Si tu sais ce que tu fais, tu es heureux, sinon...( Luc 6:1-11 version du codex bezæ ; Genèse 3:1-6 ; Romains 14:1-23 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du 7 septembre 2008 à l'Oratoire du Louvre Il y a très peu de variantes importantes entre les différents manuscrits des évangiles, mais dans l'Évangile selon Luc nous avons une importante, une petite histoire en une phrase avec un enseignement de Jésus en plus, cela mérite de s'y pencher de plus près. « Jésus regarda quelqu'un qui travaillait pendant le sabbat, et il lui dit : Homme, si vraiment tu sais ce que tu fais, tu es heureux. Par contre si tu ne le sais pas, tu es maudit et transgresseur de la loi ! » Cette parole de Jésus est peu connue, car elle n'est pas dans nos traductions, elle est seulement signalée dans les notes en bas de la page citant certains des plus anciens manuscrits du Nouveau Testament (voir l’encadré au verso). Comment savoir pourquoi ce texte se trouve dans certains manuscrit et pas dans d'autres ? Il y a 2 solutions : soit il a été ajouté au texte original de Luc dans ce manuscrit, soit il a été supprimé dans les autres parce qu'il était trop dérangeant. Dans le contexte de l'époque, ce verset gêne tout le monde. À commencer par ceux qui voulaient respecter à la lettre la Loi de Moïse contenue dans la Bible, évidemment. Mais ce verset n'arrange pas tellement non plus les chrétiens issus des milieux grecs qui n’ont pas adoptés la Loi juive, la considérant comme dépassée dans le cadre de la foi en Christ, car dans ce verset Jésus met en garde très sérieusement contre un simple abandon irréfléchi de la Loi, ce qui nous fait d’ailleurs également un peu grincer des dents, non ? Il est donc probable que nous ayons ici une importante parole de Jésus, une parole originale, une parole forte, une parole qui dérange au point que certains copistes ont cru qu'il s'agissait d'une erreur. C'est vrai que Jésus prenait de grandes libertés avec la Loi de Moïse. Le plus remarquable, nous le voyons ici, c'est qu’il ne respecte pas scrupuleusement le sabbat. Et cela, ce n'est pas un simple petit commandement appliqué par personne mais la plus importante des 10 paroles les plus essentielles de la Loi de Moïse. Quand c'est pour guérir quelqu'un nous comprenons que la volonté de soulager l'emporte, mais quand Jésus laisse ses disciples grignoter en passant quelques épis de blés pendant le sabbat, on ne voit pas trop pour quelle raison véritablement majeure il les laisse faire cela sans rien dire. On peut donc avoir l'impression que Jésus abolit purement et simplement les commandements de la Loi de Moïse. Mais ce n’est pas si simple. Nous avons tendance à ne garder que ce qui nous arrange, comme dans cette phrase célèbre de Paul : « tout est permis, mais tout n'est pas utile » (1 Cor. 6:12, 10:23). Nous aimons le magnifique tout est permis ! Nous nous disons que c'est conforme à la libération annoncée par l'Évangile. Pourtant ce n'est pas tout à fait ça, ce que nous dit l'apôtre Paul, ce n'est pas que tout est permis ! Ce qu'il nous dit c'est que « Tout est permis, mais que tout n'est pas utile, que tout ne construit pas ! et qu’il est un peu simple de prendre prétexte de la liberté chrétienne pour faire n’importe quoi. (Galates 5 :13) Jésus ne supprime pas la Loi. Il est venu pour l'accomplir, nous dit l’Évangile (Mt. 5 :17). Et ce verset oublié de l'Évangile selon Luc nous permet de mieux comprendre ce que cela veut dire et de nous ouvrir à cet accomplissement. Le débat entre Jésus et les pharisiens est de savoir comment choisir sa route. Pour les intégristes, c'est très clair : si on pratique la Loi à la lettre on est heureux, sinon on est maudit. Il est alors mal de soigner quelqu’un le jour du sabbat, surtout si ça peut attendre le lendemain, et c’est criminel de grignoter un épi en connaissance de cause. Le Christ, lui, s'intéresse à ce qui est en amont de l'acte, il s'intéresse à la personne elle-même. Grignoter un épi de blé peut être fait dans la louange à Dieu ou dans le refus de Dieu. Pour le Christ, ce qui est primordial, c'est d'avoir pris la pleine mesure de ses actes, de garder en vue la dimension profonde de ce que l'on fait. C'est ce que conseille l'apôtre Paul, à la suite de Jésus, quand il dit : « Tout ce qui n’est pas le produit d’une conviction, d’une foi, est péché. » (Romains 14:23) C’est extrêmement libéral, et à l’opposé d’une lecture fondamentaliste de la Bible, lue comme un code moral et religieux. Selon Jésus et Paul, la Bible est plutôt une nourriture pour la foi et la réflexion personnelle, elle est lue pour nous ouvrir à Dieu et pour nous aider à progresser dans la « connaissance de ce que nous faisons » et que nous puissions ainsi nous décider librement et bien. C’est ainsi que Jésus conçoit la « Vérité »(Jean 8:32), non pas comme une règle nous disant ce que nous devons faire, mais comme une capacité à comprendre la situation où nous sommes, capacité qui nous libère extraordinairement. Selon cette nouvelle façon de voir que nous propose Jésus, le péché n’est donc pas d’enfreindre un commandement de la loi de Moïse, mais c’est plutôt d’agir sans conviction et sans foi, et il conclut « le fils de l’homme est maître du Sabbat », ce qui, bien entendu, a rendu les religieux fondamentalistes fous de rage. Le fils de l’homme, dans l’araméen ou l’hébreu utilisé par Jésus, c’est « le fils d’Adam », c’est-à-dire la personne humaine vivant en ce monde, et donc vous et moi. Certes, le Fils d’Adam par excellence c’est le Messie, le Christ, mais 9 fois sur 10, dans l’Ancien Testament, ce terme de fils d’Adam sert à désigner le vulgum pecus. Et c’est donc nous-mêmes que Jésus rend ainsi maître du Sabbat, et donc maître de la Loi tout entière, libre de décider de ce qu’il est bien et mal de faire. Cela donne le vertige. Mais là encore il ne faut pas oublier la 2e partie : oui nous sommes libres de faire ce que nous voulons comme nous le sentons, c’est très bien, mais à condition de « savoir ce que nous faisons », ce qui ne va pas de soi. Quand Adam et Ève se décident librement de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, c’était contre un commandement explicite qui leur avait été donné, mais si l’on entend ce que dit Jésus, ce n’est pas tellement cela le problème a priori. Mais le problème c’est qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, ils ont seulement suivi leur propre désir de l’instant : le fait que cela avait l’air délicieux et le plaisir de se prendre un instant pour Dieu en n’écoutant que soi-même (Gen 3:6). Alors certes ils ont décidé librement, mais ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, parce qu’ils n’ont pas voulu le savoir. C’est ça le péché fondamental, ne pas savoir ce que l’on fait. Cela demande de se connaître soi-même, de regarder le monde et les personnes qui nous entourent, cela demande de réfléchir, d’analyser ce que l’on a vécu pour faire le tri, pour se réjouir du bien et regretter le mal, cela demande l’humilité de travailler sur ses propres erreurs, de faire de bons projets… Comme nous l’enseigne l’histoire d’Adam & Ève, si nous ne comptons que sur nous-mêmes pour faire ce travail, notre point de vue est si égocentrique que notre désir de l’instant devient le critère ultime du bien et du mal, et nous nous prenons un peu pour Dieu, nous, ou notre communauté, ou notre église, ou même l’humanité. Ce n’est pas interdit en soi de se prendre pour Dieu, mais le problème c’est que ce n’est pas vrai, et que cela conduit à agir sans savoir ce que l’on fait. Le type même du péché, dans les évangiles, c’est de tuer le Christ. Or précisément, il est question une 2e fois de « savoir ou non ce que l’on fait » dans ce même Évangile selon Luc quand Jésus regarde les soldats romains qui sont en train de l’exécuter et prie pour eux en ces termes : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. » (Luc 23:34) Ce n'est pas « parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font » que le Christ leur pardonne, mais parce qu'il leur veut du bien comme Dieu aime chacun de ses enfants. C’est la seule raison, et c'est tout à fait suffisant. Mais leur problème, c’est précisément de « ne pas savoir ce qu'ils font ». C'est pour ça que Jésus les recommande à Dieu, pour qu’il les aide. C'est quand on ne sait pas ce que l'on fait que l'on tue le Christ en soi-même et dans ceux que l’on touche, on tue le dynamisme créateur de Dieu, on chasse l'Esprit-Saint. Pour ces soldats, Jésus de Nazareth n'a d'intérêt que parce qu’ils peuvent lui prendre ses habits et parce qu’on leur a dit que leur devoir était de l’exécuter. Pour Pilate, Jésus est un problème politique qu’il doit régler. Les intégristes croient bien faire en obéissant à la lettre de la Bible qui commande de faire exécuter Jésus, sans tenir compte du fait qu’il incarne la Parole du Dieu dont parle en réalité cette même Bible. Chacun de ces hommes croit bien faire, mais ne sait pas vraiment ce qu’il fait. Naturellement, si je puis dire, le Christ prie pour eux tous et pour nous tous, puisqu'il est venu pour les pécheurs. Naturellement, puisque telle est sa façon d’être, Dieu redouble de présence et de pédagogie pour sauver ses enfants qui sont ainsi en train de mourir de leur péché. Et ils ont alors plus que des myriades d'anges pour tenter de les sauver, ils ont le Christ qui est là et qui prie pour eux à haute voix. C’est ici la clef qui réconcilie notre liberté individuelle et la difficulté qu’il y a à réellement « savoir ce que l’on fait » avant de se décider. La clef, c’est un humble travail sur soi-même avec Dieu, lui avec nous-même, un travail de philosophe pour chercher ce qui est sage, un travail d’analyste pour regarder le monde et pour se connaître mieux. Jésus dit à l'homme qui travaillait le jour du sabbat : « Si tu sais ce que tu fais tu es heureux, mais si tu ne le sais pas, tu es maudit ». Celui qui obéit à la lettre d’une Loi indiscutable, sait-il vraiment ce qu'il fait ? Celui qui est guidé par un alignement systématique à son parti ou à une tradition, ou influencé par des préjugés sait-il vraiment ce qu'il fait ? Et celui qui vit sans se poser de question (parce que cela le fatigue, et qu’il est noyé dans les « distractions ») celui-là, sait-il vraiment ce qu'il fait ? Le premier point est de se poser la question que pose ici Jésus à cet homme « Sais-tu ce que tu fais ? » Nous pouvons nous demander ainsi, tout simplement puisque nous nous savons acceptés et pardonnés, pourquoi on agit comme on le fait. Regarder sa vie, regarder les circonstances, et chercher pourquoi on a agi ainsi… et ce que nous cherchons en vérité… Comme cette page de l’Évangile le suggère, cela aide vraiment d’être en dialogue avec le Christ pour se poser cette question, en mettant en regard notre existence et l’Évangile. Comme la prière de Jésus à la croix, nous pouvons nous ouvrir au pardon de Dieu, mais aussi à son aide pour prendre de la hauteur, afin d’être un peu moins comme une petite fourmi marchant sur une tapisserie sans comprendre la logique des fils qui s’entrecroisent. Le projet de Dieu n’est pas de nous dicter ce que nous devons faire comme on programme une machine, car alors nous ne saurions toujours pas ce que nous ferions. Dieu n’est pas une base de données universelle sur ce que l’on doit faire ou non en telle circonstance, il est le créateur et son projet en ce qui nous concerne est de nous rendre capable de plus de discernement. Il est comme un bon éducateur qui ne veut pas seulement transmettre une connaissance mais apprendre à apprendre et à comprendre. C’est comme cela qu’il libère notre propre créativité et la rend source d’évolution positive. Grâce lui soient rendue. Amen. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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