pasteur Vidal
Oratoire du Louvre, Pentecôte 1957
Le vent souffle où il veut et tu en entends le bruit, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l’Esprit. (Jean3:8)
Mes Frères, chers Catéchumènes,
Le vent ! En hébreu, comme en grec et en latin, et en français aussi, comme dans la plupart des langues, si on se réfère à l’éthymologie, ce mot signifie également l’Esprit. C’est que l’Esprit est un souffle qui passe, “et tu en entends le bruit.” Ouragan de grandes orgue ou murmure doux et léger de flûtes ou de pipeaux, il a du vent la puissance et la douceur. Tantôt il brise, arrache, renverse, il entraîne les âmes, les soulève, les emporte dans son irrésistible élan, tantôt dans les jours torrides, sous le ciel de plomb de l’épreuve où les âmes étouffent, il les vient rafraichir et ranimer comme la caresse d’une brise céleste. Nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il n’a ouvert son âme à cette inspiration, s’il n’a connu cette violence et cette douceur ; les choses de l’Esprit lui demeurent fermées, car il n’est pas né de l’Esprit et à l’Esprit.
Nicodème, ce brave homme timide et positif ne comprend pas. Il aime les choses précises et bien définies. Parlez-lui d’une bonne règle de conduite, séparant nettement le bien du mal, indiquant sans erreur possible ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Donnez lui une doctrine sûre précisant ce qu’il doit croire et ce qu’il ne doit pas croire, répondant à tous ses “pourquoi” et ses “comment”. Mais ce vent de l’esprit qui “souffle où il veut”, dont on ne sait “ni d’où il vient ni où il va”, l’inquiète et l’effraye. Il lui faut une maison solide, bien close, dont il connaisse tous les aitres, où il puisse se sentir en sécurité, à l’abri des tourments du doute et des attaques du péché, une maison qui l’abritera aussi, peut-être n’ose-t-il pas se l’avouer, du vent de l’Esprit dont il redoute les sautes, les caprices et les tempêtes.
Ne sommes-nous pas de ces Nicodèmes craintifs à la recherche de positions abritées où s’étiole la vie spirituelle ? Si nous sommes nés ou si nous voulons naitre de l’Esprit, apprenons donc du Christ à respecter son mystère et à obéir à ses exigences.
“L’Esprit souffle où il veut”, il est libre, totalement, souverainement libre ! Son action et ses mouvements sont imprévisibles. Ils ne tiennent compte d’aucune considération humaine, ni des diplômes, ni de la science, pas même de la science théologique. L’Esprit empoigne Amos derrière son troupeau, le jette face au grand prêtre Amatsia, et c’est lui, le berger qui est revêtu de sa puissance dont le dignitaire consacré, sous ses insignes, reste démuni. Devant le Sanhédrin, conseil des augures du temple et le la Synagogue, c’est le diacre Etienne seul, néophyte d’une secte abhorrée, qui est rempli d’esprit et de puissance.
L’Esprit échappe à toute main mise, à toute tentative de monopole et de confiscation. Aucune église, aucune doctrine n’a le droit de l’accaparer, ni le pouvoir, car dès lors qu’elle veut le séquestrer, il la déserte. Et l'Eglise, fut-elle remplie de fidèles, reste vide de Dieu. Et la doctrine, donnerait-elle toute satisfaction à la raison, répondrait-elle à tous ses pourquoi et à tous ses comment, n'est plus qu'un cadre desséché que la vie n'anime plus. Bien plus la vérité doctrinale, la rectitude des croyances n'est pas le signe certain de la présence et de l'action de l'esprit. Car l'esprit est vie, et il ne sert de rien de penser juste si on ne vit pas ce qu’on pense. Il arrive même que l'esprit anime l'hérétique sinon dans son erreur même, du moins en dépit de son erreur et qu’il le fasse vivre dans la vérité, tandis que l’orthodoxe, intellectuellement attaché à la vérité, peut vivre dans l’erreur si l’esprit ne l’anime pas, et demeure incapable de connaitre les choses de l’esprit, puisque c’est spirituellement qu’on juge.
Ces deux admirables malades dont la souffrance fut une ascension à la gloire, Adèle Kamm et Adèle Flourney, trouvaient force, l’une dans la certitude que sa maladie lui venait de la main de Dieu, l’autre dans la certitude contraire. L’une des deux, sans doute, se trompait. Et qu’importe ! Son erreur n’était qu’une erreur de pensée et non pas de foi et de vie. Et l’Esprit ne s’en soucie guère, pourvu que ceux qu’il a saisis vivent de lui et par lui.
“L’Esprit souffle où il veut et tu ne sais ni d’où il vient ni où il va.” Bien sûr nous savons qu’il vient de Dieu et qu’il conduit à Dieu, donc à la sainteté. Mais sans doute le Christ songeait-il aux “comment ? “ de Nicodème, (comment cela peut-il se faire ? Comment peut-on naitre à la vie de l’Esprit ? ) et voulait-il lui faire entendre que la naissance de l’Esprit, tout comme son action, reste mystérieuse, et qu’on ne peut ni provoquer l’une, ni diriger l’autre.
Toujours ce désir non seulement de savoir et de saisir, mais de contrôler, de mener à sa guise. Les prêtres de Baal, jadis sur le Carmel, poussaient des hurlements, pratiquaient des incisions sur leur corps, se mettaient en état de transe pour attirer le feu de l’esprit et capter sa puissance. Certes de telles pratiques n’ont plus cours dans notre Christianisme, et pourtant ne faut-il pas en voir la survivance dans l’atmosphère de certaines réunions où les appels pressants ne stimulent pas toujours le meilleur de l’homme, où la tension nerveuse trop souvent donne l’illusion de l’approche de l’Esprit, où l’imposition des mains banalisées devient un procédé par quoi l’Esprit, lié et capté par le geste, est mis à la disposition de l’homme. Non, l’Esprit n’a pas été dressé à répondre aux appels des hommes, il ne tombe pas dans leurs panneaux, il ne se laisse pas apprivoiser, bien moins encore se laisse-t-il acheter par les magiciens en quête d’un pouvoir dont ils pourront faire source de prestige ou de profit. Il ne se laisse pas saisir, c’est lui qui nous saisit et qui commande. C’est Dieu qui le donne quand bon lui semble et à qui bon lui semble. Qu’il en soit loué ! lui seul sait qui est digne de le recevoir et capable de le porter.
Saisis par lui, nous voudrions encore pouvoir le retenir,
le mettre au pas quand le train qu'il nous contraint de mener nous effraye, le mettre à la raison quand son élan, nous entraine à la folie. L'Esprit ne se laisse pas enrêner. Il n'est au service d'aucun homme ni d'aucune église; il les met à son service. Nous voudrions savoir, avant de nous laisser emporter, où il va et jusqu'où il nous mènera, et par où il nous fera passer; il nous laisse dans l'ignorance. Nécessaire et salutaire ignorance ! Que de fois nous nous sentirions découragés, écrasés, si nous savions à l'avance par quels chemins il nous faudra passer parce que Dieu l'exige, mais l'Esprit, jour après jour, proportionne les forces qu'il nous donne à l'effort qu'il ordonne et chaque effort rend capable d'un plus grand effort, et chaque victoire rend possible d'autres victoires. Croyons en l'expérience du psalmiste qui disait des pèlerins de l'esprit : "Ils trouvent dans leur coeur des chemins tout tracés lorsqu'ils traversent la vallée des larmes, ils en font un lieu plein de sources et leur force augmente pendant la marche."
N'ayons donc point de peur, mes frères, et vous particulièrement, chers catéchumènes, à l'heure des appels, de l'esprit, troublés peut-être par la perspective de sa mystérieuse possession, dans l'ignorance
de ce qu'il exigera de vous demain, si dès aujourd'hui vous acceptez son emprise, des combats qu'il vous contraindra de livrer, des blessures qu'il vous infligera, des sacrifices qu'il vous imposera, ne craignez pas ! Certes les possédés de l'Esprit ne sont pas à l'abri de la souffrance, mais ils sont libérés des mornes tristesses du monde de ces sombres mélancolies et de son désespoir. Ils sont, eux, les appelés de la joie, car l'Esprit qui les saisit, c'est l'Esprit du Dieu d'amour, qui veut leur bonheur. Un bonheur difficile ! Le bonheur l'est toujours, car nous ne le pouvons atteindre que dans le sens de notre vocation profonde, dans l'accomplissement de notre être, hors de quoi, même au travers des succès, dans la satisfaction de nos terrestres ambitions, sous les lauriers et sous les palmes, nous sommes promis au désespoir qui pèse sur les vies gâchées : "Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s'il venait à perdre son âme." ?
"L'Esprit souffle où il veut. Tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va, mais tu entends le bruit." Il est trop facile de dire : "Si l'Esprit souffle où il veut, qu'y puis-je, moi, si je ne l'ai point reçu, s'il ne m'a point saisi." Mais-la liberté de l'Esprit n'est pas celle du caprice. Qu'il souffle où il veut, cela signifie simplement qu'il n'est pas lié à ton caprice ou à tes désirs, qu'il ne dépend pas de toi, mais que tu dépends de lui. Mais il t'appartient de le chercher et de te mettre en état de le recevoir. Car, si tu ne sais ni d'où il vient ni où il va, tu sais où il passe, tu en entends le bruit. L'Esprit ne souffle pas sur le monde sans provoquer des éclats, des résistances, des conflits et par là même du tumulte. Partout où il passe, l'Esprit se heurte à l'opposition des méchants et à l'inertie des satisfaits, et c'est la bataille avec toutes ses clameurs dont la terre est ébranlée. Des peuples se lèvent pour courir l'aventure de la foi, conduits par des chefs inspirés. Abraham part sans savoir où il va ; Moïse arrache Israël au Pharaon et l'entraine vers la Terre Promise par le désert ; Nathan, Elie et Jean-Baptiste dénoncent les crimes de leur roi ; les apôtres, désarmés, renversent des empires, animés par la puissance de l'Esprit.
Fracas d'écroulement des institutions et des régimes fondés sur la force, le mensonge et l'iniquité, bruits de révolutions et de chaînes brisées, hurlements de démons traqués dans leurs repaires ! à travers les âges, toujours, ce tumulte a signalé les poussées de l'Esprit, et il les signales encore aujourd'hui partout où il jette ses pionniers dans la lutte contre ce qui dégrade et avilit les hommes. Pourrions nus prétendre que nous ne savons pas, que nous n'entendons pas ? Mais si les cris des victimes ne parviennent jusqu'à nos coeurs trop calfeutrés, les clameurs plus bruyantes de ceux qui vivent de 'exploitation de la misère de l'homme, ou de ses vices, lorsqu'ils se trouvent menacés de frustration, ne nous permettent pas d'ignorer où se situe le combat de l'esprit. Jadis quand s'égaraient les éléments d'une armée privés de point de repère, ils marchaient au canon ; nous aussi, dans l'ignorance de la route qu'il nous faut prendre, laisserons nous guider par le bruit de l'Esprit, assurés de le trouver au poste de combat qu'il nous assigne.
D'ailleurs le bruit de l'Esprit ne vient pas du dehors seulement, il est en nous. Nous connaissons bien ce tumulte intérieur, ces orages qu'il déchaine dans nos coeurs et dans nos vies, ces déchirements intérieurs provoqués par nos résistances à ses pressions, mais aussi le murmure de brise douce et légère qui dans l'obéissance et l'acceptation, vient rafraichir nos coeurs brulants.
Ces élans qui nous soulèvent et nous fait plus grands que nous, et ces temps misérables de tristesse, de dégoût de nous-mêmes et de la vie, où nous ont laissé nos refus. Déjà chers catéchumènes vous avez connu le tumulte de ce combat intérieur, ces joies et ce tourment. N'en doutez pas - c'est l'oeuvre de l'esprit qui besogne e vous. Ne le repoussez pas ! ne vous protégez pas pour vous mettre à l'abri de ses blessures ! vous vous abriteriez aussi de ses forces et de ses joies. Pourtant, nous traversons tous des temps où nous nous sentons vides d'esprit, des jours de calme plat, d'immobilité où pas un souffle ne passe pour gonfler notre voile. Comment pourrions-nous prendre part au combat, désarmés et sans forces. Mais le vent, s'il souffle où il veut, a pourtant ses routes familières, ses hauts lieux constamment visités et ces grands espaces libres où il se déploie et où nul obstacle ne vient briser son élan :
C'était, pour Israël, le désert vide d'hommes et plein de Dieu où les prophètes épuisés venaient se recharger d'Esprit. Et pour nous, mais o'est l'Eglise née de la Pentecôte, et qu'en dépit de ses erreurs et de ses défaillances, le souffle de l'esprit garde debout et vivante. Chers catéchumènes, peut-être trouverez vous dans votre église des déceptions, sans doute vous fournira-t-elle des motifs de critique. Elle est un organisme humain, avec ses faiblesses, ses misères, mais cet organisme est né de l’esprit et c'est l'Esprit qui le fait vivre. Elle est une des preuves de la réalité de l'Esprit et de sa puissance, car depuis longtemps, à travers ses épreuves, sous les persécutions, sous sous les coups de la puissance du mal, par l'indifférence de tant de ses membres, elle serait tombée, si l'Esprit ne l'avait portée. Et c'est elle qui, sans cesse, depuis qu'il est au monde, lui fournit les artisans de ses délivrances, de ses ascensions et de ses victoires. Ce n'est pas en la désertant que vous trouverez ou que vous pourrez apporter au monde plus de richesses, de forces et de joie, c'est en la soutenant, s'il le faut en la réformant, en la gardant ouverte au souffle de l'esprit, en écartant d'elle cette constante tentation, pour s'abriter de l'erreur et du mal, de dresser des barrières et des paratonnerres, de s'abriter derrière des forteresses doctrinales, des formalismes et des légalismes qui l'abritent également des coups du vent et des coups de foudre de l'Esprit.
Par dessus tout, mes Frères, et vous en particulier, chers catéchumènes, dans cette Eglise, devant l'Esprit qui souffle où il veut, dont vous ne savez ni d'où il vient ni où il va, restez disponibles, c'est à dire libres de toute attache, de toute chaîne qui pourrait vous retenir quand il voudra vous entrainer, ouverts pour l'accueillir, prêts à l'obéissance quoiqu'il exige.
Ceux qui se tiennent sur ses routes, sur ses passages, humbles et prêts, ceux qui lui disent : "Je suis à ta disposition, quand tu voudras, où tu voudras ! " tôt ou tard il les saisit et les emporte dans son combat, mais pour leur donner ses victoires et sa joie.
Et voici la voie le plus sûre : celle qui conduit à la Table du Seigneur, j'entends celle qui passe par le sacrifice, par le don de soi ! Vous savez que le Seigneur c'est l'Esprit ; ici le Seigneur qui est l'Esprit s'offre lui-même à votre faim. Venez et par lui vous aurez la vie.
Amen.