Sermon prêché au Temple de l’Oratoire du Louvre
par le Pasteur P. Vergara
Le 14 janvier 1945
Chants : Psaume 62 v 1-2-3, Cantique 188 v 1-2-3-4, Cantique 247 v 1-2-3-4
Lectures : Psaume 139, Rom. 1:18-32, 1 Jean 4:7-21
À première vue, cette recommandation de Moïse à son peuple paraît bien superflue, car il semble impossible qu’un homme réfléchisse un seul instant au mystère de sa destinée, sans qu’invinciblement sa pensée le mettre face à face avec Dieux.
Qu’il contemple la nature qui l’environne, qu’il en étudie les lois merveilleuses, qu’il entre en relation avec d’autres hommes, qu’il se lève pour travailler ou qu’il se couche pour dormir, en toutes circonstances, en tout temps, en tous lieux, l’homme a affaire à Dieu et sa pensée est sollicitée par Lui.
Et cependant, il faut bien en convenir, le danger signalé par Moïse n’est pas illusoire, à cause de l’incurable frivolité, de l’insouciance, de la superficialité, du plus grand nombre. En réalité on découvre dans l’histoire des hommes deux grands courants en sens contraire, l’un — et se fut toujours le fait d’une infime minorité — qui marque un effort passionné de l’âme vers Dieux, et l’autre qui marque un effort tout aussi violent pour fuir la face de l’Éternel Témoin, pour oublier, à tout prix.
Et parmi les croyants déclarés, bien peu nombreux sont ceux pour qui Dieux est la seule grande réalité de la vie, de Qui tout part et à Qui tout aboutit. Pour le plus grand nombre Dieu n’est qu’un mot, qu’une sorte de décor à l’arrière plan de la vie mentale ou sentimentale. Dans leur religion facile, Dieu n’est pas la pensée dominante, exclusive, souveraine ; ils peuvent donner le change aux autres et se le donner à eux-mêmes, mais en réalité c’est d’eux que parlait un prophète d’Israël quand il disait : « Ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est bien éloigné de moi ». Combien d’hommes et de femmes, qui ne se croient pas des athées, qui font, même, profession d’être des croyants, et pour qui, cependant, Dieu n’est plus rien, ou si peu de chose.
Oublier Dieu, voilà le suprême danger qui nous menace tous. Dieu me voit, Dieu me juge, Il a sa main sur moi, Il m’entoure par devant et par derrière, Il sait quand je me lève et quand je me couche, cette conviction redoutable et magnifique qui fait de Dieu la grande réalité de la vie, comme elle est fluide et ténue, chez la plupart, comme elle s’évanouit vite après une émotion d’un moment.
Si nous ne donnons pas notre pleine mesure, si notre vie se consume vainement sans que rien de durable en marque le cours, si nous sommes de si faibles témoins des réalités éternelles, si nous avons, bien souvent, le sentiment de vivre dans un perpétuel ajournement de l’essentiel, point n’est besoin d’en chercher ailleurs la cause, que dans l’oubli de Dieu et de ce qu’Il devrait représenter pour nous.
Notre vie ne peut être restaurée dans sa force féconde, son spirituel rayonnement, que lorsque nous nous souviendrons de Dieu, comme s’en souvenaient ces croyants de l’ancien Israël dont nous avons lu il y a un instant les émouvant témoignages. Dieu n’avait p s établi avec eux des relations plus étroites que celles qu’Il peut ou veut établir avec nous ; S’il y a une différence entre nous et les hommes de la Bible, elle est dans la manière dont ils ressentaient la proximité de Dieu, et ils ressentaient cette proximité parce que Dieu était réellement et sans cesse dans leur pensée, parce qu’ils avaient pris au sérieux l’avertissement de Moisé et qu’ils n’oubliaient pas leur Dieu. Le secret de la puissance d’influence de la Bible ne doit être cherché ni dans sa science qui est périmée depuis longtemps, ni dans sa morale qui, sur bien des points est dépassée, ni dans ses idées théologiques, qui ne peuvent plus être complètement les nôtres depuis que nous avons reçu l’enseignement de Jésus-Christ, mais uniquement dans ce sens dominateur d’une divin présence. L’Hébreu des anciens âges — dans ses psalmistes — a été, par toutes les fibres de son être, un homme qui a eu pour Dieu la plus magnifique passion que le monde ait vue, le Christ excepté. Certes, le christianisme est venu nous donner de Dieu une idée plus large, plus juste, plus tendre aussi, mais peut-on dire que Dieu, en tant que présence sentie — et c’est là l’essentiel — marque davantage dans notre vie sa place, qui doit être la première, que dans celle de ces anciens Hébreux dont nous lisons dans la Bible le fervent témoignage ? Que chacun examine son cœur et réponde à cette question gênante.
L’homme vraiment religieux est celui pour qui Dieu est autre chose qu’un simple mot, qu’une réminiscence de croyance enfantine, qu’une tradition ou une doctrine, c’est celui pour qui Dieu est la suprême réalité de la vie, la seule présence à laquelle il ne peut ni ne veut échapper.ce n’est pas ce que nous savons ou comprenons de Dieu qui importe — car notre science sur ce point sera toujours misérable — ce qui importe, c’est ce que nous en sentons dans notre cœur. Lorsqu’on peut dire d’un homme qu’il vit continuellement sous le regard de Dieu, cet homme est vraiment religieux, quelle que soit la manière dont il formule son credo, serait-il hérétique. Par contre un homme peut signer le credo le plus minutieux, appartenir à l’Église qui croit détenir la plus pure doctrine, si Dieu n’est pas une réalité dans sa vie, il reste ignorant des éléments de la religion.
« Gardez-vous d’oublier l’Éternel votre Dieu ». Cet avertissement s’adresse à tous, quel que soit notre âge ou notre condition. C’est le danger qui menace non seulement les frivoles, mais aussi les gens sérieux, mais aussi ceux qui travaillent avec le plus d’ardeur dans leur profession, jusqu’à s’y absorber complètement, qui menace les prédicateurs eux-mêmes, plus préoccupés, parfois, de l’élaboration des idées que du service réel du Dieu qu’ils démontrent.
Certes, Dieu est dans le monde, Il est dans ce vaste univers, ouvrage de ses mains, mais Il n’y est pas d’une manière si évidente qu’il soit impossible de douter de Lui et de l’oublier. Dieu n’intervient pas assez visiblement dans le cours des choses ou dans les actions des hommes pour que nous nous sentions contraints de nous souvenir de Lui.
Le monde est construit de telle manière que l’on peut à son gré être un homme de foi ou un incrédule. Il est faux de dire que l’accomplissement fidèle de la volonté de Dieu produise invariablement ce que le monde appelle le succès. C’est même le contraire qui est la règle. La récompense sûre et profonde des vrais enfants de Dieu est d’un autre ordre que celui des réussites temporelles. Die n’oblige personne à se souvenir de Lui, ses voies ne sont pas celles de la contrainte ; Il se tient à la porte et Il frappe, mais il ne force pas l’entrée. Nous jouissons tous de la redoutable prérogative de la liberté de choix : nous souvenir de Lui ou l’oublier.
Il est des hommes et des femmes, en grand nombre, qui, certes, croient en Dieu, en principe du moins et philosophiquement, si je puis dire, mais qui, pratiquement, n’ont pas le moindre sentiment d’une responsabilité envers Dieu vivant ; ni dans leurs occupations, ni dans leurs distractions, ni dans leur manière de gagner ou de le dépenser, Dieu n’occupe de place. Il est des vies de grand nombre, même parmi les plus respectables en apparence, où la pensée de Dieu est tellement étrangère qu’elle n’effleure l’esprit, entre la naissance et la mort, qu’à certaines occasions exceptionnelles. Cet oubli de Dieu tend à s’accroître insensiblement jusqu’à ce qu’on se passe totalement de Lui. Réfléchissons sérieusement à ce danger qui nous menace tous. Ne nous flattons pas de conserver longtemps le peu qui nous reste de foi, car notre caractère et notre manière de vivre, réagissent fatalement sur notre foi où la pensée de Dieu n’existe pas, on assiste à une dépréciation de toutes les valeurs spirituelles et morales. Toutes les choses saintes et grandes sont toujours sous le contrôle de la foi de Dieu. La vie morale doit avoir des fondations plus profondes que la coutume ou le savoir faire ou la science des mœurs. Si la morale d’un individu veut être autre chose qu’un égoïsme bien entendu et légal, si elle veut être novatrice et constructive, il faut qu’elle soit inspirée par la foi en un Dieu vivant.
D’ailleurs les faits sont là pour le prouver. Quels ont été les meilleurs citoyens de l’humanité, ceux qui ont le plus fait pour rendre le ponde plus juste, plus libre, plus compatissants, pour aider les faibles, les souffrants, les déshérités, les opprimés ? Vous savez bien que derrière chacune des belles œuvres humaines, c’est un nom de chrétien qu’on doit inscrire, des noms d’hommes et de femmes pour qui Dieu était une réalité d’où leur venaient les motifs d’agir et l’inspiration d’aimer. Il n’est pas même une seule grande réforme séculaire qui ne soit à son origine d’inspiration religieuse ou chrétienne.
Évidemment, il est aisé de montrer aujourd’hui, des hommes qui poursuivent un haut idéal, sans foi consciente en Dieu ; mais en cherchant bien, on constate qu’ils sont tous les héritiers spirituels d’hommes qui, eux, ont vécu dans la communion de Dieu vivant. La foi s’en est allée, mais l’orientation est restée. S’il faut plus qu’une génération pour que la foi religieuse entre dans le patrimoine spirituel d’un peuple ou d’une civilisation, il en faut plus d’une aussi, pour qu’elle en sorte ; mais elle en peut sortir, et su elle en sort, alors, c’est le recul brutal vers la plus primitive sauvagerie, alors c’est la ruine en quelques années de noble civilisation, alors c’est l’abaissement à un niveau où l’humanité ne peut pas vivre, alors c’est le crime et l’épouvante pour le monde. Notre malheureuse génération aura vu dans quel abîme de perversion peut tomber un peuple où Dieu a été oublié et remplace par une idole terrestre.
Si un homme oublie Dieu, il oubliera vite aussi les compagnons de son destin et cessera de les considérer comme des frères dont il est responsable et auxquels il doit le respect. Que la pensée d’un Souverain Juge, que la communion avec un Témoin Vivant vienne à disparaître et la vie sociale et internationale n’est plus qu’un champs d’extermination où le seul cri qu’on entend, avec celui des victimes, est l’horrible vae victis — malheur aux vaincus, aux faibles, aux désarmés.
Dieu est le rocher, Dieu est la pierre d’angle de toute société humaine. Bâtie sur l’injustice, sur la force, sur l’envie, sur le désir de domination, tôt ou tard la civilisation qui paraissait la plus stable, s’écroule.
Voilà le message perpétuel de l’Église au monde. L’Église n’a pas la prétention de détenir le secret d’une panacée qui puisse résoudre aisément tous les problèmes politiques, économiques ou sociaux, mais, dans la mesure où elle reste fidèles à sa mission et maintient vivant dans le cœur des hommes le sens à sa mission et maintient vivant dans le cœur des hommes le sens de l’obéissance à Dieu, le souvenir de son nom, elle rend à ces hommes le plus grand service qu’elle puisse leur rendre, car elle leur indique ainsi le seul chemin qui mène à la vie.
« Gardez-vous d’oublier l’Éternel votre Dieu ». Cette antique parole, si grande et si solennelle dans sa sobriété, devrait être criée à tous les carrefours aujourd’hui, dans le désarroi du monde.
Il y a, évidemment, des gens qui n’ont que faire de Dieu. Ils n’ont d’autre ambitions qu’une vie de confort et de bon plaisir, rien ne les préoccupe davantage que la réalisation de leurs désirs, quels qu’ils soient ; avec un tel programme, il va de soi qu’ils s’écartent d’instinct de toute contrainte morale et religieuse.
« Ce que l’Éternel demande de toi, c’est que tu pratique la justice, que tu aime la miséricorde et que tu marches humblement devant ton Dieu ». Allez dons concilier un principe comme celui-là avec une vie de bon-plaisir ? Leur incompatibilité est absolue. Il est donc naturel que les hommes qui ont fait un semblable choix dans la vie, s’écartent de Dieu et se hâtent de l’oublier s’ils ont naguère appris son nom. Aussi bien, n’est-ce pas à ceux-là que je songe, à propos de la parole de mon texte, amis aussi, croyants officiels.
Est-ce que nous voulons réellement Dieu dans notre vie ? Je voudrais que cette question atteigne chacun au plus profond de lui-même ?
Nous croyons en Dieu, nous le chantons dans nos cantiques, nous le magnifions dans nos liturgies, nos prières, nos prédications, mais le voulons-nous réellement présent dans notre vie ? Avons-nous bien mesuré, bien pesé, ce que cela implique, quels bouleversements cela peut et doit y introduire ?
Accepter Dieu, c’est accepter des lois morales éternelles, inscrites dans les cieux, des lois non-écrites, infiniment plus exigeantes que les lois des hommes.
« Ce que l’homme aura semé il le récoltera ». Voulons-nous réellement cela pour nous, pour nos paroles, nos pensées et nos actes ? Une foi de cette nature, de cette gravité, n’est pas un cadeau à recevoir avec le sourire, elle ne peut guère contribuer à rendre notre vie plus aisée, plus confortable ; elle ne peut qu’aggraver considérablement le poids de nos responsabilités et de nos devoirs et exiger de nous une constante vigilance. Il y a des moments, il faut bien le dire, où nous souhaiterions être libérés de ces lois éternelles, il y a des moments où nous constaterions volontiers d’un indulgent matérialisme. Si nous pouvions oublier Dieu, la tension morale qui pèse sur nous, serait allégée et notre vie deviendrait plus facile.
Tous les prophètes qui ont marché devant nous et nous ont ouvert la voie ont fait des expériences analogues.
Souvenez-vous de Jérémie accablé par sa mission et s’écriant : « Si je dis : je ne ferai plus mention de Dieu, je ne parlerai plus en son nom, il y a dans mon cœur comme un feu dévorant qui est refermé dans mes os. Je m’efforce de la contenir, mais je ne le puis ».
C’est le Psalmiste tenté par la réussite des impies qui finit par s’écrier : « Voici, si je parlais comme eux, je trahirais la race de tes enfants ».
Pour nous aussi, maintenant il est trop tard, nous ne pouvons plus revenir en arrière. Dieu est là et Il s’impose à nous. Quelqu’un dira qu’il ne faut pas le regretter, que c’est une foi glorieuse ; oui certes, la plus glorieuse qui soit au monde, mais combien exigeante, et il y a des moments où nous souhaiterions une vie sans tourment surajouté à tous les autres tourments.
Parce que nous croyons en Dieu nous croyons qu’Il a mis dans notre main une flamme qui ne s’éteindra pas au vent de la mort. Cela aussi c’est une foi magnifique, la plus belle qu’il soit, mais combien contraignante ; Si nous acceptons le don prodigieux d’une personnalité immortelle, impossible alors de vivre comme la bête qui périt tout entière quand elle meurt.
Croire en Dieu n’est pas une chose toute simple ; c’est une foi magnifique, mais ais c’est une foi qui réclame le meilleur de nous-même, « tout notre cœur, toute notre âme, toute notre pensée » comme dit le commandement.
Dans la détresse infinie d’un monde qui a oublié Dieu et qui est aujourd’hui effrayé des résultats de son incroyance, dressons-nous comme des hommes et des femmes qui ont accepté Dieu avec toues ses saintes et hautes exigences, qui ont été « saisis et vaincus » par Lui et qui, à cause de cela, sont devenu capables d’apporter aux autres la céleste guérison et la lumière de la vie.
(Merci à M. Ulrich Meyer pour la numérisation de ce texte)