Dernier message d'A.-N. Bertrand
paru dans le Bulletin mensuel de l'Église réformée de l'Oratoire du Louvre (octobre 1946)
Et la paix de Dieu qui dépasse toute compréhension,
gardera vos cœurs et vos esprits.
Philippiens 4:7
La paix de Dieu. En écoutant en moi-même le retentissement de cette expression, il me semble suivre des yeux un beau voilier aux prises avec la tempête. Fouetté par le vent, battu par les vagues, il continue sa route, parce que chaque homme à bord est à son poste et tient bon.
La paix de Dieu, sera-ce pour ce navire le port où il va entrer, où il trouvera un refuge parce que tout le monde a tenu ferme ? Non, la paix dont une semblable comparaison nous offrirait l'image ne serait pas la paix que Jésus donne; ce serait plutôt la paix comme le monde la donne. Le chrétien n'est pas un homme qui se réfugie dans un hâvre de grâce, pendant que les autres continuent de lutter et de mourir dans la tempête; il n'est pas occupé à carguer ses voiles, alors que, de toute part, gisent encore les nefs brisées et que les flots n'ont pas encore fini de rejeter des cadavres sur les rives de tous les océans. Il n'est pas un homme qui ne tient bon quelques instants que pour gagner un refuge égoïste, loin du danger commun.
Qu'il nous soit permis de présenter une autre image de la paix de Dieu; une image plus réelle à la fois et plus conforme à la parole de notre texte, qui nous avertit que cette paix dépasse toute compréhension. Voici, le navire est toujours dans la tempête: tous les dangers le menacent encore; mais le pilote, à la barre, a le cœur paisible comme si les vents étaient favorables. Il sait où il va, et que sous un ciel sans étoiles, sa boussole le guide infailliblement; il sait que s'il laissait altérer un instant la clarté de son regard ou la fermeté de sa main, le navire courrait à sa perte. Mais il tient ferme et les matelots qui s'agitent autour de lui et qui peut-être s'inquiètent, reprennent courage rien qu'à voir sa silhouette immobile dans la nuit, calme comme la force, paisible comme la foi. Ils s'étonnent de cette maîtrise de soi; ils ne comprennent pas d'où elle lui vient et où elle les conduit, elle dépasse leur compréhension, mais sans qu'ils le sachent, elle les garde, elle assure leur salut et les conduit à la vie.
Telle est la paix de Dieu; elle est refusée à ceux qui désertent l'effort, elle est offerte à ceux qui savent pourquoi ils luttent, quel Chef ils servent et à quelle étoile ils ont demandé de fixer leur terrestre chemin.