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Gérard Depardieu lit Saint-Augustin à l'Oratoire du Louvre

 

Dimanche 25 mai 2003, l'Oratoire recevait un invité venu d'Afrique. Un certain Aurélius Augustinius, né en 354 à Thagaste (aujourd'hui Souk-Ahras en Algérie) et mort en 450 à Hippone (Annaba). Cet homme est mieux connu sous le nom de Saint Augustin, Père de l'Eglise, figure majeure de la Méditerranée universelle : berbère latin de la rive carthaginoise, chrétien nourri de philosophie grecque.

C'est la rencontre de deux hommes qui a rendu possible cette invitation. Deux hommes de parole, deux passeurs de sens que l'admiration pour le penseur a réunis et qui ont voulu dire et lire Augustin. A Notre-Dame d'abord, puis dans un temple protestant.

Le professeur et l'acteur. André Mandouze, latiniste blanchi par l'étude et les combats du catholique engagé, sorbonnard sage et pugnace. Gérard Depardieu, patrimoine national vivant ayant traversé toutes les identités, du mauvais garçon des " valseuses " à Cyrano en passant par Obélix, Tartuffe et Edmond Dantès. Universel à force d'être français trop vivant pour ne pas devoir, un jour, confesser Dieu.

Mandouze plante le décor, annonce, prévient, tonne contre les erreurs d'interprétation, guide l'attention de ceux qui se sont littéralement laissés embarquer par la voix de G.Depardieu dans l'âme d'Augustin. En effet, celui-ci lit des passages des " Confessions " : les événements de la vie d'Augustin, ses états affectifs et spirituels, l'histoire de ses idées. Ce qui fait des " Confessions " une sorte de monument de la littérature universelle, c'est justement cette façon à la fois rigoureuse et sensible, rigoureuse parce que sensible, de rendre compte de l'évolution et de la conversion d'un homme. Nous sommes aux antipodes de l'hagiographie qui est toujours reconstitution mensongère et moralisatrice. Augustin est déchiré, hésitant et extasié tout à la fois. Voilà pourquoi Augustin a accompagné tant de chrétiens depuis des siècles, car on peut se reconnaître, dans celui qui désire Dieu et le rejette en môme temps. Notre lecteur ne s'y est sans doute pas trompé.

Qu'es-tu pour moi mon Dieu ? J'aimais aimer - l'amour du théâtre - le départ pour l'Italie - séparation et retrouvailles avec Monique sa mère la rencontre avec Ambroise - le néoplatonisme - l'épisode du jardin - l'extase d'Ostie - l'hymne à la beauté - tout ce que je sais de moi vient de Toi. Autant d'étapes sur le chemin d'une vie où le corps, le cœur et l'esprit dans leurs accords et désaccords font exulter et souffrir aussi.

Dans le choix des lectures, il y avait sans doute la volonté de rompre avec l'image un peu simpliste du jeune païen débauché allant de sectes philosophiques en officines astrologiques pour ensuite entrer dans la vérité du Christ sans partage. [!épisode singulier d'Ostie en atteste. Accoudés à une fenêtre, contemplant l'embouchure du Tibre, Augustin et Monique " oubliant le passé et penchés sur l'avenir (psychanalystes à vous de jouer!) sont comme ravis par une sagesse ascensionnelle qui leur fait contempler tous les degrés de la Création jusqu'à effleurer la vie éternelle, " celle qui est comme elle a toujours été et comme elle sera toujours " Thème central de la méditation d'Augustin que la relation entre le temps et l'éternité.

En effet, l'éternité ne peut être un temps qui n'en finit pas de durer, elle ne peut se définir comme ce qui a précédé le temps et qui doit lui succéder, puisque ce serait la penser sur le mode d'une succession qui lui est étrangère. Une éternité n'est pas d'avant ou d'après le temps. Elle est plutôt à côté du temps, comme Dieu est sans doute tout proche de nous et nous, séparés de lui par l'étroitesse d'un abîme qu'on ne peut franchir que par le saut. Mais le plus étonnant est que l'extase d'Ostie n'est pas un saut dans et par la foi mais une montée graduelle à la manière de la philosophie de Plotin. Citons un passage des "Ennéades ":... " ... le divin est cause de la Vie, de l'intellect, et de l'Etre.

A la vue d'un tel être, quelle allégresse, quelle passion, et, dans la volonté de s'y confondre, quelle exaltation mêlée de quel plaisir ! Si celui qui n'a encore jamais eu pareille vision peut y aspirer comme au Bien, il appartient, en revanche, à celui qui a vu le divin de se laisser vaincre par l'enchantement de sa beauté, d'être saisi d'une généreuse admiration et d'aimer d'un amour vrai, tout en se riant des violents appels de la sensualité et des autres formes de l'amour. "

Si on n'entre dans la foi que par la foi, il faut reconnaître que l'épaisseur d'une vie voit coexister et se superposer de nombreux plans différents. Si la foi et la philosophie antique ne sont pas sur le même plan, elles ne cessent, chez Augustin, de se nourrir l'une l'autre.

Augustin était-il protestant ? Anachronisme qui fait sourire, mais il est certain qu'il est une référence majeure de tous ces traditionalistes révolutionnaires qu'ont été les Réformateurs, Pourquoi ? Le mal n'est pas dans un catalogue de péchés dont l'Eglise ferait la recension pour mieux administrer punitions et récompenses. Le mal n'est pas une substance, c'est le fait de la volonté qui se détourne de Dieu. Toujours gracié et cependant toujours pécheur, l'homme vit dans cette tension difficile mais créatrice et dynamique. Citons un passage de " De la Trinité " d'Augustin : " ... La grâce est non accordée à nos mérites, mais donnée gratuitement, ce qui explique son nom de " grâce ": Dieu l'a donnée en effet, non parce que nous en étions dignes, mais parce qu'il l'a voulu. Sachant cela, nous ne mettrons pas notre confiance en nous-mêmes, et c'est là être affaiblis. Mais c'est lui qui nous rétablit, lui qui dit à l'apôtre Paul: Ma grâce te suffit; car son pouvoir est rétabli à travers la faiblesse. "

A la fin du récit, l'acteur est allé embrasser le professeur, penchant sa silhouette massive vers le vieil homme sec à la fidèle intransigeance. Ce dimanche fut à l'image de ce que nous espérons pour notre paroisse. Nos pasteurs Florence Taubmann et Werner Burki accueillant des personnalités qui font vivre une grande figure de la foi pour tout un peuple rassemblé dans notre temple au cœur de notre ville.

Philippe Gaudin
Philosophe

 

 

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Article tiré du bulletin de l'Oratoire du Louvre à Paris

 


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