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« Recherche la patience ! »

(1 Timothée 6:11)

 

Sermon prêché à l’Oratoire du Louvre
par M. le Pasteur René Château
Le dimanche 12 Mai 1985

Cantiques : Psaume 36/1+2+3
Cantique 78/1+2+3
Cantique 308/1+2+3

 

« Recherche la patience : »

Quelle invite prestigieuse, mais quel mot d’ordre difficile à accepter par l’homme moderne, cet impatient par excellence ! Comme souvent, l’apôtre Paul reprend ici l’un des grands thèmes de l’évangile. Que de fois le Christ a-t-il recommandé la patience à ses disciples ! De l’évangile des Béatitudes à l’Evangile de la Croix, que de fois leur a-t-il rappelé que seule la patience du cœur peut offrir à l’homme la plénitude de la vie, la maîtrise de soi-même, le secret de la vraie communion avec Dieu !

Le drame de notre fin du vingtième siècle est, pour une large part, le drame de l’impatience. Impatience des groupes humains, des plus petits aux plus grands, devant l’accélération impitoyable de l’histoire, devant la crise civique, économique, culturelle et morale de toutes les civilisations contemporaines. Impatience de ceux qui sont le plus directement menacés par les grands fléaux sociaux : la violence aveugle et destructrice, la guerre et son cortège d’épouvantes, le chômage, la famine, le mépris cynique des droits de l’homme et des devoirs de la solidarité fraternelle.

Impatience aussi de ceux là-mêmes qui sont privilégiés, mais qui se jugent pourtant injustement brimés et spoliés par les difficultés d’une époque de récession, difficultés que n’avaient pas prévues les théoriciens optimistes d’une croissance économique sans défaillance et d’un niveau de vie en expansion pour tous.

« Recherche la patience ! »

Cette recherche est essentielle pour nous tous, car la patience nous assure une plénitude de vie. Elle nous réintègre dans le rythme harmonieux de la Création dont nous avons une si fâcheuse tendance à nous écarter. La nature est patiente. Comme la tortue de la fable, elle va lentement, sûrement, honnêtement. Ses moissons ne sont pas un caprice. Elles sont un exaucement. Des labours aux semailles, des semailles à la lente et secrète germination du grain, de la germination au blé en herbe et du blé en herbe à l’épi mûr, il y a la continuité fidèle d’un devoir et la merveilleuse réalisation d’une promesse.

Et que dire alors d’une vie d’homme ?

Il en faut des veilles, des sacrifices, des conseils, des travaux, il en faut de la patience pour faire d’un petit enfant fragile un homme bien armé pour l’aventure de la vie. Toute éducation digne de ce nom est d’abord une longue patience. Dieu a voulu qu’il en soit ainsi. Avant de semer, il faut labourer. Avant de récolter, il faut semer. Avant de savoir, il faut apprendre. Une préparation humble et fidèle est, à elle seule, un service. Elle est une invite à suivre le chemin étroit qui mène à la vie.

C’est sur ce chemin étroit, ce chemin qui monte, que nous pouvons vivre le moment présent dans sa totalité. Le passé n’est plus. L’avenir n’est pas encore. De l’un comme de l’autre nous ne sommes pas les maîtres. Seul Dieu les tient, l’un et l’autre, dans sa main.

A chaque jour suffit la peine du jour. Si nous pouvions lire d’avance le dernier feuillet du livre de nos journées, nous serions désarmés et malheureux, et la vie ne nous intéresserait plus. Ce serait une vie dans recherche, sans patiente espérance.

L’impatience ne peut que nous pousser à vivre dans le rêve, à bâtir des chimères que la réalité détruira et à nous laisser finalement surprendre dans nos projets ambitieux ou aveugles, comme l’insensé de la parabole évangélique, par la voix de Celui qui viendra nous dire : »Cette nuit même, ton âme te sera redemandée. »

Impatients, nous faisons semblant de vivre. Nous ne vivons pas vraiment.

Patients, nous assumons la totalité de l’instant qui passe. A l’école du Christ, sachons donc vivre notre présent sans arrière-pensée, sans crainte vaine. Nos journées s’en trouveront enrichies, embellies, transformées, purifiées.

Aux heures limpides et douces, quand nous nous sentons enveloppés de bonne volonté et d’affection, quand se réalisent nos vœux et nos désirs les plus chers, vivons notre présent dans la ferveur de la reconnaissance !

Et quand viendront les heures lourdes et obscures, celles qui peut-être fondront sur nous à l’improviste comme pour nous terrasser et nous foudroyer ; que la grâce de Dieu nous permet de les vivre en en assumant la charge entière !

Seuls ceux qui savent regarder le malheur en face peuvent le dominer et finalement le vaincre. Ils n’ont point gaspillé à l’avance leurs forces de résistance. Elles sont là dans le ressourcement intérieur dont parle l’Evangile. Le Dieu de la fidélité les multiplie au moment-même où nous en avons le plus besoin.

Il en est sûrement parmi vous, chers frères et sœurs amis, qui sont passés par le chemin de l’épreuve, un chemin difficile et parfois même impossible. Ceux-là savent que c’est à l’heure des difficultés les plus insurmontables qu’une main mystérieuse est venue les soutenir, les relever, les guider, les fortifier, et qu’une voix, qui n’était pas la voix des hommes leur a dit : « Courage ! Patience ! Je suis là pour porter avec toi ton fardeau ».

« Recherche la patience ! »

Dans la ligne de l’Evangile, l’apôtre Paul nous rappelle que la patience est une éducatrice qui nous enseigne la maîtrise de nous-mêmes.

La maîtrise de soi est une exigence chrétienne, donc universaliste. L’Evangile ne nous la présente pas comme une grâce inaccessible au commun des mortels, comme un devoir qui ne concernerait qu’une élite de grands croyants, ou de grands savants, ou le petit groupe des grands responsables des destins des nations.

Certes, nul doute que la maîtrise de soi ne doive être réclamée des puissants de la terre. Nul doute que dans le discordant tohu-bohu des invectives, des menaces, des coups de force, de rivalités, des excommunications de la vie internationale et même de la vie nationale, on aimerait que de loin en loin les princes du pouvoir de tous les horizons se souviennent de ce merveilleux proverbe de la sagesse biblique :

« Celui qui est patient vaut mieux que le plus vaillant guerrier. Celui qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes. »

L’Evangile s’adresse à tous les hommes, aux plus connus mais aussi aux plus humbles. L’appel à la maîtrise de soi-même par la patience est destiné à chacun de nous.

Le mot « maîtrise » évoque souvent l’idée de perfection dans le travail. Le « maître-ouvrier » doit savoir pratiquer l’art admirable de la patience. Il ne se résigne pas aux réalisations médiocres, à la tâche vite bâclée. Le grand naturaliste Buffon aimait à dire que « le génie est une longue patience ». Ce fut vrai pour les plus grands chercheurs, d’Archimède à Louis Pasteur et à Pierre et Marie Curie.

S’il existe une étincelle du génie, subite et éclatante révélation d’une vérité jusqu’alors cachée et inconnue des hommes, cette étincelle ne jaillit que dans le climat du travail austère, persévérant, désintéressé, patient.

Certes, nous le savons bien, il n’est pas donné à tous les hommes de faire une œuvre géniale, mais la patience dans l’effort soutenu peut parer l’œuvre la plus modeste de noblesse et de beauté.

La patience ne donne pas seulement à l’homme la maîtrise de son travail quotidien. Elle lui enseigne aussi l’art difficile d’être compréhensif et tolérant à l’égard de son prochain. Qu’il est dur de se mettre à la portée des autres, de les comprendre ou simplement de les connaître de cette connaissance loyale, amicale, dont la Bible nous dit qu’elle est l’une des formes de l’amour ! Que de cœurs fermés, que de colères, que de situations bloquées pourraient être évités par le miracle de la persévérante patience !

Mais, dira-t-on, comment garder la maîtrise de soi-même et rester de sang froid lorsque tant d’hommes s’acharnent à nous décevoir ou à nous provoquer, lorsque les événements sont défavorables ou que la maladie et l’épreuve nous accablent.

Eh bien, c’est alors surtout que nous avons besoin de la vraie patience, celle qui n’est pas la simple résignation à l’inévitable, celle qui n’est pas l’abdication devant le mal qui torture la chair ou le cœur, celle qui est bien plutôt la volonté déterminée de faire servir l’épreuve personnelle qui nous frappe à notre bien spirituel et au bien des autres hommes.

La patience évangélique écarte de nos cœurs le désespoir et le blasphème. Elle nous offre la clef d’or des autres âmes et de notre âme, et le poète douloureux avait raison de nous rappeler que :

« Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert ».

Il faut avoir expérimenté en profondeur la fragilité de la condition humaine au travers du dépouillement, de la maladie, de l’épreuve inattendue, pour mieux comprendre la peine des autres, pour mieux les aider et les aimer, pour mieux reconnaître aussi, comme des grâces de Dieu, ces biens humbles et précieux dont nous ne mesurons souvent la valeur qu’après les avoir perdus : la santé, la paix, l’amitié, l’affection des êtres aimés.

« Recherche la patience ! »

La patience nous rapproche des hommes. Elle éclaire en même temps la route d’une vivante communion avec Dieu. « Patiens quia aeternus » Dieu est patient parce qu’il est éternel, disait Saint Augustin, ce croyant qui avait expérimenté dans sa vie la patience miséricordieuse de Dieu.

Patience du Dieu d’éternité au regard duquel mille ans sont comme un jour et dont la science humaine ne sait que redécouvrir et balbutier quelques-uns des très nombreux secrets.

Patience du Dieu d’Abraham, de Moïse et des prophètes, du Dieu qui choisit le chemin difficile des lentes révélations, qui porte son dévolu sur un petit peuple sans pouvoir, sans richesse, sans grandeur apparente, pour en faire le mystérieux porte-parole de sa vérité, de ses exigences, de sa justice, le témoin irrécusable de sa présence dans l’histoire des hommes.

Quel étrange destin que celui du peuple d’Israël : Il a appris la patience par les choses qu’il a souffertes. Sa plus grande gloire est d’avoir été patient dans l’épreuve.

Patient, Israël le fut il y a quelques millénaires, alors que pourchassé, exilé, persécuté, il refusait d’abdiquer sa personnalité devant les grands empires du passé : l’Egypte de Ramsès, l’Assyrie d’Assurbanipal, la Babylone de Nébucadnetsar, la Rome des Césars.

Patient, l’Israël d’aujourd’hui l’est demeuré. Il a connu en notre siècle l’un des plus atroces génocides de l’Histoire.

Grandi par la souffrance de ses fils, par le courage, il demeure avant tout, pour les chrétiens de toutes les églises, le peuple de la Bible, le peuple qui perdu son temple de pierre et son sacerdoce ecclésial, mais qui nous invite, par cela même, à bâtir en nos cœurs le sanctuaire intérieur, à donner la priorité à la religion en esprit. Dans cette perspective d’intériorité, chaque croyant peut reconnaître les étapes de sa propre route au travers des recherches, des épreuves, des élans, des infidélités, des repentirs, des renouveaux du peuple biblique, témoin prophétique de la patience de Dieu, de ses exigences, de son amour, de son pardon.

« Recherche la patience ! »

 

La patience, vertu biblique, nous introduit surtout dans la communion du plus grand des fils d’Israël, Jésus-Christ, celui qui incarna sur la terre la patience du Dieu d’amour.

Le Christ fut le héros de la patience fidèle. Pendant trente ans d’effacement volontaire, il partagea à Nazareth la peine et le travail des plus humbles parmi les hommes. Lui, le plus grand des révélateurs de l’Esprit, il fut d’abord un simple petit charpentier de village. Ce temps de travail manuel et de patiente préparation lui permit d’observer d’un œil lucide le monde des hommes et de la nature et d’en tirer les sublimes leçons des paraboles.

Vint ensuite l’heure de la grande aventure évangélique. Alors, la patience du Christ fut sa force. Inlassablement, sans se décourager, il initia les lourdes intelligences et les cœurs partagés de ses disciples aux mystères du Royaume de Dieu.

Patient avec tous, avec les péagers et les pécheurs, avec les docteurs d la loi infatués de leurs vertus et de leur traditions, Jésus le fut même envers ceux à l’égard desquels son impatience aurait été la plus légitime : envers Judas, qui l’avait trahi ; envers Pierre, qui l’avait renié ; envers Thomas, qui avait douté.

Patient même sur la Croix, Jésus ouvrit la porte du Ciel à l’un de ses misérables compagnons de supplice et puis il prononça l’ultime prière de la patience confiante ; « Entre tes mains, Seigneur ! ».

C’est parce que le Christ a prononcé cette ultime prière, c’est parce qu’il a accepté d’être patient jusqu’à la mort de la croix que l’heure de l’ultime accomplissement, l’heure de l’ultime exaucement a sonné à l’aube des revanches de l’Esprit. Cette heure de victoire et de lumière a souverainement élevé et justifié le Christ en justifiant du même coup la patience de tous les croyants.

Frères et sœurs, la patience humaine est déjà belle quand, à l’invite de l’Evangile, elle nous demande d’attendre, dans l’espérance et le courage, la venue des heures libératrices. N’est-elle pas plus belle encore quand elle nous exhorte à recevoir, à chaque tournant de nos routes, la lumière du Christ sauveur, afin que chacune de nos heures, vécue dans l’espérance de la foi, dans la joie du service, soit ici-bas une heure de plénitude, une heure d’éternité ! « Entre tes mains Seigneurs ! ».

Amen

(Merci à Mme Monique Ngontamack pour la numérisation de ce texte)

 

 

pasteur René Château

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