part, tient à exprimer à M Monod toute son
affectueuse et respectueuse confiance Il l'assure de sa ferme
volonté de le garder au service de l'Oratoire, tant que
ses forces le permettront ". Une telle élévation
de pensée ne peut produire qu'une heureuse collaboration.
Le conseil presbytéral établit une liste de cinq
pasteurs qui pourraient être appelés à succéder
à John Vienot. Le pasteur Emile Guiraud, appelé
le premier, fait une si forte impression que le conseil décide
de ne pas différer sa nomination. " On sentait que
de tous les bancs de l'Oratoire la sympathie de tous montait vers
lui et personne ne pouvait rester indifférent à
la beauté et à la simplicité de la forme,
à la profondeur de la pensée, à l'intensité
de la vie intérieure qui se dégageait de sa parole.
" Il est rare de lire de telles lignes dans un compte rendu
de conseil d'Eglise. Le rayonnement spirituel d'Emile Guiraud
a profondément marqué tous ceux et toutes celles
qui ont eu le privilège de l'approcher pendant son trop
court ministère. Le sillage lumineux qu'il a tracé
derrière lui est toujours perceptible. Rarement un ministère
de cinq ans a porté autant de fruits.
Au fur et à mesure que l'on tourne les pages des délibérations
du conseil la vie quotidienne de l'Oratoire surgit dans tous ses
détails souvent significatifs : impression d'une liste
de membres de l'Eglise avec noms et adresses, réparation
des livres de cantiques, inquiétude à propos de
la sécurité à la suite d'une demande de séance
cinématographique salle Monod, assurance des enfants qui
vont à la garderie pendant le culte du dimanche, allocation
à la réunion de couture, interventions multiples
pour interdire le stationnement des voitures devant la porte du
temple.
La Feuille rose tire à 1550 exemplaires. L'Oratoire regroupe
1683 membres au 31 décembre 1932 contre 1, 719 au début
de l'année. Le projet de budget pour 1935 s'élève
à 319 800 F. Un excédent des dépenses sur
les recettes de 42 860 F est prévu. Les appels pour combler
les déficits successifs entraînent des réactions
de générosité touchantes. Une personne seule
donne cent francs, c'est-à-dire la totalité de ses
économies. Les doléances à propos du chauffage
sont générales. De grands travaux sont à
entreprendre. Il faut envisager une dépense de 120 000
F.
Le conseil presbytéral décide de se tenir le deuxième
lundi du mois à partir d'avril 1932. Rien n'est changé
sur ce point. Une cérémonie importante est envisagée
pour le centenaire de la mort du pasteur Marron. Un concert est
donné chaque année le Jeudi-saint. Des conférences
sont organisées sur le réformateur Zwingli, l'uvre
protestante d'évangélisation du Haut-Aragon, le
poste d'évangélisation de Longwy. Un comité
est chargé de représenter le conseil auprès
du scoutisme de l'Eglise. Le peintre Rigaud a fait un tableau
de l'Oratoire. Des reproductions sont commandées. A l'occasion
de la Pentecôte un service cuménique est organisé
" auquel prendront part toutes les confessions chrétiennes
à l'exception de l'Eglise romaine ". Un conseiller
se plaint de la rareté des services de communion. Dès
1933 on parle d'une " fusion rapide " des Eglises réformées
qui annonce l'unité de 1938. On s'inquiète du transport
des enfants qui viennent au catéchisme. Les dames de l'Alliance
organisent une soirée pour les jeunes qui réunit
plus de cent participants.
La démission de l'organiste, M. Lesur, et celle du maître
de chapelle, M. Maurel, à dater du 1"' octobre 1934,
nécessitent la réorganisation de la partie musicale
de l'Oratoire. Quatre candidats se présentent pour chacun
des postes. Mlle Roget et M. Hornung sont nommés. Le nouveau
maître de chapelle réunit très vite 25 personnes.
Un quatuor vocal professionnel est constitué avec, en outre,
deux suppléants. Le 23 décembre 1934 le maître
de chapelle organise un concert à l'occasion du départ
pour la retraite de MM. Lesur et Maurel.
Comme le rappelle W. Monod au conseil l'Evangile qui est prêché
à l'Oratoire est à la fois celui de la " consolation
" et de la " consécration ". Il n'existe
pas de consolation vraie sans consécration. Au fil des
heures et des jours nous nous apercevons que rien n'est sans importance
sur le plan spirituel. Peut-être même est-il plus
facile de servir Dieu dans les grandes choses que dans les petites.
Sans la lumière de l'Evangile notre vie, pleine d'irrésolutions,
serait comme une falaise qui s'écroule dans l'abîme
des choses révolues. Mais à travers la vision de
l'Evangile, à travers la clarté de la foi, tout
se métamorphose en nous et autour de nous. Le combat poursuivi
par nos devanciers est le même que le nôtre: c'est
le bon combat de la foi. Il nous suffit de prendre le relais.
Philippe VASSAUX