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Anciennes Prédications >Wilfred Monod, "Monte plus haut !"

Mon ami, monte plus haut !

(Luc 14:10)

 

pasteur Wilfred Monod
Oratoire du Louvre, 1930

« Mon ami, monte plus haut!» (Luc XIV, 10),

 

Sermon prêché à l'Oratoire du Louvre par le pasteur Wilfred Monod

« Mon ami, monte plus haut!» (Luc XIV, ta),

 

Mes Frères,

Jésus attribue cette parole à un homme qui, ayant invité plusieurs convives, s'aperçut que l'un d'entre eux s'effaçait par modestie ; l'hôte le pria de prendre une place plus honorable, au centre du banquet : « Mon ami, monte plus haut ! »

Je me propose d'examiner quelques-unes des raisons variées qui amènent des auditeurs dans notre sanctuaire. Nous passerons des motifs les plus ordinaires aux motifs les plus élevés, si bien que le déroulement de la présente méditation sera un appel de plus en plus pressant, pour chacune de vos âmes, à « monter plus haut ».

Une première catégorie d'auditeurs, minime sans doute mais réelle, est composée — dans une assemblée comme celle-ci — de ceux que je nommerai les visiteurs. Ils pénètrent à l'Oratoire, le dimanche, un peu comme des papillons par une fenêtre ouverte, sans trop savoir pourquoi. C'est bien le cas de ceux qui, découvrant ce temple sur leur passage, y entrent d'emblée, mus par une curiosité, d'ailleurs, légitime. Mais, parmi les visiteurs, il en est qui sont présents de propos délibéré ; étrangers traversant Paris, protestants de toutes nuances, appartenant à d'autres paroisses ou à d'autres tendances doctrinales, ou à d'autres formations ecclésiastiques, disciples de Luther, de Wesley, de William Booth, catholiques romains, israélites, libres penseurs. Notre temple est riche en recoins obscurs qui favorisent l'évangélisation ; car des auditeurs timides en profitent pour se mêler à nos fidèles sans être observés. Même la soutane du prêtre s'est glissée dans notre assemblée.

La situation centrale de l'Oratoire explique pareille attirance. Or, celle-ci fait peser sur notre église une responsabilité dont nous ne prenons pas assez conscience ; notre influence gagnerait en étendue et en efficacité si nous annoncions notre culte par la presse locale, par des avis dans les hôtels du quartier, par des invitations distribuées aux abords du temple, chaque dimanche. Je sais une femme intelligente, née dans le catholicisme, et sans piété personnelle, qui suivit une amie à l'Oratoire ; saisie par l'Evangile, elle devint membre de notre église; aujourd'hui, elle est missionnaire en Afrique au milieu des noirs...

Chers visiteurs occasionnels, présents dans cette assemblée, je vous salue ! Ce n'est point le hasard qui vous amena, mais l'Esprit de Dieu ; acceptez la bénédiction définitive, éternelle, qui vous est offerte aujourd'hui (sous une forme imprévue, pressante, miséricordieuse), à vous personnellement. Ne craignez pas d'entrer en relation avec les pasteurs de cette église ; vous trouverez en eux des serviteurs, des amis et des guides.

Après la catégorie si instable des visiteurs, examinons celle des habilités. Je désigne par là, non point tous ceux qui fréquentent régulièrement le culte, mais ceux qui viendraient ici par simple accoutumance, et sans réfléchir sérieusement sur la vraie raison de leur présence dans l'assemblée dominicale.

Au fond, ils ne sentent pas le besoin de l'expliquer. Ils font ce que leurs parents firent — c'est la tradition ; ils font ce que leurs enfants devront faire — c'est l'éducation. Les formes du Passé mûrissent dans le Présent, sous leurs yeux, comme un fruit que l'Avenir colore déjà de sa rougeur.

Leur attitude est très humaine ; car l'instinct de conservation, si placide en apparence, recouvre souvent quelque obscur mouvement réflexe de défense contre les puissances destructives qui nous menacent. Dans l'attitude, parfois si décriée, du conservatisme, peut s'exprimer un sentiment pathétique

la lancinante conscience du drame de l'écoulement universel des choses. De plus, la fidélité aux traditions a une valeur positive ; il n'est pas indifférent qu'un groupe religieux s'attache à des institutions vénérables ; car en gardant le contact avec elles, malgré sa misère ou même son indignité, il protège en quelque sorte le sol végétal où les germes vivants, un jour, au souffle de quelque réveil printanier, pourront soudain s'épanouir. Voilà, sans doute, ce qui justifie pédagogiquement la question posée en public aux catéchumènes : « Promettez-vous de fréquenter nos saintes assemblées ? »

Mais, d'autre part, un aveugle respect du passé, quand il reste figé dans l'ignorance, dégénère en obstination, en fanatisme ; et alors, trop souvent, dès qu'il est question de modifier une forme ou une formule, la frayeur irraisonnée de tout changement éclate en crises de fureur ou de haine. Hélas! l'histoire de l'Eglise fut empoisonnée par ce délire. C'est pourquoi, il est bon que les habitués du sanctuaire essayent, au moins, de se justifier à eux-mêmes leur présence au culte. Or, parmi ceux qui fréquentent nos saintes assemblées, sans posséder personnellement des convictions chrétiennes, on rencontre des fidèles qui n'éprouvent aucune difficulté à expliquer leur assiduité au culte. Pour eux, c'est une question de principe ; ils soutiennent « la Religion » au nom d'un raisonnement pratique. Les uns le font par discipline sociale ; contre les courants souterrains de l'Anarchie ou de la Révolution, ils sont résolus à fortifier l'Ordre par tous les moyens ; ils veulent opposer une digue à ces inondations soudaines qui crèvent le sol et menacent la civilisation.

D'autres fidèles sont plutôt inspirés par des préoccupations morales ; ils voient disparaître le sentiment de l'honneur professionnel parmi les jeunes, l'honnêteté dans les affaires, la pudeur dans les familles, la véracité dans les journaux ; la conscience privée ou publique semble prête à s'effondrer, comme un plancher surchargé qui fléchit. Alors ces observateurs sincères sont envahis par une angoisse inénarrable, ils redoutent une catastrophe morale sans nom ; et pour la conjurer si possible, ils viennent réciter solennellement, dimanche après dimanche, le vieux Décalogue de Moïse.

On fréquente aussi nos saintes assemblées, non seulement par discipline sociale ou morale, mais par discipline protestante. J'ai connu dans nos églises des fidèles qui n'osaient pas s'intituler disciples du Christ, mais qui revendiquaient le titre de huguenots ; pour eux, les bûchers de nos martyrs brûlaient toujours, comme le Buisson ardent, du feu qui ne s'éteint point ; et par simple loyalisme envers la mémoire de nos héros, par simple gratitude envers les sublimes lutteurs qui nous conquirent la liberté de conscience, — ces modernes vénérateurs de notre passé glorieux, plus protestants que chrétiens, se faisaient un devoir et un honneur de chanter les Psaumes de nos pères dans la communion de l'Eglise Réformée.

Enfin, parmi les habitués qui suivent notre culte pour appliquer une conviction raisonnée (moins par besoin personnel que par discipline), il faut ranger les simples « pratiquants », terme banal et en même temps expressif, ceux qui voient naïvement, dans les cérémonies et les symboles de leur église, des manifestations liturgiques ordonnées par le Très-Haut. Associés à notre culte public, ils ont l'impression d'accomplir un acte d'obéissance presque méritoire ; en se pliant aux exigences rituelles de l'Eternel, ils espèrent lui plaire d'une manière très spéciale, et

bénéficier ainsi des promesses divines édictées en faveur des croyants soumis qui honorent le Roi des rois.

Pareils sentiments sont parfois très respectables, car ils peuvent exprimer, sous une forme simpliste et un peu gauche, une aspiration profonde et mal définie à la communion avec le Père céleste, ou seulement avec le « Dieu inconnu », inconnaissable, adoré par les dévots de toutes les religions. Mais, d'autre part, quelle est la valeur morale d'une participation extérieure et intéressée au culte public, lorsque celui-ci est envisagé comme une espèce d'obligation protocolaire, comme une manière de se mettre en règle avec l'Omnipotent et de signer un contrat hebdomadaire contre les risques de l'Au-delà, une Assurance contre l'Incendie de l'Enfer ? Avouez qu'une pareille attitude peut rester alliée à une absence totale de réelle expérience religieuse, de piété intime et de vie spirituelle... « Mon ami, monte plus haut ! »

Heureusement, nos Eglises de la Réforme, inspirées par l'Evangile, sont réfractaires à la religiosité superficielle ou à la dévotion superstitieuse. Dans une assemblée comme celle-ci, la grande majorité des fidèles a dépassé le niveau où se tiennent les simples habitués. A notre époque de trépidation et de dispersion, les protestants qui résistent fermement à toutes les énergies centrifuges et qui se rassemblent, chaque dimanche, dans la maison de prière, savent parfaitement ce qu'ils viennent chercher au sanctuaire. Ils appartiennent à la grande famille des « travaillés » et des « chargés ».

Dans la forêt, les abords d'une mare solitaire s'animent au lever du jour et au coucher du soleil, parce que la soif y ramène irrésistiblement des créatures errantes dans le sous-bois. De même, les âmes entendent la voix du mystérieux sourcier des évangiles : « Venez à moi, et vous serez désaltérés. »

Ce qu'on vient chercher ici, obstinément, c'est l'eau vive ; et d'abord, celle d'une certitude. Que d'intelligences désorientées ! Obsédées par des questions sans réponse ! Impuissantes à se fixer dans une solution commode ou désirable, si elle n'apparaît pas conforme à la réalité observable ! Que d'intellects formés par de sévères méthodes critiques, et devenus sceptiques par sincérité, se balancent au-dessus de l'abîme comme l'explorateur au bout d'une • corde qui n'atteint pas le fond du gouffre.

Et des journalistes pieux plaisantent sur l'esprit moderne ; ils raillent ses scrupules scientifiques, ses angoisses philosophiques... Quel péché contre la charité ! Quelle tragique méconnaissance ,du drame poignant qui, dans le domaine mental, f ait la noblesse et le tourment de notre époque !

O bien-aimés douteurs, écoutez la promesse du Révélateur : « Cherchez, et vous trouverez ! Heurtez, et l'on vous ouvrira ! » Mais il a dit aussi : « Demandez, et l'on vous donnera ! » Les voies d'accès à la certitude ne sont pas toutes creusées, comme un

tunnel, dans le roc de l'intellectualisme. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » Et la prière, la vraie, humble, clairvoyante, héroïque prière, la prière qui sait répéter : « Pourquoi ? Pourquoi ? » dans les ténèbres du Calvaire, la prière qui sait ajouter avec le Crucifié : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » — la prière est aussi un outil offert à notre faiblesse pour tailler des marches dans une paroi de glace, et pour nous élever au-dessus des brumes vers la cime ensoleillée. « Mon ami, monte plus haut ! »

Et après l'eau vive de la certitude, on vient chercher, ici, l'eau vive de la consolation. Ah ! malheur, malheur à une église où ne jailliraient pas, jour et nuit, intarissablement, les fontaines sacrées de la Pitié. Je sais bien que la compassion du Bouddha était une forme de la désespérance, la suprême caresse d'une main fraîche sur le front qui agonise : comment ne point s'attendrir envers les hommes, les bêtes, les choses elles-mêmes, si l'Univers entier n'est qu'une stupide illusion, un nuage évanouissant, un rêve qui s'effiloche entre le Hasard et le Néant ?

Et pourtant, la pitié du désespoir est rayonnante, auprès de la dure sécheresse d'une église « chrétienne », sans compassion — église hypocrite, église apostate, église déchue de la dignité d'église, -église qui ne sait plus baiser que le visage du Christ, mais avec des lèvres traîtresses comme l'Iscariot à Gethsémané.

Oh ! venez, vous qui souffrez, de quelque nom que s'appelle votre souffrance (car la douleur humaine est si multiforme !) venez ! Nous avons besoin de vos larmes, pour pleurer avec vous. Une église où l'on s'aimerait, — et qui enverrait au loin, en ondes puissantes, une pitié consolatrice, une pitié libératrice, une pitié rédemptrice, une pitié victorieuse d'elle-même, non gémissante mais triomphante, parce qu'elle s'épanouit en surnaturelle charité !... « Trois choses demeurent : la Foi, l'Espérance, la Charité, mais la plus grande est la Charité. »

Mais comment oublier les âmes qui viennent chercher, ici, l'eau vive du pardon et de la purification ? Voilà, en vérité, un désir énigmatique, un besoin chimérique en apparence, révélateur de notre destinée surnaturelle. Après tout, quand des âmes souffrantes réclament, comme on dit, « les consolations de la Religion », elles n'accomplissent rien d'extraordinaire ; même un animal blessé aspire au soulagement, et provoque la sympathie de son maître. Mais aucune bête n'a jamais pleuré sur son péché, soupiré après la communion avec Dieu, imploré le baptême du Saint-Esprit... La possibilité d'une seconde naissance, la grâce d'une régénération, d'une métamorphose morale, quels horizons !

Si ces antiques formules, usées par la répétition, retentissaient pour la première fois, elles provoqueraient un sursaut dans nos âmes. Eh quoi ! on peut recommencer la vie, après un faux départ ! Malgré les occasions gaspillées, malgré les années gâchées, malgré les tares et les cicatrices, on n'est pas jeté au rebut, comme un déchet, par l'Educateur souverain ! L'âme souillée peut se plonger dans une fontaine de

Jouvence, et retrouver, comme Naaman le lépreux, une pureté disparue ?

Tout cela, c'est l'Evangile ; tout cela, c'est le salut ; tout cela, c'est Jésus-Christ : « Prends courage, mon enfant, tes péchés sont pardonnés ! »

En résumé, ce qui nous attire dans un sanctuaire chrétien, c'est le bruit des eaux vives de la Certitude : « Mon âme, bénis l'Eternel ! » — C'est le bruit des eaux vives de la Consolation : « Mon âme, bénis l'Eternel ! » — C'est le bruit des eaux vives de la Régénération : « Mon âme, bénis l'Eternel ! »

« Heureux ceux qui ont faim et soif de la Justice ; car ceux-là seront rassasiés.

Sommes-nous au terme de notre ascension ? Pas encore : « Mon ami, monte plus haut ! »

Parmi ceux qui fréquentent fidèlement nos saintes assemblées, je discerne, enfin, les initiés, les visionnaires, ceux qui demeurent invariablement groupés, en esprit, autour de la Table sainte. Car celle-ci est toujours présente, et elle évoque toujours la vérité mystique dont vit l'Eglise depuis deux mille années : Christ est le Cep, les chrétiens sont les sarments. En d'autres termes, être chrétien c'est être christianisé, christifié, incarner l'esprit de Jésus-Christ ici-bas — dans la mesure même où l'on accepte l'inspiration de cet Esprit.

Telle est la simple, solide et mystérieuse réalité

que symbolise la Tablé sainte. Il nous suffit de la contempler, pour que nous évoquions l'idéal souverain de la communion avec le Seigneur. Et cet idéal s'affirme immanquablement, chaque dimanche, pour les initiés, les visionnaires, même quand l'austère table de bois n'est pas revêtue d'une blanche parure, de candeur immaculée. Au surplus, quand la communion est célébrée matériellement, les confidents du Glorifié, les Associés de la Chambre haute, les Confédérés de l'Eglise invisible et universelle n'ont même pas besoin de manger le pain et de boire le vin pour être spirituellement renouvelés par le contact avec leur Chef ; car s'ils sont privés de participer aux symboles du Corps et du Sang, ils bénéficient quand même, par la prière secrète et la consécration intime, de la-promesse rayonnante : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là. »

Voilà donc en son réalisme spiritualiste, et en sa réelle spiritualité, la doctrine évangélique de la Présence perpétuée du Sauveur dans l'Eglise qui est son corps. Aujourd'hui même, par les yeux de l'Esprit, je vois le Seigneur présider la table communautaire; il appelle chacun d'entre nous par son nom de baptême ; il invite chacun à se rapprocher du centre vivant de l'Eglise, à quitter les recoins éloignés, à sortir de la pénombre, pour avancer en pleine lumière : « Mon ami, monte plus haut ! »

Vous le comprenez bien, les initiés, quand ils fréquentent le culte public, cessent de songer surtout aux intérêts de leur âme individuelle. La table de communion élargit leur horizon jusqu'aux extrémités du monde, car la famille du Père, ici-bas, est coextensive à l'humanité entière ; et en même temps la table de communion, présidée par le Héros de Pâques, le vainqueur de la mort, l'invisible Sauveur, oriente nos âmes libérées, transformées, ressuscitées, vers l'Au-delà, vers « l'assemblée des premier-nés inscrits dans les cieux », vers les muettes extases de l'adoration, vers le « Père des esprits », le « Dieu qui sera tout en tous ».

...« Mon ami, monte plus haut ! »

Amen.

 

 

 

 

 

 

 

pasteur Wilfred Monod

pasteur Wilfred Monod

 


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