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Expérience du dialogue judéo-chrétien

 

Je voudrais apporter tout d'abord un témoignage personnel en vous racontant l'itinéraire qui m'a amené à m'engager dans le dialogue judéo-chrétien.

Je suis né en 1941, année sombre pour l'Europe et prélude à la mise en oeuvre de la « solution finale » pour les juifs.

Vers l'âge de 6-7 ans, j'ai commencé 4 fréquenter l'école du dimanche. Et là, j'ai fait un curieux rapprochement : une demoiselle d'un certain âge que mes parents connaissaient et avec laquelle il leur arrivait d'échanger des souvenirs des années de guerre, s'appelait Mademoiselle Moise - prononcé sans tréma, comme on prononce « bois ». Et à l'école du dimanche, on parlait d'un certain Moïse. Je me suis dit qu'il y avait probablement un rapport entre Mademoiselle Moise et ce Moise. Mais lequel ?

Interrogée, ma mère m'expliqua que tous les deux étaient juifs, mais que l'on avait pris l'habitude de prononcer « Moise », sans tréma, pour qu'elle ne soit pas arrêtée par les allemands. Mais pourquoi les allemands en voulaient-ils aux Moise ou Moïse ? La réponse fut certainement assez évasive: je ne m'en souviens pas, mais en tout cas elle ne combla pas ma curiosité.

Quelques années plus tard, j'appris que mon père et d'autres collègues de bureau avaient tout fait pour permettre à Mademoiselle Moise de ne pas être arrêtée.

Mais ni à la maison, ni à l'école, ni à l'école du dimanche, on ne parlait des juifs vivants, de ce qui leur était arrivé pendant la guerre et même pas de ce que certains avaient fait pour leur venir en aide

Au lycée, il m'est arrivé d'avoir des copains juifs. Mais eux non plus ne parlaient pas de le tir histoire ni de celle de leur famille.

Par contre, il y avait dans les années cinquante un mythe de la Résistance, de la France résistante qui s'était libérée par elle-même, « avec le concours des armées alliées » comme le général de Gaulle l'avait dit à propos de la libération de Paris.

Mon expérience d'enfant et d'adolescent est donc celle d'une sorte de « secret de famille » pesant sur la société française. Celle-ci pratiquait l'amalgame historique entre prisonniers politiques (les vrais résistants dont films et livres racontaient les exploits), prisonniers de guerre (moins glorieux parce que cela rappelait les mauvais souvenirs de 1940), les victimes du STO (que l'on a toujours pas réussi à définir avec dignité) et les déportés raciaux juifs et tziganes, dont il valait mieux parler le moins possible). Loin de moi J'idée de nier l'héroïsme des résistants et leur rôle déterminant dans la libération du pays. Simplement, il y avait un non-dit ou un « presque pas » dit dans « l'histoire officielle ». Bien sûr les milieux intellectuels pouvaient lire des témoignages de rescapés des camps de la mort, voir des documents filmés ou consulter des ouvrages d'historiens. Mais cela restait confiné à certains cercles cultivés.

Aujourd'hui, cela semble tout à fait extraordinaire de rappeler ce quasi-silence, qui était aussi celui des victimes et de ceux qui avaient risqué leur vie pour leur venir en aide. D'ailleurs cela est confirmé par ceux qui écrivent depuis 10 ou 20 ans leur propre témoignage de rescapés, avant que leur génération ne disparaisse : presque tous disent qu'il leur a fallu 20 ou 30 ans pour pouvoir commencer à raconter même à leurs propres enfants, ce qu'avait été la Shoah (ce mot de « Shoah » étant lui-même d'utilisation récente).

Il faut ajouter qu'un autre mythe était né en 1956 avec la guerre des Six Jours et l'affaire de Suez. Les jeunes, beaux et victorieux soldats israéliens, fils des courageux pionniers de l'Etat d'Israël, sont vite devenus à leur tour des images d'Epinal. Bien malgré eux, ils ont contribué pendant un certain temps à entretenir le « secret familial » occidental sur la réalité du sort des juifs sous le régime nazi. On ne pouvait établir facilement de lien entre ces jeunes gens bronzés et les êtres décharnés, hagards, photographiés à Auschwitz par les alliés lors de la libération des camps.

Je poursuis mon témoignage personnel. Pendant mes études de théologie à Paris, la grande affaire française était « les événements d’Algérie » auxquels on ne donnait pas encore le nom de « guerre d'Algérie ». C'est tout de même curieux cette façon française de détourner le regard et de ne pas nommer ce qui gêne ! Les « événements » ont ainsi relégué la « déportation », terme générique vague, au rang d'histoire ancienne.

J'ai appris, comme tout étudiant en théologie, des rudiments d'hébreu, comme on apprend une langue morte, le chaldéen ancien par exemple. Alors que cette langue est bien vivante et qu'elle est celle de tout un peuple. Que dirait-on de jeunes américains qui apprendraient le français du X\Ile siècle et l'écriture de cette époque, sans se préoccuper du français contemporain ?

J'ai toujours regretté de ne pas avoir eu l'initiative, que certains de mes camarades étudiants ont eue, de prendre des cours d'hébreu moderne ou d'aller passer un an à Jérusalem.

Mes études ne m'ont rien appris du judaïsme post-biblique, alors que nous avions des cours très ennuyeux, à mon goût de patristique (de nombreux « Pères » de l'Église ont été de farouches anti-judaïques, voire antisémites). Bref, le judaïsme semblait avoir cessé d'exister dans le monde religieux depuis l'époque du Nouveau Testament. C'est très étrange d'enseigner la théologie chrétienne de cette manière !

Devenu jeune pasteur à Lille, j'ai constaté que la synagogue était juste à côté du temple.

J'ai rapidement pris contact avec un groupe de l’Amitié Judéo-chrétienne. Et là que j’ai découvert qu'un dialogue judéo-chrétien existait depuis 1947, à l'initiative d'un certain nombre de personnes, dont Jules Isaac, dont le nom ne m'était pas inconnu puisqu'il était l'auteur de nombreux manuels d'histoire utilisés dans tous les lycées.

Peu à peu, j'ai appris à connaître le judaïsme vivant et son histoire spirituelle et à lever un coin du voile recouvrant la Shoah. Je sais très bien que cet apprentissage n'aura pas de fin et que personne, en dehors des survivants de la Shoah, ne pourra ressentir dans sa chair ce qu'elle a été.

Au cours d'une de ces réunions, il m'est arrivé un jour de dire que j'étais contre la peine de mort, même pour Eichmann ! Après la réunion, une dame est venue me trouver et me dire qu'elle avait été très choquée par mes propos. Elle a découvert son avant-bras pour me montrer le tatouage que les nazis imposaient à leurs victimes. Que dire alors ? D'autres juifs ont dit depuis la même chose que moi : eux, ils pouvaient probable ment le dire. De ma part, cela étai déplacé :je l'ai compris trop tard le souvenir en demeure cuisant.

Le dialogue entre juifs et non juifs est semé d'embûches innombrables, presque toutes liées à l'histoire. Vingt siècles d'anti-judaïsme chrétien, d'antisémitisme, de massacres, de mépris ou d'indifférence et par-dessus tout le silence (qui persiste en Pologne) ou le quasi-silence qui * a pesé pendant des décennies sur la Shoah 1 Dans ces conditions, ce n'est pas facile de se trouver face à face pour dialoguer.

Dans ces groupes d’Amitié Judéo-chrétienne, nous avions parfois l'impression exaltante (en tout cas pour les chrétiens) d'être les pionniers d'une nouvelle ère, renouant les fils d'un dialogue interrompu à l'époque du livre des Actes des Apôtres. Mais il nous est arrivé aussi d'être découragés en constatant la timidité des églises, la pauvreté de leur réflexion théologique, la persistance des préjugés et des pires réflexes antisémites. Et les problèmes liés à l'actualité sont venus s'ajouter à ceux de l'histoire. Citons : les relations entre le Vatican ou les églises et les Palestiniens, la reconnaissance de l'État d'Israël par le Vatican, l'affaire du Carmel d'Auschwitz, etc. Nous savons qu'il y aura encore des problèmes avec le statut de Jérusalem et des lieux saints, la naissance d'un véritable État palestinien... Et d'autres problèmes que nous n'imaginons même pas aujourd'hui.

Malgré les difficultés, je dois dire que ce dialogue a connu en l'espace d'une génération, des progrès formidables. Depuis Vatican 11, les déclarations et les gestes des églises se sont multipliés. Certains ont été maladroits ou incomplets. La recherche théologique chrétienne sur le rapport entre judaïsme et christianisme n'en est qu'à ses débuts (quel paradoxe, après 2000 ans d'histoire 1). Tout n'a pas encore été dit sur la Shoah, et l'on ne pourra jamais dire l'indicible.

La Shoah, ce « secret de famille » à l'échelle d'une société, que je pressentais dans ma jeunesse, est pour moi l'événement majeur, non seulement du XXe siècle, mais des vingt siècles de christianisme et d'histoire de l'occident. L’inimaginable s'est produit et l'on ne peut pas encore l'imaginer.

0n aurait pu penser que la Shoah serait le point final d'un non-dialogue tragique entre juifs et chrétiens, chacun restant désormais chez soi pour l'éternité avec ses rancœurs et sa culpabilité. Au contraire, quelque chose de nouveau est né en juillet

1947 à Seelisberg avec la rédaction d'une sorte de charte en 10 points des relations entre juifs et chrétiens. Jules Isaac en fut du côté juif un des éléments moteurs. Ainsi naquit la possibilité d'une rencontre sincère et amicale, dépourvue de toute arrière-pensée de prosélytisme, entre juifs et chrétiens qui savent qu'ils ne pourront jamais tourner la page de la Shoah, mais qui acceptent de s'écouter et de repenser leur propre foi.

Pour autant, tout ne fut pas résolu avec les 10 points de Seelisberg.

Le temps du dialogue judéo-chrétien ne se mesure pas en années, mais en générations à venir.

Jusqu'à ces dernières années, une des difficultés majeures était l'inégalité ressentie du besoin de ce dialogue. Les chrétiens peuvent comprendre que la connaissance du judaïsme va les aider à lire leurs propres textes fondateurs et que la relation entre foi et peuple d'Israël fait partie de leur credo.

Mais du côté juif, la réciproque est moins évidente. Les juifs n'estiment généralement pas avoir besoin des chrétiens pour penser leur propre foi. Le rapport au christianisme est totalement absent de leur credo, et leur mémoire leur commande plutôt de se méfier des contacts avec les chrétiens.

Le fait essentiel de ces toutes dernières années est que des juifs se mettent à publier leur propre lecture, et même leur propre traduction du Nouveau Testament. Ils sont de plus en plus nombreux à penser que le judaïsme ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur la nature et l'origine du christianisme et sa pérennité. Ils constatent en particulier que l'histoire biblique d'Israël est répandue dans le monde majoritairement par. des chrétiens. Tous les « goyim », c'est-à-dire les non-juifs, peuvent-ils être confondus dans une masse indifférenciée et insignifiante ? La vocation universelle d'Israël comme témoin de la volonté de Dieu pour les hommes passe-t-elle par l'existence et, la pérennité du christianisme ? Quelle est la place respective des juifs et des chrétiens dans le plan de Dieu pour le monde ?

Ce sont évidemment des questions comparables que les chrétiens se posent ! D'autre part les chrétiens reçoivent de la part des juifs des questions essentielles et ils ne peuvent se cacher éternellement derrière l'autorité des conciles des premiers siècles : Jésus est-il Dieu ? Quel est le rapport entre le Christ et le Messie des prophètes ? Est-ce que la Trinité est une élaboration théologique tardive et révisable ou une part intouchable du credo ? Qu'est-ce que l'incarnation : Dieu fait homme, ou une Parole incarnée par un homme qui reste un homme ? Qu'est-ce que la Résurrection : un fait d'histoire ou le symbole de la présence vivante de Dieu parmi les hommes ? L’apôtre Paul est-il le véritable interprète du message évangélique ou le fondateur d'un " paulinisme " qui est devenu le christianisme majoritaire ?

Ces questions ne sont pas nouvelles ? Certes, et la théologie libérale protestante les a posées depuis bien longtemps. Mais maintenant, ce sont tous les chrétiens, catholiques, orthodoxes, protestants, qui veulent dialoguer avec des juifs qui devront y répondre sans se réfugier derrière un catéchisme ou un magistère ecclésial adossé à la dogmatique des premiers conciles.

Le propre de ce genre de dialogue, c'est qu’on ne peut éviter de répondre en son nom propre. Le dialogue judéo-chrétien est l'affaire de personnes et non d'institutions religieuses, même si ces institutions sont parfois amenées, grâce à des personnes, à changer leur manière de penser. Du côté juif, c'est encore plus évident, que du côté chrétien : il n'y a pas d'institution rabbinique en tant que telle dialoguant avec des institutions chrétiennes. Du côté protestant, personne à l’Amitié Judéo-chrétienne n'est mandaté par la Fédération Protestante ou l'ERF Il n'y a que des individus qui s'engagent personnellement.

Là réside toute la force de ce dialogue : il concerne des personnes, qui vont parfois interpeller l'institution à laquelle elles appartiennent.

Mais il ne s'agit pas d'un dialogue officiel entre personnalités dûment mandatées. Heureusement, car on voit bien que le dialogue « officiel » catholiques-protestants est dans une impasse, alors même que des catholiques et des protestants ont certainement des choses à se dire lorsqu'ils s'engagent à titre personnel dans un dialogue.

Le dialogue judéo-chrétien devient peu à peu un vrai dialogue théologique, après avoir été pendant 50 ans un effort plus ou moins laborieux de connaissance réciproque et de dépassement des malentendus.

Bien sûr nous savons que ce dialogue ne concerne directement pour le moment qu'une toute petite minorité juive et chrétienne. Les artisans de ce dialogue ne sont qu'une poignée d'utopistes. Et pourtant, en 1947, il était impossible d'imaginer qu'un pape irait le 13 avril 1986 dans une synagogue où il recevrait une bénédiction prononcée par un rabbin, ni que des évêques français diraient le ler octobre 1997, au nom de leur Eglise, une parole de repentance à Drancy (1).

Lorsqu'on arrive à lever les préjugés, des choses inattendues et incroyables se passent. Le dialogue judéo-chrétien est exigeant parce qu'il nous remet en question, mais il a prouvé qu'il contient une dynamique capable de réveiller les consciences et les théologies endormies.

Jean-Michel Perraut

1. Voir de Salomon Malka « Jésus rendu aux siens. Enquête en Israël sur une énigme de vingt siècles », AJbin Michel, 1999 De Gérard Israël « La question chrétienne. Une pensée juive du christianisme ». Payot. 1999. D'Armand Abécassis « En vérité je vous le dis. Une lecture juive des évangiles ». Éditions 1, 1999.

 

 

 

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Article tiré du bulletin de l'Oratoire du Louvre à Paris

 


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