Surmonter le mal par le bien( Matthieu 5:38-48 ; Romains 12:14-21 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du 18 janvier 2009 à l'Oratoire du Louvre Olivier, qui vient de demander le baptême, considère à juste titre que le cœur-même de l’Évangile est cette parole de Jésus concernant l’amour des ennemis. Il y a bien des choses dans la Bible, elle n’est pas un livre (au singulier) mais toute une bibliothèque qui se prête à bien des interprétations possibles. Tout dépend, en réalité, du verset que l’on choisit comme point central et autour duquel va s’articuler notre lecture de tous les autres versets. Si l’on prend cette parole de Jésus sur l’amour des ennemis comme base, c’est toute notre lecture de la Bible qui sera orientée par une conception de Dieu comme aimant chacun, envers et contre tout. Par exemple, quand en première lecture d’un passage de la Bible il semble que Dieu voudrait la mort de telle personne, il y a une incohérence avec ce message de Jésus sur l’amour des ennemis. Car si telle est la justice suprême, si telle est la justice de Dieu, comme il le précise dans ce passage, Dieu ne peut vouloir la mort du méchant, mais il le bénit, lui fait du bien… Nous devons donc arriver à interpréter différemment les textes où Dieu semblait terrible, en général c’est assez facile (mais sinon, on peut passer ce texte en attendant de trouver une solution meilleure). Dieu ne veut donc certainement pas la disparition du méchant, mais il nous aide à éliminer la méchanceté qui est en chacun de nous et il nous aide à travailler sur les malheureuses conséquences du mal que nous avons fait… Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous persécutent… il n’y a pas dans cette idée qu’une révolution dans la pensée abstraite mais quelque chose que Jésus a vécu. Ce n’est pas seulement une belle parole qui permet de fonder une lecture de la Bible et une théologie de l’amour infini de Dieu, ce qui nous plait beaucoup, évidemment, mais c’est une parole qui est faite pour être prise au sérieux également dans notre façon de vivre concrète, dans notre rapport aux autres. Aimez vos ennemi, faites du bien à ceux qui vous maltraitent… Cela peut sembler totalement déconnecté de la réalité du monde dans lequel nous vivons. Et pourtant, ce n’est pas si irréaliste que cela, contrairement à ce que l’on pourrait penser avant d’avoir expérimenté un tant soit peu la puissance surprenante de cette façon d’être. J’en appelle à un témoin célèbre et que l’on ne peut pas suspecter de manquer de pragmatisme : Napoléon Bonaparte. Dans un passage où il fait le bilan de son existence, il semble avoir un amer regret de ne pas avoir reconnu plus tôt la prodigieuse efficacité de la logique d’amour vécue par le Christ : « Avant même que je sois mort, écrit Napoléon à Saint-Hélène, mon œuvre est détruite ; tandis que le Christ, mort depuis dix-huit siècles, est aussi vivant qu'au moment de son ministère… En quelque endroit du monde que vous alliez, vous trouverez Jésus prêché, aimé, adoré… Je suis encore vivant, et pourtant mes armées m'ont oublié : Alexandre, César, Charlemagne, moi-même, nous avons fondé des empires, mais sur quoi avons-nous fait reposer notre pouvoir ? Sur la force, tandis que Jésus-Christ a fondé son empire sur l'amour, et des milliers d'hommes donneraient joyeusement à cette heure même leur vie pour lui… L'union qui unit Jésus-Christ à ses rachetés est plus sacrée, plus impérieuse que quelque union que ce soit. Tous ceux qui croient sérieusement en lui ressentent cet amour surnaturel. Ils aiment quelqu'un qu'ils n'ont pas vu. C'est un fait inexplicable à la raison, impossible aux forces de l'homme ; et pourtant il a été accompli. Voilà ce que j'admire au-dessus de toutes choses, moi, Napoléon ; plus j'y pense, plus je suis absolument persuadé de la divinité du Christ. » (1) Ce passage du mémorial de Sainte-Hélène est plein de regrets car cette prise de conscience vient après la bataille (c’est le cas de le dire). Napoléon ne semble pas regretter les morts que ses guerres ont causés, mais c’est en stratège qu’il parle : quel dommage de ne pas avoir reconnu plus tôt la puissance créatrice de l’amour au sens où le Christ nous l’entend ici ! Il y a, nous dit Napoléon, quelque chose de surnaturel dans cet amour, au point que cela ne peut venir que de Dieu lui-même. Il y a aussi quelque chose de surnaturel dans le fait d’arriver à aimer un tant soit peu celui que nous n’avons aucune raison d’aimer, en particulier notre ennemi, celui qui nous a trahi, celui qui nous fait du mal ou qui a fait du mal à ceux que l’on aime. Oui, il y a quelque chose de surnaturel dans l’amour des ennemis, il y a quelque chose de divin dans l’existence de cet amour et dans sa puissance créatrice. C’est à juste titre que Wilfred Monod a appelé son œuvre monumentale « le problème du bien » et non le problème du mal. En effet, le bien et le mal ne sont pas des choses symétriques. Par exemple, une stupide balle de fusil peut tuer quelqu’un, alors qu’il avait fallu des années d’efforts, de soins et de tendresse pour devenir ce qu’elle était. L’existence du mal est donc facile à comprendre mais c’est l’existence du bien qui est étonnante, le bien est un miracle, comment peut-il exister face à la simplicité du mal ? Il y a là quelque chose de surnaturel, de divin. L’idée même de pouvoir aimer celui qui nous fait souffrir est également surnaturelle. La réaction de tout être vivant en contact avec une source de mal n’est pas de l’aimer mais de la fuir ou de la combattre. Quand nous nous piquons le doigt, nous retirons la main en disant aïe, et tout aussi naturellement, quand quelqu’un nous fait subir quelque chose d’injuste et de mauvais, nous sommes plus ou moins pris par un sentiment de colère, de rejet, et le désir que le coupable souffre à son tour. « Aimer nos ennemis », le moins que l’on puisse dire, c’est que ce message de Jésus ne va pas dans le sens de notre penchant naturel. Mais heureusement, Jésus ajoute aussitôt que « c’est ainsi que nous serons les enfants de notre Père qui est dans les cieux », qui, lui, agit comme cela pour le bon comme pour le méchant. Cela nous donne la clé de cette prodigieuse façon d’être que nous propose Jésus, clé que relève d’ailleurs Napoléon dans son mémorial : nous ne pouvons arriver à cela que dans la mesure où nous sommes engendré par Dieu. L’Évangile de Jésus-Christ n’est pas fait de bons conseils du genre : mangez 5 fruits et légumes par jour et vous serez en bonne santé. Heureusement, parce que même cela nous avons du mal à le faire, alors pour ce qui est d’aimer nos ennemis… Mais, finalement, les choses s’annoncent bien plus faciles qu’elles ne semblaient. Une seule chose, finalement assez simple, est la clé de tout : il suffit de se confier à Dieu. Il engendrera en nous cette capacité incroyablement créatrice qui consiste à pouvoir aimer même nos ennemis, et peut-être à aimer véritablement nos amis, du même coup. Dans sa lettre aux Romains, l’apôtre Paul applique ce principe, l’élan de confiance en Dieu, pour nous libérer de la colère et du désir de faire payer le coupable de méchanceté. La 1ère chose nous dit-il, c'est : « ne vous vengez pas vous-mêmes, bien-aimés, mais laissez place à la colère de Dieu ; car il est écrit : À moi de faire justice, à moi de payer en retour, dit le Seigneur. » (Romains 12:19) En remettant ainsi les choses à Dieu, nous pouvons laisser de côté notre colère et ce désir que le coupable souffre comme il a fait souffrir... Nous pouvons décharger nos épaules de cette colère qui est encore du mal, un mal actif en nous et sur notre entourage. Un mal supplémentaire s’ajoutant encore au mal déjà porté. Alors, faisons confiance à Dieu, à lui de faire justice, à lui de faire payer la note au coupable, à lui la colère... Car en lui, même la rétribution, la vengeance et la colère sont encore du bien, puisqu'il est LE bien, l'amour et la vie. Puisqu’il est le seul à parfaitement aimer, bénir et faire du bien à ses ennemis. Cette colère n’est pas contre le méchant, mais contre le mal, ce mal qui nous mène par le bout du nez, ce mal que nous nous faisons et ce mal qui nous fait souffrir, d’où qu’il vienne. En remettant entre les mains de Dieu le mal qui a été fait, nous pouvons être libérés d’un grand mal et engendrés comme source de bien. Il y a là, dans cette confiance en Dieu quelque chose qui, personnellement, m’aide beaucoup, même pour une petite chose impardonnable comme une voiture qui nous roule sur les pieds quand nous traversons dans les clous. Nous pouvons remettre à Dieu le mal que nous avons subi, et le mal que nous avons fait. Dieu nous décharge de cette maladie mortelle qu'est la logique de rétribution, source de vengeance et source de remords, source mortelle dans l’un et l’autre cas… Il nous libère pour l'action positive : pour reconstruire quand c'est possible, pour soigner, pour ressusciter un peu, pour espérer ensemble. Nous pouvons alors aborder la suite de ce que Jésus nous propose : aimer notre prochain, l’aimer même s’il a été notre ennemi et même si nous avons été son ennemi. Jésus ne nous propose pas de transformer notre ennemi en ami, il n’est pas question de cela, évidemment et heureusement. L’amitié est quelque chose de trop rare et de trop précieux pour être ainsi généralisé. Ce que Jésus nous propose est une démarche concrète et positive, qui consiste en trois choses : bénir, faire du bien et prier pour ceux qui nous font du mal ; mais aussi bénir, faire du bien et prier pour ceux a qui nous avons fait du mal. Oui, c’est possible grâce à Dieu de bénir celui que l’on n’aime pas au sens courant du terme, on peut le reconnaître comme étant un enfant que Dieu aime et, avec son aide, reconnaître le bien qui existe quand même dans cette personne. Même si ce n’est pas facile compte tenu de ce qui a eu lieu, même si ce n’est pas toujours bien reçu, on peut lui dire ce bien qu’on pense de lui et chercher à lui faire du bien, d’une façon ou d’une autre… et il est enfin possible de prier pour lui, mais en dernier lieu, après avoir essayé la parole qui bénit et le geste qui tente de faire du bien. L’apôtre Paul va dans le même sens quand il nous propose : « si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s'il a soif, donne-lui à boire. » Autrement dit, Paul nous propose de vaincre la méchanceté en faisant du bien au méchant. Pour cela, il est nécessaire de voir ce qui manque au méchant, ce qui lui manque afin que le bien qui est en lui soit augmenté et s'exprime enfin de façon positive plutôt que de blesser et tuer. C'est ainsi que Dieu agit en Christ, en nous donnant le pain de sa Parole, en nous donnant l'eau vive de sa bénédiction. En faisant du bien à ton ennemi, nous dit l’apôtre Paul, « tu amasseras des charbons ardents sur sa tête. » En première lecture il y a là quelque chose de terrible et c’est une bonne occasion d’exercer notre capacité à relire ces textes de la Bible en cohérence avec ce principe fondamental qu’est l’irréductible amour de Dieu. C’est facile car dans la Bible, les « charbons ardents » n’évoquent pas la malédiction de Dieu (ça n’existe pas), mais son action purificatrice (on soignait autrefois les plaies infectées en les cautérisant avec une braise cf. Ésaïe 6:6). Paul ne nous propose donc pas de nous venger ainsi d'une façon détournée de celui qui nous fait du mal, mais de s’en remettre à l’amour de Dieu pour qu’il le soigne et le sauve. Car toujours, lui, c’est par le bien qu’il surmonte le mal. Ayons confiance. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire (1) Voici des recherches & remarques intéressantes d’Olivier (celui-là même dont j’ai parlé au début de cette prédication) à propos de cette citation : Concernant le Mémorial de Saint-Hélène, j'ai un peu une hésitation, concernant l'attribution à Napoléon des passages où l'on parle de Jésus Christ. Est-ce bien fidèle à ce qu'a dit Napoléon ou est-ce le reflet de discussions entre Las Cases et Napoléon qui dialoguent où toutes le paroles sont attribuées à Napoléon, ou est-ce Las Cases qui livre sa pensée personnelle ou encore Las Cases qui attribue des pensées à Napoléon pour mieux vendre ou embellir le souvenir de Napoléon en cette première moitié du dix-neuvième siècle... ? Ou un mélange de tout cela ? J'ai mis en copie d'autres passages du mémorial, même en les parcourant rapidement, je vois difficilement la cohérence de certains passages avec le personnage de Napoléon, ou même avec son testament ultérieur. Est-ce que ce ne serait pas des artifices pour faire du mémorial un succès de librairie, comme ça été le cas ? Ou des passages écrits peut-être même pas écrits par Las Cases, mais par des gens qui avaient pour but de renforcer la foi des français en attribuant ces paroles à Napoléon... A moins que ce soit Las Cases qui médite et met ses méditations dans la bouche du héros de son livre, Napoléon à Saint-Hélène. Mais peut-être que Napoléon a vraiment pensé tout cela, je continue à croire que c'est possible ... et je l'espère d'ailleurs. Très cordialement, et désolé pour mon esprit un peu critique, je dis cela uniquement dans un esprit de recherche. Le Mémorial de Sainte-HélèneLe Mémorial de Sainte-Hélène est un récit écrit par Emmanuel de Las Cases ; c'est un recueil des mémoires de Napoléon Bonaparte que Las Cases a rédigé au gré d'entretiens quasi-quotidiens avec l'Empereur, lors de son séjour à Sainte-Hélène. Contrairement à une idée largement répandue, Napoléon n'a pas dicté son texte et Las Cases en a toujours assumé l'intégralité et l'originalité. C'est un des plus grands succès du siècle, il cristallise les regrets et la nostalgie. Napoléon y est présenté comme le continuateur de la Révolution, voulant le bonheur du peuple et, à cause de cela, haï par les rois. http://www.histoire-de-france-et-d-ailleurs.com/articles/Testaments/Testamentnapoleon.htm
Amitié de Napoléon pour l'auteur du mémorial dans son testament :
Autre passages du mémorial portant sur la divinité de Jésus-Christ :Je cherche en vain dans l’histoire pour y trouver le semblable de Jésus-Christ, ou quoi que ce soit qui approche de l’Évangile. Ni l’histoire, ni l’humanité, ni les siècles, ni la nature, ne m’offrent rien avec quoi je puisse le comparer et l’expliquer. Ici tout est extraordinaire ; plus je le considère, plus je m’assure qu’il n’y a rien là qui ne soit en dehors de la marche des choses et au-dessus de l’esprit humain. Les impies eux-mêmes n’ont jamais osé nier la sublimité de l’Évangile, qui leur inspire une sorte de vénération forcée. Quel bonheur ce livre procure à ceux qui croient ! Que de merveilles y admirent ceux qui l’ont médité. Tous les mots y sont scellés et solidaires l’un de l’autre, comme les pierres d’un même édifice. L’esprit qui lie les mots entre eux est un ciment divin qui tour à tour en découvre le sens ou le cache à l’intelligence. Chaque phrase a un sens complet, qui retrace la perfection de l’unité et la profondeur de l’ensemble ; livre unique où l’esprit trouve une beauté morale inconnue jusque-là, et une idée de l’infini supérieure à celle même que suggère la création ! Quel autre que Dieu pouvait produire ce type, cet idéal de perfection, également exclusif et original, où personne ne peut ni critiquer, ni ajouter, ni retrancher un seul mot ; livre différent de tout ce qui existe, absolument neuf, sans rien qui le précède et sans rien qui le suive ?... Je ne vois dans Lycurgue, Numa, Confucius et Mahomet, que des législateurs qui, ayant le premier rôle dans l’État, ont cherché la meilleure solution du problème social ; mais je ne vois rien là qui décèle la divinité ; eux-mêmes n’ont pas élevé leurs prétentions si haut. Il est évident que la postérité seule a divinisé les premiers despotes, les héros, les princes des nations et les instituteurs des premières républiques. Pour moi, je reconnais ces dieux et ces grands hommes pour des êtres de la même nature que moi. Leur intelligence, après tout, ne se distingue de la mienne que d’une certaine façon. Ils ont rempli un grand rôle dans leur temps, comme j’ai fait moi-même. Rien chez eux n’annonce des êtres divins ; au contraire, je vois de nombreux rapports entre eux et moi, je constate des ressemblances, des faiblesses et des erreurs communes qui les rapprochent de moi et de l’humanité. Leurs facultés sont celles que je possède moi-même : il n’y a de différence que dans l’usage que nous en avons fait, eux et moi, selon le but différent que nous nous sommes proposé et selon le pays et les circonstances.... Il n’en est pas de même du Christ. Tout en lui m’étonne ; son esprit me dépasse et sa volonté me confond. Entre lui et quoi que ce soit au monde, il n’y a pas de terme possible de comparaison. Il est vraiment un être à part ; ses idées et ses sentiments, la vérité qu’il annonce, sa manière de convaincre, ne s’expliquent ni par l’organisation humaine, ni par la nature des choses. Sa naissance et l’histoire de sa vie, la profondeur de son dogme, qui atteint vraiment la cime des difficultés, et qui en est la plus admirable solution ; son Évangile, la singularité de cet être mystérieux, son apparition, son empire, sa marche à travers les siècles et les royaumes : tout est pour moi un prodige, je ne sais quel mystère insondable, qui me plonge dans une rêverie dont je ne puis sortir, mystère qui est là sous mes yeux, mystère permanent que je ne peux nier, et que je ne puis expliquer non plus. Ici, je ne vois rien de l’homme. Plus j’approche, plus j’examine de près ; tout est au-dessus de moi, tout demeure grand d’une grandeur qui m’écrase ; et j’ai beau réfléchir, je ne me rends compte de rien. Sa religion est un secret à lui seul et provient d’une intelligence qui certainement n’est pas une intelligence d’homme. Il y a une originalité profonde qui crée une série de mots et de maximes inconnus. Jésus n’emprunte rien à aucune de nos sciences. On ne trouve absolument qu’en lui seul l’imitation ou l’exemple de sa vie. Ce n’est pas non plus un philosophe, puisqu’il procède par des miracles ; et, dès le commencement, ses disciples sont ses adorateurs. Il les persuade bien plus par un appel au sentiment que par un déploiement fastueux de méthode et de logique ; aussi ne leur impose-t-il ni les études préliminaires, ni la connaissance des lettres. Toute sa Religion consiste à croire... C’est une chose bien extraordinaire qu’après dix-huit siècles Jésus-Christ soit encore aimé !... Nul homme, pour si grand qu’il soit, n’a jamais été aimé plus longtemps que sa vie. Aujourd’hui, qui aime César, Alexandre ? Non, les grands hommes ne sont pas aimés au-delà de la tombe. Je me connais en hommes, et je dis : Non, Jésus-Christ n’est pas un homme, et voilà pourquoi, après dix-huit siècles, on l’aime encore. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Est-ce là l’invention d’un homme ? Non ; c’est au contraire une marche étrange, une confiance surhumaine, une réalité inexplicable. Et cette folle promesse, cette prédiction d’un misérable crucifié s’est accomplie littéralement. Ce n’est ni un jour ni une bataille qui en ont décidé ; c’est une guerre, un long combat de trois cents ans, commencé par les apôtres, entretenu par leurs successeurs et par le flot successif des générations chrétiennes. Dans cette guerre, tous les rois et toutes les forces de la terre se trouvent d’un côté ; et de l’autre, je ne vois pas d’armée, mais une énergie mystérieuse, quelques hommes disséminés çà et là dans toutes les parties du globe, n’ayant d’autre signe de ralliement qu’une foi commune dans le mystère de la Croix. Pendant trois cents ans la pensée lutte contre la brutalité des sensations, la conscience contre le despotisme, l’âme contre le corps, la vertu contre tous les vices. Le sang des chrétiens coule à flots. Ils meurent en baisant la main de celui qui les tue. L’âme seule proteste pendant que le corps se livre à toutes les tortures. Partout les chrétiens succombent et partout ce sont eux qui triomphent. Concevez-vous un mort faisant des conquêtes avec une armée fidèle et toute dévouée à sa mémoire ? Concevez-vous un fantôme qui a des soldats sans solde, sans espérance pour ce monde-ci, et qui leur inspire la persévérance et le support de tous les genres de privations ? Hélas ! le corps de Turenne était encore chaud que son armée décampait devant Montecucculi. Et moi, mes armées m’oublient tout vivant, comme l’armée carthaginoise fit d’Hannibal. Voilà notre pouvoir, à nous autres grands hommes : une seule bataille perdue nous abat, et l’adversité nous enlève nos amis. Le Christ parle, et désormais les générations lui appartiennent par des liens plus étroits, plus intimes que ceux du sang, par une union plus sacrée, plus impérieuse que quelque union que ce soit. Il allume la flamme d’un amour qui fait mourir l’amour de soi, qui prévaut sur tout autre amour. À ce miracle de sa volonté comment ne pas reconnaître le Verbe créateur du monde ? Les fondateurs de religions n’ont même pas eu l’idée de cet amour mystique, qui est l’essence du christianisme sous le beau nom de charité : c’est qu’ils n’avaient garde de se lancer contre un écueil, c’est que, dans une opération semblable, se faire aimer, l’homme porte en lui-même le sentiment profond de son impuissance. Aussi le grand miracle du Christ, sans contredit, c’est le règne de la charité. Lui seul est parvenu à élever le cœur des hommes jusqu’à l’invisible, jusqu’au sacrifice du temps ; lui seul, en créant cette immolation, a créé un lien entre le Ciel et la terre. Tous ceux qui croient sincèrement en lui ressentent cet amour admirable, surnaturel, supérieur : phénomène inexplicable, impossible à la raison et aux forces de l’homme ; feu sacré donné à la terre par ce nouveau Prométhée, dont le temps, ce grand destructeur, ne peut ni user la force ni limiter la durée. Moi, Napoléon, c’est ce que j’admire davantage, parce que j’y ai pensé souvent, et c’est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ. J’ai passionné des multitudes, qui mouraient pour moi ; mais enfin il fallait ma présence, l’électricité de mon regard, mon accent, une parole de moi : alors j’allumais le feu sacré dans les cœurs. Certes, je possède le secret de cette puissance magique qui enlève les esprits, mais je ne saurais le communiquer à personne. Aucun de mes généraux ne l’a reçu ou deviné de moi ; je n’ai pas davantage le secret d’éterniser mon nom et mon amour dans les cœurs, et d’y opérer des prodiges sans le secours de la matière. Maintenant que je suis à Sainte-Hélène, maintenant que je suis seul, cloué sur ce roc, qui bataille et conquiert des empires pour moi ? Où sont les courtisans de mon infortune ? Pense-t-on à moi ? Qui se remue pour moi en Europe ? Qui m’est demeuré fidèle ? Où sont mes amis ? Oui, deux ou trois, que votre fidélité immortalise, vous partagez, vous consolez mon exil ! Oui, notre existence a brillé de tout l’éclat du diadème et de la souveraineté ; et la vôtre, Bertrand, réfléchissait cet éclat, comme le dôme des Invalides, doré par nous, réfléchit les rayons du soleil. Mais les revers sont venus : l’or peu à peu s’est effacé ; la pluie du malheur et des outrages, dont on m’abreuve chaque jour, en emporte les dernières parcelles. Nous ne sommes plus que du plomb, général Bertrand, et bientôt je serai de la terre. Telle est la destinée des grands hommes ! celle de César, d’Alexandre ! Et l’on nous oublie ! et le nom d’un conquérant, comme celui d’un empereur, n’est plus qu’un thème de collège ! Nos exploits tombent sous la férule d’un pédant, qui nous loue ou nous insulte. Que de jugements divers on se permet sur le grand Louis XIV ! À peine mort, le grand roi lui-même fut laissé seul dans l’isolement de sa chambre à coucher de Versailles, négligé par ses courtisans, et peut-être l’objet de la risée ! Ce n’était plus leur maître : c’était un cadavre, un cercueil, une fosse, et l’horreur d’une imminente décomposition. Encore un mouvement, voilà mon sort et ce qui va m’arriver à moi-même. Assassiné par l’oligarchie anglaise, je meurs avant le temps, et mon cadavre aussi va être rendu à la terre pour y devenir la pâture des vers. Voilà la destinée très prochaine du grand Napoléon. Quel abîme entre ma misère profonde et le règne éternel du Christ, prêché, encensé, aimé, adoré, vivant dans tout l’univers ! Est-ce là mourir ? N’est-ce pas plutôt vivre ? Voilà la mort du Christ ! Voilà celle d’un Dieu ! NAPOLÉON, à Sainte-Hélène. Napoléon : « Croyez-moi, je m’y connais en hommes, mais Jésus-Christ était plus qu’un homme. » Napoléon en exil à Sainte-Hélène, déclara un jour au général Bertrand : « C'est ce qui m'étonne le plus et me prouve avec certitude la divinité du Christ. Moi aussi j'ai pu enthousiasmer les foules qui sont allées pour moi à la mort. Mais ce qui allumait en leurs cœurs le feu sacré, c'était ma présence, l'étincelle électrique de mes regards, ma voix, mes paroles. Il y a en moi une mystérieuse force magique qui transporte les hommes, mais je ne peux pas la communiquer à d'autres, je ne peux pas la donner à mes généraux; et je ne connais pas le secret de perpétuer mon nom et mon amour dans le cœur des hommes, de faire un miracle sans l'aide de la matière. Il en a été ainsi de César, d'Alexandre le Grand. On nous oubliera, les noms des conquérants ne resteront que comme sujets de devoirs scolaires. Quel abîme entre ma misère et le royaume éternel du Christ, que l'on aime, que l'on adore et que l'on prêche dans le monde entier ! Est-ce que le Christ est mort ? N'est-ce pas plutôt une vie éternelle ? Oui, c'est la mort du Christ. Ce n'est pas la mort d'un homme, mais celle d'un Dieu ». « J'ai passionné les multitudes qui mouraient pour moi... mais il y fallait ma présence, l'électricité de mon regard, mon accent, une parole de moi; alors j'allumais le feu sacré dans les cœurs. Le Christ, Lui seul, est parvenu à élever le cœur des hommes jusqu'à l'invisible, jusqu'au sacrifice du temps et de l'espace. Lui seul demande à travers dix-huit siècles ce qui est le plus difficile d'obtenir, ce qu'un sage demande vainement à quelques amis, un père à ses enfants, une épouse à son époux, un frère à son frère, en un mot, le cœur. C'est là ce qu'Il veut pour Lui. Il l'exige absolument, et Il l'obtient tout de suite. Quel miracle! À travers le temps et l'espace, l'âme humaine avec toutes ses facultés, devient une annexe de l'existence du Christ. Tous ceux qui croient sincèrement en Lui ressentent cet amour admirable, surnaturel, phénomène inexplicable, Impossible aux forces de l'homme, feu sacré dont le temps, ce grand destructeur, ne peut ni user la force, ni limiter la durée. Moi, Napoléon, c'est ce que j'admire davantage, parce que j’y ai souvent pensé. C'est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ. » (Mémoires de Ste-Hélène.) (*) W. CANTON, History of the British and Foreign Bible Society, page 33. Citation des Monthly Extracts de la Société, 1841, pages 205-206. On lira avec intérêt la fin de l'article de M. Cart, déjà cité : «À la date des 7 et 8 juin, Napoléon eut avec ses compagnons d'exil un long entretien sur la religion. Il affirma avec une grande véhémence que tout proclamait l'existence de Dieu. Avec un accent de regret, il reconnaissait ce qui lui manquait en fait de piété : «Quelle serait donc ma jouissance, disait-il, si le charme d'un avenir futur se présentait à moi pour couronner la fin de ma vie?» «Cet entretien se termina d'une façon significative; l'empereur fit chercher l'Évangile, et, le prenant au commencement, il ne s'arrêta qu'après le discours de Jésus sur la Montagne. Il se disait ravi, extasié de la pureté, du sublime, de la beauté d'une telle morale, et tous ses compagnons d'infortune l'étaient pareillement. Quelques jours plus tard, exprimant l'idée qu'il pourrait arriver à une foi plus positive, il disait : «Dieu le veuille! Je n'y résiste assurément pas, et je ne demande pas mieux; je conçois que ce doit être un grand et vrai bonheur!» «Voici ce qui nous parait plus significatif encore. Un jour, vers la fin de sa vie, l'empereur, s'entretenant avec le général Bertrand, s'efforçait de lui démontrer la divinité de Jésus-Christ; une fois admise, disait-il, cette divinité donnait à la doctrine chrétienne la précision et la clarté de l'algèbre. «L'Évangile possède une vertu secrète, je ne sais quoi d'efficace, une chaleur qui agit sur l'entendement et qui charme le cœur... L'Évangile n'est pas un livre, c'est un être vivant, avec une action, avec une puissance qui envahit tout ce qui s'oppose à son extension. Le voici sur cette table, ce livre par excellence (et ici l'empereur le toucha avec respect), je ne me lasse pas de le lire et toujours avec le même plaisir». — «Le Christ parle, et désormais les générations lui appartiennent par des liens plus étroits, plus intimes que ceux du sang, par une union plus sacrée, plus impérieuse que quelque union que ce soit. Il allume la flamme d'un amour qui fait mourir l'amour de soi, qui prévaut sur tout autre amour. À ce miracle de sa volonté, comment ne pas reconnaître le Verbe créateur du monde?» — «Tous ceux qui croient sincèrement en lui ressentent cet amour admirable, surnaturel, supérieur; phénomène inexplicable, impossible à la raison et aux forces de l'homme. Moi, Napoléon, c'est ce que j'admire davantage, parce que j'y ai pensé souvent. Et c'est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ!» «L'empereur avait cessé de parler. Le général Bertrand gardait un silence qui pouvait passer pour un aveu tacite d'incrédulité, ou, tout au moins, de doute. Alors, Napoléon lui adressa cette brusque apostrophe : «Vous ne comprenez pas que Jésus-Christ est Dieu? Eh bien! j'ai eu tort de vous faire général». «Le 5 mai 1821 devait être le jour de la mort du grand exilé. Quelques jours auparavant, le 21 avril, il avait fait appeler son aumônier : «Je suis né, lui dit-il, dans la religion catholique; je veux remplir les devoirs qu'elle impose et recevoir les secours qu'elle administre!» «Cet acte de l'empereur mourant pourrait-il être interprété comme un désaveu de convictions ou de vues plus élevées, plus spirituelles? En aucune façon! En tenant compte de l'éducation reçue et des habitudes de toute une vie, nous n'en persistons pas moins à espérer que ce grand génie n'a pas passé dans l'éternité sans avoir été mis ici-bas en un contact plus individuel et plus intime avec Celui dont il proclamait si hautement la divinité et dont il parlait en termes si magnifiques. Le poète se serait trompé en supposant que Napoléon, agonisant sur le rocher de Sainte-Hélène, aurait hésité à prononcer le nom du Dieu qui pardonne. Il a fait mieux encore, il lui a rendu un admirable hommage».
Marc, Une petite réponse. Avec toute mon amitié. En tout cas j'ai appris plein de choses, je ne connaissais pas toute cette histoire. Oui le contenu de ces passages du mémorial est intéressant en soi, il n'y a aucun problème là-dessus. C'est juste pour l'attribution de leur auteur. Si c'était un livre de la plume de Napoléon, soit, alors je dirais qu'ils sont de Napoléon. Pour faire une comparaison, j'ai l'impression que c'est un peu comme dans la Bible pour le livre d'Isaïe par exemple : on identifie aujourd'hui plusieurs auteurs, à plusieurs époques, alors que ces auteurs ou la tradition ont rattaché l’ensemble du livre au prophète Isaïe. Dans notre cas, l'auteur est Las Cases, qui a joué le rôle de confident et de secrétaire particulier d'octobre 1815 (ou un peu avant) à novembre-décembre 1816, soit pendant un peu plus d'un an seulement. Après quoi il a quitté l'île. Je le signale uniquement pour mettre en avant les dates, Napoléon est resté à Saint-Hélène jusqu'à sa mort en mai 1821, soit plus de 4 ans plus tard. Las Cases n'a donc recueilli qu'une partie de sa pensée à Saint-Hélène. Il a ensuite publié le mémorial deux ans après la mort de Napoléon. Voici une note que l'on trouve dans la biographie de Las Cases sur Wikipédia (uniquement pour nous mettre en garde ou éveiller notre attention, bien sûr il faudrait creuser davantage pour savoir ce qu’il y a derrière cette remarque) : "Le Mémorial doit être lu avec grande attention, car le compilateur n'a pas eu scrupule à y insérer ses propres pensées et à adapter celles de Napoléon. Dans certains cas, on y trouve des faits non avérés et des documents entièrement fabriqués." Est-ce que cette remarque, probablement d'historiens, s'applique à nos passages ? On pourrait penser que comme on lui a offert une Bible pendant sa rétention à Sainte-Hélène, et qu'il en a effectivement lu des livres entiers apparemment, qu'il était fasciné par le personnage de Jésus ... ça pourrait être crédible qu'il ait vraiment exprimé de telles pensées, en tout cas cela a sans doute un enracinement vraiment historique. Olivier Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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