Une fraternelle amitié, qui restera l'un des précieux trésors de mon ministère et de ma vie, me vaut d'être seul autorisé par les dernières volontés de notre frère à manquer à la règle du silence, et, dans notre commune douleur, d'offrir à Dieu, devant son cercueil, l'action de grâces des Églises protestantes de France.
Au nom de l'Église Réformée de France, de on Conseil national et de son Conseil académique, au nom de la Fédération Protestante, du Comité de la Société des Missions, des Eclaireurs unionistes, de tant d'autres oeuvres qui bénéficiaient de son inspiration et de sa sagesse, je rends grâces à Dieu de nous avoir donné le pasteur André N, Bertrand. Si préoccupés que nous ayons pu être de son état de santé, nous sommes bouleversés par la soudaineté de son départ, et nous voyons s'ouvrir dans la vie de nos Églises, dans notre propre vie, un vide que personne, à parler humainement, ne pourra jamais combler. Mais notre reconnaissance triomphe de notre immense tristesse, et le : merci que nous disons ici voudrait être un chant, -non pas à la gloire d'un homme, mais à la gloire de Dieu dont il n'a voulu être que le serviteur.
« Toute autorité vient de Dieu », a dit l'apôtre Paul. Affirmation dont la vie de notre frère manifeste la vérité avec une force singulière. D'année en année, son autorité est devenue plus étendue, mais surtout plus pénétrante, plus assurée d'un acquiescement unanime, Non pas parce que la confiance de tous l'appelait à des charges plus hautes, à des responsabilités plus redoutables, mais parce que son intelligence si fine et si compréhensive, sa sagesse si persuasive, l'excellence de ses conseils si nuancés, et plus encore, la pureté de son âme pastorale et sa bonté toujours patiente et toujours prévenante, faisaient accueillir son influence comme un don de Dieu.
Oui, vraiment, lorsque, grâce en très grande partie à son initiative, à son labeur persévérant et à sa foi généreuse, la question de la restauration de l'unité de l'Église réformée de France fut posée devant nos Églises, il apparut à tous comme l'homme que Dieu avait préparé pour nous guider et nous inspirer sur la voie, non pas des concessions ou des compromis, mais d'une découverte commune de notre communion vivante dans le Christ et de notre obligation de lui rendre témoignage en mettant fin à des séparations que ne justifiait plus aucune exigence de la foi. Avec quelle spiritualité et quel sens de la véritable unité chrétienne il présidait à nos délibérations, avec quel respect des pensées divergentes de la sienne I Nous éprouvions que tout ce qu'il nous donnait ii l'avait d'abord demandé avec l'humilité du chrétien qui attend tout de son Dieu et qui, sans aucune recherche d'un succès personnel, n'a d'autre ambition que la gloire de Jésus-Christ!
Et c'est pourquoi nous nous inclinions devant son autorité, faite de patiente douceur, de total désintéressement, et d'amour filial pour l'Église réformée de France. Comme il l'aimait, notre Église ! Président du Comité général de l'Union des Eglises réformées, il lui avait donné son temps, ses forces, son intelligence, sa foi, sa prière... Mais dès que l'unité de l'Eglise réformée de France se fut imposée à son esprit comme la volonté de Dieu, il n'hésita pas à renoncer au premier rang, où il brillait d'un tel éclat, pour qu'aucune considération personnelle ne risquât d'en retarder l'achèvement.
Son autorité, vous le savez tous, n'en devint que plus grande, et son service de l'Église plus généreux et plus efficace. Au mois de mai 1940 le Conseil de la Fédération protestante de France, en prévision d'événements tragiques dont la menace devenait chaque jour plus proche, le nommait l'un de ses vice-présidents. Il était déjà le président respecté et aimé du Consistoire de l'Eglise réformée de Paris. Il avait qualité désormais, en plein accord avec les autres Églises de la Réforme, pour parler et pour agir au nom du protestantisme français tout entier. Il en eut la redoutable responsabilité à partir du 1 i juin 1940 et pendant près de trois années. Tous, dès le premier jour, le reconnurent comme leur chef. Non pas qu'il eût jamais la pensée de se présenter comme tel, mais Dieu lui avait fait la grâce de dons magnifiques et complémentaires que, sans se lasser jamais, ou plutôt en faisant toujours comme s'il ne pouvait être atteint par la lassitude, il mettait jour après jour, et presque heure après heure, au service des pasteurs, des paroisses, des oeuvres, sans parler de toutes les victimes de l'oppression dont il sut prendre la défense avec quel simple et noble courage - devant ceux qui détenaient alors l'autorité.
Plus que jamais, dans les mois qui suivirent le désastre de juin 1940, ii fut le pasteur des pasteurs. Qu'ils sont nombreux aujourd'hui les pasteurs de France qui, pleurant son départ, bénissent Dieu de l'avoir mis sur leur chemin, d'avoir éprouvé la tendresse de son cœur fraternel, toujours prêt à porter leurs fardeaux, et trouvé en lui le conseiller, le guide, l'ami, plus encore le pasteur dont ils avaient besoin Ils savent, eux, plus que tous peut-être, que son autorité venait de Dieu, et qu'elle ne s'exerçait que pour conduire les âmes vers une communion plus intime avec Jésus-Christ.
En servant 1'Eghse, il a servi la France. Son ardent patriotisme était enraciné dans sa foi chrétienne. Sa prédication, son enseignement, la formation religieuse et morale de centaines de catéchumènes, tout cela a valu à la France et lui vaudra longtemps encore d'immenses bienfaits, parce que tout cela signifie des hommes et des femmes, dont la conscience, le caractère sont nourris, pénétrés de sève chrétienne, qui veulent, non pas être servis mais servir, et qui savent que Jésus-Christ possède seul le secret des communautés humaines vivant dans la justice et la paix. Pour tout ce qu'ainsi notre frère bien-aimé a donné à l'Église et à la Patrie nous lui disons merci, mais plus encore nous disons merci à Dieu, un met-ci dont nous savons bien qu'il n'a de valeur que s'il retentit au plus profond de notre vie pour en faire une vie consacrée à servir, à aimer, à sauver -- par amour pour Celui dont Bertrand savait nous rappeler que toujours Il aime le premier.
Notre action de grâces, ma chère Sœur, et vous tous qui êtes les siens, ne nous fait pas oublier votre douleur. Oserai-je dire qu'en quelque mesure elle est nôtre, tellement nous le sentions notre frère et que, désormais, vous ne pourrez être absents de notre intercession ? Mais je sais qu'en vous aussi la reconnaissance sera plus forte que la souffrance, car la lumière qu'il a mise dans vos vies ne cessera d'éclairer vos chemins de la terre. Avec vous, avec tous ceux dont il a été le pasteur, avec nos Églises de France, nous redisons, « l'âme calme et tranquille », dans l'acceptation de la foi « L'Eternel l'avait donné, l'Eternel l'a repris; que le nom de l'Eternel soit béni ! »