pasteur A.N. Bertrand
Oratoire, 3 février 1946
J'ai été saisi par le Christ Jésus.
Philippiens 3, 12.
Voilà, n'est-il pas vrai, un beau témoignage rendu à la puissance du Sauveur par un de ceux qu'il a sauvés; et avec quelle simplicité il est exprimé: « J'ai été saisi par le Christ Jésus! » Saint Paul a dit cela dans une incidente, comme une chose toute simple; et en effet, pour lui c'est une chose toute simple, non pas un souvenir solennel que l'on évoque aux grandes heures de la vie, mais un souvenir qui couvre et domine toute la vie, qui est devenu la vie même de celui qui le possède ou, pour mieux dire, de celui qui en est possédé. Toute la simplicité et toute la richesse de la vie chrétienne en quatre mots.
Et le prédicateur de l'Évangile ose à peine s'arrêter devant une semblable parole; car il faudrait, retrouver la même simplicité, la même candeur devant une vie tout entière dominée par la souveraine initiative du Sauveur; il faudrait une foi qui trouvât naturel de vivre dans le surnaturel. il faudrait porter en soi une vie dont l'humble originalité tiendrait à ceci que ce ne serait plus nous qui' vivons, mais Christ qui vit en nous. Voilà ce qu'il faudrait, et bien d'autres choses encore, pour commenter dignement une semblable parole. Mais quoi ! s'il est normal, s'il est même nécessaire que Dieu attende beaucoup de ses ministres, va-t-il leur interdire de parler s'ils ne sont pas de plain-pied avec Jésus ou avec les Apôtres ? Le prédicateur ne prendra-t-il pas plus volontiers pour thème de sa méditation une parole qui le domine et peut-être qui l'écrase ? Avant d'accueillir une pensée que l'Écriture lui impose de toute son autorité, faudra t-il qu'il ait l'audace de se dire : c'est mon affaire ! je suis suffisant pour ces choses ? - Qu'il s'humilie plutôt avec ses frères, qu'il se penche sur l'infirmité de sa vie spirituelle, qu'il demande à Dieu de lui pardonner tout ce qu'il y a de médiocre dans sa piété, tout ce qui lui manque pour que son témoignage rende un son aussi clair, aussi net que celui de la parole apostolique; et dans cet esprit de confiance et d'humilité, qu'il cherche dans les paroles qui le débordent ce qui peut enrichir la vie intérieure du chrétien et la sienne propre, pendant l'heure que la miséricorde de Dieu ouvre devant notre méditation.
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Je voudrais donc, ce matin, m'approcher pas à pas de nos cœurs saisis par le Christ Jésus, en suivant les traces de ceux dont les yeux furent plus clairvoyants ou les cours plus résolus que les nôtres, et qui surent d'abord ressentir la mainmise impérieuse du Seigneur, et dire ensuite avec une netteté qui nous échappe, leur vie nouvelle et leur coeur changé.
Je songe à tous ces hommes et à toutes ces femmes qui l'ont rencontré, Lui, Jésus, sur les sentiers poussiéreux de la Palestine et qui ont été saisis par Lui; je songe à celui qui était assis au bureau du péage, à ceux qui raccommodaient leurs filets sur la grève du lac de Tibériade, auxquels il a dit : « Toi, suis-moi », et qui l'ont suivi; je songe à l'Inconnue, à la mystérieuse porteuse de parfum qui entra chez Simon le Lépreux et brisa sur Lui le vase d'albâtre; ceux-là et des milliers d'autres ont été saisis. Par quoi ? Disons d'un mot: par la Beauté du Christ. Comment, en effet, nommerions-nous d'un autre mot cette clarté sereine, faite de puissance et de douceur, qui émanait du Fils de l'Homme ? n'est-elle pas ce que nous désignons par ce mot de beauté dont les hommes se servent pour exprimer le charme qu'ils doivent subir sans se défendre, - sans pouvoir, sans vouloir se défendre, - toutes les fois qu'ils rencontrent l'irrésistible puissance de la douceur d'aimer ?
Certes, « Il n'avait ni beauté ni éclat pour éblouir les regards » et les peintres de tous les temps ont en vain essayé de revêtir son être de chair d'une beauté qui fût digne de lui et capable de servir d'expression à la beauté de son âme; mais de lui rayonnait l'Amour, et ceux-là le suivaient dont le cour peuplé de douleur ou de solitude attendait le souffle de l'au-delà. Il ne les saisissait pas à la manière de l'aigle qui fond sur sa proie, Il entrait dans leur vie avec la puissance de ce que Pascal appelle « une douceur toute céleste », et ils étaient à Lui désormais, et rien ne pouvait plus les arracher de ses mains.
Quelques-uns penseront peut-être que ceux qui se laissaient ainsi dominer étaient des natures féminines, dépourvues de virilité, incapables de défendre leur personnalité originelle; et peut-être cela fut-il vrai quelquefois; mais en Lui il n'y eut jamais rien de mièvre ni de sentimental; ceux qui étaient appelés à connaître son pardon ont dû recevoir de ses mains le breuvage amer de la repentance et l'amour qu'il offrait à tous était l'austère et viril amour qui s'est manifesté au monde du haut de la Croix. Et c'est pourquoi cet amour demeure, il saisit encore des âmes au milieu de nous, comme autrefois il met sa main bénissante sur la tête de nos enfants, de ceux qu'Il destinait lui-même au Royaume de Dieu, de ceux dont le cour n'a pas à être brisé, et il les saisit par leur soif d'être aimés, par leur capacité d'aimer. Heureux ceux qui, revenant plus tard vers les souvenirs d'une enfance chrétienne, et cherchant auprès de Dieu la source de toutes les bénédictions reçues, murmurent avec les accents de la gratitude « J'ai grandi à l'ombre de la Croix, mon cour s'est fondu devant une telle splendeur d'amour et de sainteté, et j'ai rendu mes armes à ce pacifique Vainqueur; j'ai été saisi par le Christ Jésus ».
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Ceux-là, ce sont les heureux, ceux dont on peut dire que leur foi n'a pas d'histoire;. mais il y a les autres, les grands, - du moins aux yeux des hommes, car j'imagine qu'aux yeux de. Dieu il n'y
a ni petits ni grands, et que le cour pur d'un enfant est pour Lui une conquête aussi haute que l'âme même d'un saint Paul. Il y a ceux dont le cour a besoin d'être brisé, ceux qui doivent d'abord être jetés à terre et s'entendre crier par leur Vainqueur « Pourquoi me persécutes-tu ? » Combien ont besoin d'être ainsi l'objet d'une sorte de violence Il faut que soit brisée la lourde carapace d'égoïsme, d'aveuglement, dans laquelle ils sont enveloppés. Ils ont le Christ devant les yeux et ils ne le voient pas, ils restent insensibles à la splendeur de sa charité; mais un jour ils se trouvent en présence de sa majesté. Car précisément parce qu'il est le Maître de l'amour, Jésus se dresse, terrible, contre ceux qui foulent aux pieds les préceptes de l'amour, ceux qui se nourrissent de haine et font régner la violence sur la terre. Et il faut bien le dire, dans notre monde moderne où le rayonnement des grandeurs morales est presque éteint, beaucoup entendent sa voix et n'écoutent pas, ils raillent ce lui qui fut parmi les faibles, ils haussent les épaules lorsqu'on leur parle de Dieu, jusqu'au jour où Dieu les précipite de leurs. fausses hauteurs et les livre à la risée des hommes. Ceux-là ne se laissent pas saisir par le Christ Jésus; je dirai qu'ils n'ont pas assez de consistance pour que le Christ les saisisse; ils sont des vanités, des fumées qui glissent entre les mains de qui veut les saisir; et comme dit le Psalmiste, les yeux de l'Eternel sont sur les justes, mais les méchants s'en vont à leur ruine.
Cependant il y a tous les jours, aujourd'hui, comme dans tous les siècles, des hommes et des femmes qui sont livrés, pour leur salut, à la puissance du Christ. Où va-t-il les prendre ? Peut-être dans leur orgueil, peut-être dans leur impureté, ou tout simplement dans une médiocrité tragique où leur vie se consume dans les vanités, et tout à coup l'appel retentit dans leur cour; comme un coup de tonnerre éclate sur leur tête le « Repentez-vous » du Précurseur, et quand ils ont été jetés dans le trouble de leur péché, quand ils ont déjà perdu la joie de mal vivre et qu'ils n'ont pas encore trouvé la joie de bien vivre, quand ils ont perdu l'assurance de douter et qu'ils n'ont pas trouvé l'assurance de croire, alors Jésus paraît. Il paraît en Sauveur, cela va sans dire; mais il paraît d'abord en Maître et en Seigneur, il saisit ces esprits trop faibles, ces cours hésitants, et il s'empare d'eux.
Je parlais tout à l'heure de l'aigle qui fond sur sa proie; mais ici c'est ce qui arrive, bien qu'il s'agisse non de faire mourir mais de faire vivre. Ces âmes, Jésus ne peut les saisir par la seule contemplation de sa beauté, il faut qu'il les arrache à elles-mêmes, qu'il les sorte de leur misère ou de leur médiocrité; il s'en saisit impérieusement et d'un coup d'aile il les enlève au-dessus des bas-fonds, vers les cimes, au-delà des cimes, en plein ciel. Et ne croyez pas, mes Frères, que ce soit là ne image destinée à dramatiser la lutte intérieure, une façon de parler que l'on voudrait faire pittoresque et saisissante; c'est la réalité même. Car le Christ Jésus ne partage pas, Il ne veut pas une moitié d'adoration dont lé reste serait voué à des idoles vaines, une moitié de consécration dont le reste serait le lot de tendresses impures; il nous veut tout entiers et pour toujours, il faut qu'il nous enlève à notre bassesse et parfois à celle de notre milieu. « Je vous ai portés sur des ailes d'aigle », disait l'Eternel aux enfants d'Israël en marche vers leur patrie de demain; mais quand Jésus nous saisit ainsi et nous enlève, il nous conduit plus loin et plus haut que la Terre promise, il dénoue ou brise les liens par lesquels nous étions liés au vieil homme qui était en nous, au vieux monde qui nous tenait prisonniers et Il nous épanouit dans la lumière, dans la Cité où tout est justice et charité.
Notre premier mouvement, lorsque nous pensons à ceux qui ont été ainsi saisis par le Christ Jésus, c'est d'évoquer les grands noms de l'histoire chrétienne saint Paul, saint Augustin, Pascal... et nous n'avons pas tort, car ils ont été réellement saisis par. Christ, Mais cette grâce insigne n'est pas le privilège du génie, pas plus d'ailleurs que de la sainteté; il y a des hommes qui risquaient de n'être plus le lendemain que des déchets, qui ont été arrachés à leur alcoolisme; il y a des femmes qui ont retrouvé une âme; il.y a même 4e braves gens, confortablement installés dans le contentement d'eux-mêmes, qui ont été arrachés à leur torpeur et lances sur les routes hasardeuses de la foi. Il y a peut-être vous, mon Frère, peut-être vous, ma Sœur, peut-être moi... Il y a ceux que Dieu seul connaît. « Venez, les bénis de mon Père. » Réjouissez-vous et entrez dans la joie du salut, car vous avez été saisis par le Christ Jésus.
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Et maintenant, pour terminer, relisons la parole à laquelle nous avons emprunté le sujet de notre méditation : « Ce n'est pas, dit saint Paul, que j'aie déjà remporté la couronne, mais je cherche à la saisir comme j'ai été saisi par le Christ Jésus. »
Quelle bouleversante révélation sur la valeur que Dieu attache à toute âme d'homme, quand on veut bien lire ces lignes avec quelque attention ! Quels sont les deux gestes que l'Apôtre assimile l'un à l'autre. Celui par lequel lui-même saisit la couronne, au prix de la lutte, et celui par lequel Jésus saisit une âme d'homme la sienne. Voilà bien ton amour, ô Christ Jésus; la couronne éternelle de gloire qui devait, auprès de ton Père, remplacer sur ton front la couronne d'épines, elle est faite d'âmes sauvées, d'âmes saisies par Toi. Comme l'Apôtre tendait les mains vers la couronne, toi tu tendais les mains vers les âmes en -perdition et tu 'ambitionnais, comme la plus belle des couronnes, de les -saisir et de les sauver
« J'ai été saisi par le Christ Jésus. » - Que ce ne soit pas seulement le -cri de notre délivrance; que ce soit aussi l'hymne triomphal de notre gratitude envers Celui qui nous a aimés.
Amen.