pasteur A.N. Bertrand
Oratoire du Louvre, 16 juin 1940
N. B. - Le sermon a été prêché le jour où le port de l'étoile jaune
a été imposé aux israélites âgés de plus de 6 ans.
Lectures Bibliques
Je suis l'homme qui a vu la misère
Sous la verge de sa fureur.
Il m'a conduit, mené dans les ténèbres,
Et non dans la lumière...
Il m'a entouré d'un mur pour que je ne m'échappe pas.
Il m'a donné de pesantes chaînes;
J'ai beau crier et implorer du secours,
Il ne laisse pas accès à ma prière...
Et j'ai dit : « Ma force est perdue, Je n'ai plus d'espérance en l'Eternel! »
Voici cependant ce que je veux repasser en mon cœur,
Ce qui me donnera de l'espérance
Les bontés de l'Eternel ne sont pas épuisées,
Ses compassions ne sont pas à leur terme;
Elles se renouvellent chaque matin.
Oh! que ta fidélité est grande!
L'Éternel a de la bonté pour qui espère en Lui,
Pour l'âme qui le cherche.
Il est bon d'attendre en silence Le secours de l'Éternel,
Car le Seigneur ne rejette pas à toujours,
Mais lorsqu'il afflige, il a compassion selon sa miséricorde,
Car ce n'est pas volontiers qu'il humilie
Et qu'il afflige les enfants des hommes.
(Livre des Lamentations, chapitre 3)
Béni soit Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, dans sa grande miséricorde, nous a régénérés pour que nous ayons une espérance vivifiante par la résurrection de JésusChrist,' sa puissance vous garde, par la foi, pour le salut qui paraîtra au moment final. Cette pensée vous remplit de joie, quoique maintenant, puisqu'il le faut, vous soyez attristés pour un peu de temps par diverses épreuves, afin que la solidité éprouvée de votre foi, plus précieuse que l'or périssable qu'on éprouve cependant par le feu, tourne à votre louange, votre honneur et votre gloire, quand Jésus-Christ paraîtra.
(1 Pierre, chapitre 1, versets 3 à 8)
Heureux l'homme qui supporte l'épreuve avec patience.
(Jacques 1 :12)
L'épreuve. Maintenant nous savons ce que c'est. Elle nous étreint, elle nous enserre; mais elle ne nous vaincra pas.
Nous croyions savoir ce que c'était que souffrir; insensés que nous étions! Nos malheurs personnels, certes, nous avaient cruellement atteints, parfois en plein coeur ; mais ils étaient comme baignés dans un grand courant de joie et de bonheur qui les faisait apparaître comme une chose qui n'était que de nous, et qui peu à peu s'apaisait au contact de la paix des autres. Aujourd'hui c'est l'inverse. Nos bonheurs personnels, s'il pouvait encore y en avoir, seraient aussitôt roulés, emportés dans un tel torrent d'amertume et de désespoir que nous serions hors d'état d'en jouir. Ce n'est pas un malheur collectif qui a fondu stir nous; c'est pour chacun de nous un malheur privé dont nous retrouvons l'image dans tous les yeux que nous regardons. Oui, nous savons, maintenant ce que c'est que l'épreuve.
Cependant ce mot d'épreuve, qui est le mot central de la pensée que nous méditons, ne désigne pas seulement un événement douloureux; il désigne un événement qui permet de se rendre compte de ce que nous valons. Dans le langage courant, on emploie le mot « épreuve » pour désigner toute espèce de souffrance; mais le sens primitif, authentique, est celui d'une mesure de notre valeur, de notre solidité. Dans les usines, il y • a un « banc d'épreuve » où l'on fait passer toutes les pièces, pour voir si elles ont la résistance voulue. C'est de ce point de vue que je voudrais envisager brièvement aujourd'hui les heures lourdes que nous vivons: elles ne sont pas seulement une souffrance, elles sont une occasion de révéler devant Dieu, devant les hommes et devant nous-mêmes ce que nous sommes, ce que nous valons.
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Ce que nous sommes se révèle déjà dans la part plus ou moins grande que nous prenons à la souffrance commune. On dit qu'il y a dans Paris des hommes et des femmes - j'entends : des Français et des Françaises - qui peuvent encore rire, penser à eux-mêmes, à leurs profits, à leurs plaisirs. Si cela est vrai, il faut les plaindre; c'est un grand malheur d'être à ce point étranger dans sa propre maison que l'on ne ressent même plus les deuils de famille. La façon dont une âme résonne sous le choc de la souffrance, décèle déjà sa qualité. Il y a des métaux qui vibrent comme l'acier, comme l'or, comme l'argent, il y en a qui rendent un son mat comme le plomb. On a beau les frapper, on nen tirera jamais un son clair.
« Heureux ceux qui pleurent ! » Cette parole resterait vraie, quand même elle serait privée de la phrase complémentaire : « ils seront consolés ». Tout vaut mieux que l'apathie, l'indifférence, le repliement sur soi-même. Porter en soi une âme ardente et souffrir avec passion, c'est déjà un privilège, un don magnifique et terrible de notre Dieu.
Telle est la première épreuve au choc de la douleur, nos âmes font connaître si elles sont d'airain ou de plomb.
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Mais le tout n'est pas de souffrir, encore faut-il savoir si l'on est capable de porter sa douleur. La porter, c'est être plus fort qu'elle, c'est ne pas se laisser écraser par elle; l'épreuve est la mesure de notre force un fardeau est posé sur les épaules d'un homme; qui est le plus fort? Si c'est l'homme, il porte le fardeau; si c'est le fardeau, il écrase l'homme. Il en est de même du malheur; il met notre force à l'épreuve il faut nous révéler capables de le porter.
Il y a des hommes qui se sentent si faibles devant la souffrance; qu'ils prennent la fuite devant elle, ils se réfugient dans l'oubli, dans l'indifférence, dans mille dérivatifs, et, généralement, ce qu'on appelle « consolations » dans le monde, est un ensemble de considérations qui tendent à vous détourner de regarder votre malheur en face, à vous persuader qu'à vrai dire vous n'êtes pas aussi malheureux que vous en avez l'air et que vous le croyez vous-même. Misérables platitudes, médiocrités qui n'inspirent que le dégoût aux âmes hautes, pauvres évasions dictées par la faiblesse devant un adversaire que l'on n'ose pas affronter en face, abdication devant une épreuve que l'on sait ne pas pouvoir subir.
D'autres au contraire se croient forts, si forts qu'ils veulent se passer des hommes et se passer de Dieu; et quand ils se trouvent ainsi sans défense, avec leur âme toute nue sous la souffrance, ils s'effondrent, ils ne sont pas capables de la porter; ils ont méconnu sa puissance; ils n'ont ni préparé ni entraîné leur âme; l'épreuve tourne à leur confusion.
Mais celui qui a connu sa faiblesse et qui s'est préparé, celui qui affronte l'épreuve avec l'humble dessein de la porter par les forces de Dieu plutôt que par les siennes propres, celuilà ab3rde l'épreuve avec toutes les chances de succès; il la porte.
Telle est la deuxième épreuve : la révélation de notre capacité de résistance.
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L'écrivain sacré nous avertit enfin qu'il faut porter l'épreuve avec patience; on pourrait traduire, avec plus de précision peut-être avec persévérance. Car l'épreuve peut être longue, et nul ne sait si elle n'usera pas peu à peu les forces qu'on lui oppose. Combien ont porté leur fardeau pour un temps et ont succombé ensuite! Pour durer ainsi, il faut garder toutes nos forces, et il faut les garder souples et disponibles, il ne faut pas se raidir : c'est l'acier le plus souple qui se révèle en définitive le plus, résistant. Il y a quelques jours, un ami qui avait passé un certain temps à l'arrière et qui demandait à rejoindre son corps en raison de la gravité des circonstances, disait à sa femme en la quittant « Fais-toi un cour de pierre, et ne pense à rien. » ii faut comprendre la grandeur, la beauté de cette résolution farouche; mais je ne crois pas que ce conseil fût le bon; il faut garder son coeur aimant et sa pensée claire, dût-on pour cela souffrir mille fois plus. Car la tension use, et un jour vient où la corde trop tendue casse brusquement. Il faut rester détendu, garder la paix dans son coeur ; il ne faut pas confondre l'indignation avec la haine, la force avec la colère. Le croyant, parce qu'il remet toutes choses entre les mains de Dieu, garde son équilibre intérieur et sa clairvoyance.
C'est là le magnifique privilège de la foi : « Les jeunes hommes se fatiguent et les héros chancellent, dit le Psalmiste, mais celui qui se confie en l'Eternel renouvelle ses forces. » La foi, comme la prière qui en est la plus haute expression, est à la fois une action et un repos, une marche en avant, une victoire, et en même temps une détente, un abandon entre les mains de Dieu; et c'est pourquoi elle renferme des possibilités infinies. Si longue que soit l'épreuve, notre foi sera plus longue encore. Que dis-je? Elle grandira par l'épreuve même; « l'or qui n'est qu'un métal périssable est mis à l'épreuve du feu; ainsi notre foi, bien plus précieuse, subira victorieusement l'épreuve et nous assurera honneur et gloire ».
Telle est la troisième épreuve, celle de la constance. Saint Pierre promet honneur et gloire, et saint jean la couronne de vie à ceux qui l'auront subie sans fléchir.
Une couronne ! Ce mot évoque des visions de victoire, d'athlète couronné pour avoir triomphé dans la lutte, et les événements n'arrivent pas -à éteindre ces visions à l'horizon qui est devant nous. Laissons là cependant les prévisions et les espérances qui ne sont que de l'ordre historique; nous n'avons pas compétence pour en parler; c'est une autre couronne qui nous hante, c'est la parole de Jésus : « le disciple n'est pas plus que son Maître; il suffit au disciple d'être comme son Maître ». Notre Seigneur n'a jamais porté qu'une couronne, la couronne d'épines, la sanglante couronne des douleurs. Si cette couronne-là doit être la nôtre, nous regarderons à Celui de qui nous vient la lumière et la vie, nous la porterons, comme Lui, dans la charité, dans la foi, mais aussi dans l'espérance, nous reposant sur la promesse qui nous a été faite : « Si nous sommes humiliés avec Lui, nous serons aussi glorifiés avec Lui; si nous mourons avec Lui, nous aurons aussi la vie avec Lui. »
Avec Lui ! Si nous sommes fidèles à ce mot d'ordre, l'épreuve ne tournera pas à notre confusion, mais à notre salut. C'est aujourd'hui l'heure de la Croix; mais un jour viendra l'heure de la Résurrection!
Ainsi soit-il.