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La Justice de l'Antiquité
moyen-orientale aux traditions
issues de la Bible

 


Si Platon avait été séduit par le jugement des morts de l'Egypte, le peuple d'Israël a été marqué, lui aussi, par les cultures égyptienne et mésopotamienne dont la Bible garde l'empreinte, toutefois profondément remaniée. Le christianisme, lui, prolonge le judaïsme hellénistique. C'est à la philosophie grecque qu'il a emprunté son langage. Il faut reconstituer mentalement l'unité dynamique de ce que nous apprenons par la force des choses dans des chapitres scolaires dissociés. Athènes et Jérusalem ont bien été contemporaines dans l'histoire mais leurs destins ont été totalement asymétriques: l'une - la Grèce - parvint longtemps à écarter le joug de la grande puissance qu'étaient à l'Est la Perse, l'autre -le royaume de Juda - ne cessa d'être pris en tenaille entre l'Egypte et la même puissance orientale : d'abord l'Assyrie puis la Perse, Cyrus permettant cependant aux déportés de rentrer chez eux. Les victoires de Marathon (490 av.J.C.) et de Salamine (480 av.J.C.) sont mémorables : elles ont scellé un pacte entre les Hellènes et la liberté tandis que les catastrophes qui à plusieurs reprises rasèrent les murs de Jérusalem (notamment en 588 av. J.C.) , les occupations successives et les insurrections populaires en 70 et 135 de notre ère jusqu'à la disparition totale d'Israël de la carte ont plutôt engendré une culture de la mémoire, de l'intériorité éthique. Le peuple d'Israël a survécu à ce désastre en se rassemblant autour de la Torah et de ses commentaires, dans les marges des autres religions d'ailleurs issues de la Bible : christianisme et islam.

Du déni d'injustice de l'Egypte au repentir biblique

Chacun connaît la geste de Moïse libérant son peuple en le faisant sortir d'Egypte, de " la maison de servitude ". Mais quelle était la vision éthique de l'homme dans cette ancienne Egypte qui se profile en arrière-plan de la Bible ? Tout le monde connaît ces fresques égyptiennes représentant le jugement des morts. Hegel souligne le progrès considérable que constitue dans une civilisation le mythe du Jugement, signe d'un accès au sentiment de responsabilité et donc de liberté personnelle. Le Livre des morts, qui date de l'époque du Nouvel Empire, (1580-1085 av. JC) raconte le " jugement du cœur " du défunt : " Je n'ai pas commis d'iniquité contre les hommes " ou " Je n'ai pas fait le mal ", " Je n'ai pas porté la main sur l'homme de petite condition ", " Je n'ai pas affamé, je n'ai pas fait pleurer, je n'ai pas tué. " . Ce qui frappe dans ces très vieux textes, c'est le caractère négatif de la confession qui prend l'allure d'une véritable déclaration d'innocence . L'Egypte a conçu l'homme comme sujet d'imputation de la faute, mais elle n'a pas accédé, par le biais de la confession des péchés qui sera la particularité d'Israël, à l'idée de rédemption c'est-à-dire de rénovation possible du sujet personnel. Elle n'a pas eu la souplesse ou la grâce qu'implique l'idée du pardon, de la miséricorde. Son éthique porte l'empreinte de cette rigidité codée dont témoignent les effigies qui nous sont restées. Ses idées sur la liberté, la faute et la responsabilité sont restées schématiques et défensives. Maât, symbole de la Vérité et de la Justice, de l'ordre universel, a d'ailleurs garanti la théocratie pharaonique, elle en a été la base conservatrice. Cette immuabilité a interdit à l'Egypte de penser l'histoire, le devenir et d'accéder à une éthique de la liberté et du dépassement personnel. Cela fut la vocation d'Israël. En Egypte, les réformes sociales sont nées lorsque le mythe de la divinité royale a perdu de sa force, lorsque s'est amorcé le déclin du caractère sacré de l'Etat . La justice comme pratique civile a pénétré en Egypte avec la laïcisation du régime. Mais, pour l'Egypte traditionnelle, la justice, c'est l'ordre policé dans la cité, la sauvegarde de la propriété, des biens acquis, des hiérarchies sociales. La Bible connaît aussi cette sagesse, cette hokma, préoccupée de l'ordre, de la protection du régime établi. Toutefois, ce qui la caractérise en propre, c'est le prophétisme qui, lui, ne coïncide pas avec cet ordre qu'ils soumettent à l'instance d'un jugement éthique permanent .
La justice a été, partout dans l'Antiquité, une conquête de la raison. Elle s'identifiait, en Mésopotamie, avec le bon fonctionnement de l'administration. Etait juste ce qui ne heurtait ni les coutumes locales ni les besoins généraux. L'acte de justice était un acte de coordination, de systématisation, de répartition équitable. Certes, l'autorité des dieux était invoquée, mais à titre très accessoire. Hammourabi reçoit son code des mains du dieu Shamach, mais l'esprit du code ne doit rien à la divinité. Il est entièrement laïc :c'est le souverain qui légifère.

Le juste dans la Bible est l'homme " devant Dieu "

Dans le judaïsme et le christianisme qui en est issu, la conscience humaine n'est juste que lorsqu'elle n'est pas egocentrée . Elle doit exister constamment " devant Dieu ", en état permanent d'évaluation . " Noé était juste devant le Seigneur " (Gen.VI,9) Noé n'est pas loué parce qu'il ne prendrait pas " plus que sa part " des biens matériels mais parce qu'il se rapporte à la source de toute justice au sens de justesse existentielle dirions nous en termes modernes. Il n'est pas auto-référé, ne se prend pas pour le centre des choses mais est ouvert au mystère innommable des choses dont la Bible interdit de prononcer le nom car cela n'appartient pas à l'ordre du symbolique mais de l'ontologique pur. Il s'agit de la source même de l'être, qui, bien entendu n'est pas chose objectivable. Les juges (dikastès, de dikè, la justice, dans la traduction grecque de la Torah appelée la Septante) , avant l'institution de la royauté, -Josué, Samuel - ne sont pas ceux qui attribuent à chacun sa part, ils sont ceux qui conduisent le peuple dans des sentiers de rectitude. Dieu, quand il juge, ne s'occupe pas des biens mais des conduites. Dans le contexte biblique, la justice évoque l'ordre divin auquel se range l'homme droit. C'est une sorte de sainteté liée à l'observance du commandement central d'amour de Dieu et du prochain d'où se déduisent tous les autres. Cela inclut la charité qui est le partage spontané, le don gratuit à celui qui est démuni. Guider l'aveugle sur son chemin, secourir les veuves et les orphelins, avoir souci des pauvres, des égarés, des pécheurs, vêtir ceux qui sont nus. Il n'y est pas question de justice distributive ni de justice commutative, mais de charité c'est-à-dire d'amour. Thèmes repris par le Nouveau Testament qui appartient parfaitement à la culture hébraïque de l'époque hellénistique.
Contrairement à ce qui s'est passé partout ailleurs dans le monde antique, la justice est restée, en Israël, éminemment religieuse. Pour les prophètes, elle était l'attribut principal de Dieu dont la nature insondable ne pouvait être assimilable à quelque chose de froidement rationnel. La Bible établit un rapprochement entre le nabi, le prophète, et le mechouga, le fou, encore à l'époque de Jérémie (VIIè siècle av.J.C.) C'est que tous deux ont un rapport immédiat au fond même des choses, irréductible à la raison humaine et à la rationalité instrumentale des puissants. C'est la transcendance de la justice divine qui a pu opérer cette inversion des valeurs mondaines au point de faire du pauvre, de l'homme dépouillé, nu, de l'homme souffrant la figure du Juste comme c'est le cas chez le prophète Esaïe , alors même que, par ailleurs, Israël croyait en une rétribution ici-bas - en richesse et en bonheur- de celui qui observe les commandements divins. La Torah contient un livre qui critique cette vision des choses : c'est le livre de Job. L'histoire de ce juste sur qui s'abattent tous les malheurs du monde rend caduque la croyance en la rétribution et invalide la médiocrité d'un Dieu dont la nature serait ravalée à la fonction comptable des péchés de l'homme. Dieu n'est pas ce qu'on croit. Sa réalité, dirait Kierkegaard, qui a beaucoup parlé de Job, est paradoxale.
Les prophètes ont, par ailleurs, protesté contre la royauté et le sacerdoce qui, s'attribuant des vocations sacrées, ne remplissent cependant pas leurs devoirs de justice et de paix. Ils ont montré l'écart entre les institutions qui risquent toujours d'instrumentaliser la référence religieuse - réduisant alors Dieu à une pauvre idole - et l'absolu de l'appel, de la vocation. On comprend dès lors que, face à l'Etat ou au Sacerdoce, le Prophète soit en danger de mort. Les prophètes rappellent sans relâche que c'est dans la fidélité à l'esprit (ruah) que se fait la rencontre avec Dieu qui justifie - qui rend juste - , esprit dont l'absence prolongée équivaut à la perte de la vie. La ruah (en grec : pneuma) est une dimension de rencontre entre Dieu et l'homme, et tout éloignement perdurable de Dieu risque d'entraîner l'injustice, c'est-à-dire la mort spirituelle. Les prophètes appelaient à la purification du cœur, conversion qui est la condition d'une histoire ouverte au salut, c'est-à-dire à la justification, au fait d'être rendu juste par la présence même du Dieu Vivant, dans un dialogue sans cesse renouvelé. En dénonçant l'infidélité d'Israël à l'esprit de sainteté et de fraternité vis-à-vis du prochain, les prophètes introduisent ainsi au cœur de l'Histoire, un principe de jugement, d'évaluation et, par là même, montrent le chemin possible d'un redressement, si bien que le salut annoncé est médiatisé par l'appel à la repentance. Il y a là la conviction que l'Histoire, loin d'altérer les valeurs par le principe corrupteur de sa mobilité, peut, au contraire, par son ouverture même, être le lieu de leur incarnation progressive. Le temps n'est pas corrupteur, image infidèle de l'éternité comme chez les grecs ; il est le lieu du progrès, de l'espérance. Israël a appellé Royaume de Dieu le règne de justice et de paix sur la terre qu'annonçaient les prophètes pourvu que la volonté des hommes fût droite et fidèle à la puissance donatrice de vie.

La justice dans les évangiles

Le christianisme a introduit dans l'éthique occidentale un principe nouveau par rapport à l'héritage gréco-romain. Là où la loi règle l'échange symbolique, la relation intersubjective, Jésus de Nazareth, dans la pure tradition hébraïque d'ailleurs, montre qu'au-delà de l'obligation à la réciprocité rigoureuse, du donnant-donnant , il y a une sollicitude et un souci extrême des singularités, venant remédier aux manques du jeu social dans l'automaticité de ses mécanismes. L'amour du prochain, c'est-à-dire là encore, la faculté de se décentrer, corrige l'impossibilité pour une société d'être entièrement " juste " avec chacun, d'accepter son entière singularité avec celle de tous les autres. Ces textes refusent clairement que tout soit objet de rétribution. Comme dans l'Ancien Testament, la pensée qui les traverse transgresse toutes les lois de la justice conçue comme partage, répudie tous les critères qui président habituellement à la droite répartition : l'ouvrier de la onzième heure reçoit un salaire égal à celui des travailleurs de l'aube qui sont restés à la tâche toute la journée. " Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa Justice ; le reste vous sera donné par surcroît. " il n'y a pas de droit dans l'Evangile : " Qui m'a établi, dit Jésus, pour faire vos partages ? " (Luc XII, 14) Le mot de justice est pourtant fréquent dans les Evangiles , fidèles à l'esprit prophétique d'un Esaïe ou d'un Jérémie contrairement aux clichés trop connus, mais l'éthique du Nouveau Testament n'oppose pas la loi écrite à l'esprit de la loi, elle les allie. " Ne croyez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir . " (Matthieu 5,17) Il s'agit de vivre dans l'esprit d'amour qui a présidé à son don. Les éléments éthiques nouveaux que le Nouveau Testament présente, loin d'être contraires à la tradition de l'Ancien , y ont leurs racines. Dans l'ensemble des textes néotestamentaires, il n'y a que quatre cas qui expriment une critique à l'égard des excès du légalisme éthique des juifs. Dans tous les autres passages, il y a reprise du concept familier, vétérotestamentaire.

La loi comme extériorité ne saurait justifier ; seule la foi est justifiante

Ce sont les Epîtres de Paul qui sont au cœur des critiques formulées par le Nouveau Testament contre le légalisme prétendu de l'ancienne alliance. " Le chrétien, commente S. Lyonnet, animé par l'Esprit […] se trouve délivré dans le Christ non seulement de la loi mosaïque en tant que mosaïque, mais de la loi mosaïque en tant que loi, c'est-à-dire en fait de toute loi qui contraigne l'homme de l'extérieur (je ne dis pas qui l'oblige), sans pour autant devenir un être amoral, au-delà du bien et du mal… " Celui qui possède l'esprit peut renoncer à la Loi pour vivre par la foi, conformément à la sentence d'Habacuc : " Le juste vivra par sa foi. " La Loi, dans la mesure où elle demeure extériorité, ne saurait justifier, elle ne peut que sanctionner les écarts, juger au sens de condamner la non conformité du comportement à ce qu'elle exige. C'est la raison pour laquelle Paul écrit que " la loi produit la colère " (Romains 4,15) . Non pas que la loi soit mauvaise en soi : Si les hommes étaient justes, il n'y aurait en effet pas besoin de loi. C'est donc l'absence de régulation intérieure des hommes qui rend la loi nécessaire. Toutefois, le chrétien ne s'affranchit des lois extérieures que parce qu'il obéit à une loi intérieure, loi des intentions et de l'Esprit. Paul oppose la loi extérieure et ce qu'il appelle la " loi du Christ ", la volonté animée par la pureté du cœur, l'intention bonne. La loi n'est pas destinée au juste, mais à l'injuste comme le dit en substance Paul (1 Tim.I, 9) . Pour comprendre ce qui a pu motiver les sévérités de Paul et ses diatribes contre la Loi - qui n'étaient d'ailleurs pas étrangères aux prophètes d'Israël- il ne suffit pas de faire référence au " pharisaïsme " si longtemps décrié par ignorance . Son propos vise plutôt à discerner entre la simplicité de l'essentiel, dont il rappelle la formulation et la prolifération qui a fini par le recouvrir. " un seul précepte contient toute la Loi en sa plénitude : tu aimeras ton prochain comme toi-même " (Galates 5,14) " car celui qui aime autrui a, de ce fait, accompli la Loi. " (Romains13,8) Son propos n'est pas d'abandonner les communautés qu'il fonde à l'anomie (absence de lois): les normes sont indispensables à la vie dans la liberté de l'Esprit. Paul exhorte à l'émergence de l' " homme nouveau ", qui renaît par delà la mort à l'immédiateté première, celle de l'enfance et de la jeunesse. L'homme est un être qui, pour rester spirituellement vivant, une fois qu'il a fait le tour des choses, doit puiser dans son intériorité, en relation avec sa source ontologique, les forces de vie nécessaires pour se renouveler. Paul ne fait que relativiser ce qui, dans la Loi d'Israël, relève de la positivité coutumière dont la juridiction ne lui semble que régionale, à savoir la Loi qu'il perçoit finalement comme coutumière . Les païens n'en relèvent pas et pourtant, dit-il " ils ne sont pas sans loi ", leur comportement montre bien " la réalité de cette Loi inscrite dans leurs cœurs, à preuve le témoignage de leur conscience ". Les prophètes d'Israël n'avaient rien dit d'autre : Ezéchiel parle de la Loi non écrite sur des tables de pierre mais écrite sur des tables de chair. C'est dans le même sens d'intériorisation de l'exigence de justesse intime qu'il faut comprendre la " circoncision du cœur " dont parle saint Paul.

La Réforme et le problème de la justification

A l'aube des temps modernes, la Réforme a repris la doctrine paulinienne du salut par la foi, frappant donc d'interdit et de nullité les stratégies intéressées de l'âme, refusant que l'on fasse son salut en se réclamant du mérite de la volonté. C'est lui qui a véritablement fait entrer la vie dans la gratuité pure, dans la catégorie des fins en soi. Kant en est l'héritier direct. Par la foi en Christ, dit Luther, la justice du Christ devient notre justice car " le juste vit de la foi " . La justice qui justifie l'injuste, le pécheur " est appelée justice de Dieu " et elle est infinie. " Double est la justice des chrétiens, écrit Luther dans son Sermon sur la double justice, comme aussi est double le péché des hommes. La première n'est pas de notre fait […] C'est celle par laquelle le Christ [le Logos ou Verbe éternel de Dieu] est juste et justifiant par la foi ". " Cette justice, qui n'est pas de notre fait " vient de Dieu et " s'oppose au péché originel, qui n'est pas davantage notre fait, naissant avec nous. " (ibid.p. 211). Elle est donnée aux hommes " en tout temps dans le vrai repentir " . " Cette justice est la première, le fondement, la cause, l'origine de toute justice propre ou actuelle. Car elle est vraiment donnée pour la justice originelle perdue en Adam. Luther énumère les synonymes les plus fréquents de cette justice : force de Dieu, miséricorde, vérité. " C'est pourquoi dit-il l'apôtre (Paul) ose dire dans Galates I : Ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. " Cette justice n'est pas notre fait : elle nous est infusée par la grâce. " La seconde justice est nôtre et nous est propre, non que nous la réalisions nous seuls, mais parce que nous coopérons à l'autre, la première. Elle est cette tendance aux bonnes œuvres. " (ibid.p.211) La justice de la volonté est au fond sa justesse, sa conformité à l'ordre vrai, universel des choses, ce que veut dire exactement " faire la volonté de Dieu. " "Cette justice est œuvre de la première justice, son fruit et ses conséquences ". Luther cite l'histoire de Simon le lépreux, ce " pécheur qui se prenait pour un juste " (Luc 7) : " installé dans sa justice, avec orgueil il jugeait et méprisait Marie-Madeleine, dans laquelle il voyait la condition d'esclave. " Tandis que ses bonnes œuvres ont disparu de toutes les mémoires, Luther fait remarquer que Marie-Madeleine " n'est rien d'autre qu'une femme juste et élevée par la gloire de la condition divine " qui est l'amour c'est-à-dire la justesse suprême.(ibid.p.215) Ainsi, chaque fois que nous nous louons de notre justice, " la justice œuvre contre la justice ". Si la justice de Dieu nous est donnée, c'est afin de justifier, rendre juste, l'injuste, de pardonner, non de condamner, de juger. L'expérience mystique de ce salut par la " justice passive " ou réception de la grâce divine justifiante est celle d'une régénérescence de l'être entraînant celle de ses actes, mais " la justice qui nous sauve ne vient pas de nous : […] Ce n'est pas celle qui germe dans notre terre, mais celle qui vient du ciel. "

Toutefois, si Luther a tant insisté sur la gratuité qui seule confère l'exacte orientation, la droiture de la position de l'homme en ce monde, il a aussi insisté sur le respect des règles morales, et en particulier du Décalogue, sur le savoir et le respect de la loi en somme. Pour lui, " la première signification, le premier usage des lois est de contenir les impies…C'est pourquoi Dieu a institué les magistrats, les parents, les éducateurs, les lois, les liens et toutes les ordonnances de la cité afin que, faute de mieux, ils lient les mains au diable… Cette coercition propre à la cité est absolument nécessaire, elle est instituée par Dieu, que ce soit en vue de la tranquillité publique ou pour le maintien de toutes choses, mais surtout pour que la marche de l'Evangile ne soit pas empêchée par les désordres et les séditions" " Les hommes publics […] de par leurs fonctions, ne peuvent échapper à leur devoir qui est de punir et de juger les méchants, de protéger et de défendre les opprimés. " Ce ne sont pas eux qui agissent ainsi : ils ne sont qu'au service de Dieu car " Le magistrat ne porte pas le glaive pour rien. " (Rm 13,4) Personne n'est magistrat pour soi-même, mais pour les autres. Luther distingue alors trois sortes de particuliers et d'affaires personnelles : ceux qui, très nombreux, demandent vengeance (l'institution judiciaire est alors là " afin que les personnes ne se vengent pas elles-mêmes " et n'usent de violence les unes contre les autres en rendant le mal pour le mal) ; ceux qui " sont les fils de Dieu, les frères du Christ " qui empêchent toute vengeance " étant plutôt prêts à perdre bien davantage " ; les troisièmes enfin, semblables aux précédents mais différents dans leur agir : ce sont ceux que l'Ecriture appelle les " zélés " qui ne réclamant pas leur bien exigent cependant le châtiment du coupable pour son amélioration. Il faut être passé par le second degré pour pouvoir accéder à ce niveau " de peur de prendre pour du zèle ce qui n'est que colère[…] La colère , en effet, ressemble au zèle, et l'impatience à l'amour de la justice, à tel point que seules des personnes tout à fait remplies de l'Esprit peuvent en faire la différence. Le Christ a agi ainsi quand il fit des fouets et chassa du temple les vendeurs et les acheteurs, Paul de même, quand il écrit : Je viendrai vers vous avec un bâton " (SDJ.p.218)

France FARAGO

 

Notes

1 Après l'effondrement du royaume du Nord (721 av.J.C.)

2 La tension entre la sagesse du monde et la " folie " de Dieu et de ses envoyés structure la pensée biblique, Nouveau Testament compris, qui, à cet égard, n'innove pas mais prolonge la tradition d'Israël.

3 Le jumelage du droit avec le salut a son enracinement le plus profond dans la conception h�bra�que de l'alliance, rapport de Dieu � l'homme pens� sur le mod�le du rapport entre le roi et son peuple. La justice (ts�daqah) est la mise en �uvre de la fid�lit� � l'alliance. Dans cette fid�lit�, la justice de Dieu, en tant qu'action de juger, procure au peuple de Dieu le droit et par l� le salut -l'�mancipation de la servitude et du chaos- , d'autant plus qu'elle est toujours suivie de mis�ricorde, de pardon . Les termes grecs de s�ter (sauveur), s�t�ria (salut), s�t�rion (d�livrance) ont d'ailleurs �t� introduits dans la Septante pour �lucider le sens de dikaiosun� (la justice en grec).

4" Les justes sont ceux qui ont pratiqu� les �uvres de mis�ricorde " proclame Matthieu (VI,19) : " Si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens� " (Mat.V,20) " Je ne suis pas venu appeler les justes mais les p�cheurs " (LucV,32) " La foi justifie " dit encore saint Paul.

5 Stanislas Lyonnet, La Vie selon l'Esprit, p.170

6 L'épisode de la femme adultère chez Jean est plein d'enseignements : il est construit sur la distinction entre la loi sociale, l'institution qui règle les mariages qui s'effectuaient très jeune pour les femmes et pas toujours selon leur vœu, et la loi d'amour qui est la loi de vie. Le Christ dans cette scène sait que c'est l'amour qui a poussé cette femme à transgresser la loi sociale au péril de sa vie, il sait aussi que c'est l'amour qui est le sens et le commandement suprême. Il la renvoie donc après avoir désarmé l'attroupement en lui disant " Moi non plus je ne te condamne pas. Vas et ne pèche plus ! " c'est-à-dire : ne transgresse plus la loi sociale, transgression dans laquelle lui-même ne voit pas un péché, comme dans toutes les transgressions que lui-même se permet.

7 La loi est bonne dans la mesure où on la prend comme loi. En effet, comprenons bien ceci : la loi n'est pas là pour le juste, mais pour les gens insoumis et rebelles, impies et pécheurs, sacrilèges et profanateurs, parricides et matricides, meurtriers, débauchés, pédérastes, marchands d'esclaves, menteurs, parjures. " 1 Timothée I, 8-10

8 Les Pharisiens étaient un mouvement à la fois savant, populaire et d'une grande foi mais, comme dans tout groupe humain, il se trouvait parmi eux des hypocrites qui théâtralisaient la piété et s'autojustifiaient. De ce point de vue, on peut dire que le Nouveau Testament est une cabale contre les dévôts qui ont toujours quelque chose de faux.

9 Sermon sur la double justice, p.209, Pl�iade �uvrest.I de Luther, Paris, 1999

10 Il cite Jean 11 (" Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi ne mourra jamais ") et Jean 14 (" Je suis le chemin, la vérité et la vie ")

11 Cours sur l'Epître aux Romains, Pléiade, t.I, p.5

12 MLO, XVI, p.64-65

13 Sermon sur la double justice, Pléiade,.p.216

14 " Si l'homme public a une affaire personnelle, il doit rechercher un autre magistrat que lui-m�me, car dans ce cas, il n'est pas juge mais partie. "ibid. . p.217

 

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