Que faire du nouvel An ?(Lévitique 23:23-25 ; 1 Thessaloniciens 4:15-18) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 2 janvier 2011 à l'Oratoire du Louvre 1. La religion populaireChers frères et sœurs, notre protestantisme est assez frileux à l’égard de la religion populaire. Notre protestantisme est assez prompt à dénigrer toute forme de paganisme qui se mêlerait à la foi et à la pratique religieuse. C’est notamment remarquable pour ce qui concerne les festivités. Dès les débuts de la Réforme, en France, les pasteurs se démarquent des habitudes catholiques en éliminant du calendrier liturgique toute une série de célébrations et en reportant les fêtes maintenues au dimanche qui précède plutôt que les fêter le jour même. Ainsi en va-t-il de Noël et du 25 décembre, qui peut être l’occasion de prêcher Pâques, manière de résister à l’obligation qui est faite de chômer les jours de fête de l’Eglise catholique (sermon de Jean Daillé à Noël 1651). Cette frilosité à l’égard de l’excès de religiosité qui peut confiner à la superstition explique pourquoi nous n’avons pas de rituel spécifique pour accompagner le passage d’une année à l’autre, pour marquer le nouvel An. Certes, il n’y a pas de célébration du nouvel An mentionnée dans la Bible mais, bien plus que cela, c’est notre bon sens qui nous encourage à ne pas prêter une importance particulière à ce jour qui revient tous les 365,25 jours : nous avons conscience qu’il ne suffit pas de changer l’unité de l’année pour que la vie change. Ce n’est pas parce que nous changeons d’année (et de décennie cette fois-ci) que le 1er janvier 2011 est fondamentalement différent du 31 décembre 2010. Il y a bien plus de continuité que de rupture entre ces deux jours. Eviter de marquer les fêtes qui ne se rapportent pas à la vie du Christ ou à des faits significatifs de l’histoire comme l’est la Réformation que nous commémorons chaque dernier dimanche d’octobre, c’est éviter les superstitions qui accorderaient un statut privilégié à tel ou tel jour voire une efficacité particulière à tel fête. Effectivement, ce n’est pas parce que nous passerions le nouvel An sous silence que notre histoire personnelle s’arrêterait soudainement, notre univers se désintégrant parce que nous n’avons pas marqué, de manière factuelle, l’entrée dans une nouvelle année qui n’a de neuf que le nom. Et nous savons fort bien que si nous n’échangeons pas de vœux à l’occasion de cette nouvelle année, l’année aura quand même lieu, de même que nous savons parfaitement qu’il ne suffit pas de souhaiter une bonne année et une bonne santé à quelqu’un pour que cela se réalise. Toutefois, il arrive qu’à force de rejeter toute forme de religiosité pour fuir les superstitions, notre attitude devienne elle-même superstitieuse, accordant un pouvoir spécifique à des occasions que nous refusons de célébrer. C’est le cas, par exemple, des témoins de Jéhovah qui ne fêtent pas les anniversaires parce que c’est à l’occasion de l’anniversaire d’Hérode que la tête de Jean-Baptiste à été coupée puis offerte sur un plateau (Mc 6/14-29). Ce parti pris revient à conférer un pouvoir particulier au jour anniversaire, à en faire un jour capable de reproduire le malheur provoqué autrefois. On fuit une superstition pour se jeter dans les bras d’une autre qui ne vaut pas forcément mieux. Rejeter en bloc la religion populaire en la taxant de paganisme, ce peut-être s’exposer au risque qu’énonçait le prophète Amos en son temps : « Vous serez comme un homme qui fuit devant un lion et que rencontre un ours, Qui gagne sa demeure, appuie sa main sur la muraille, et que mord un serpent. » (Am 5/19) 2. célébrer le nouvel AnCertes, le nouvel An n’est pas prescrit par le Christ, mais l’actualité nous rappelle que des coptes, qui ne sont pas les moins chrétiens de la planète, se sont retrouvés à Alexandrie, en ce réveillon du nouvel An, pour y célébrer une messe. Le judaïsme, s’il n’a pas opté pour le même calendrier que les Eglises chrétiennes, n’en a pas moins développé une festivité du nouvel An, Roch Hachana (« tête de l’année »). Roch Hachana est célébré le 1er jour du septième mois (Tishri) et se fonde sur les trois versets du livre du Lévitique que nous avons lus (voir aussi Nb 29/1-6). Formellement, il est question d’un shabbat, d’un mémorial, d’une acclamation et d’une convocation sainte. Les deux premiers points (shabbat et mémorial) renvoient à la création d’Adam et d’Eve qui fut suivie d’un shabbat dont il faut faire mémoire. Les deux autres points renvoient à la ligature d’Isaac par Abraham (Gn 22), l’acclamation résultant du son d’une trompe faite dans une corne de bélier, l’animal qui fut sacrifié à la place d’Isaac et la convocation, l’appel, évoquant l’appel par le messager de Dieu à Abraham de ne rien faire à l’enfant ligoté. Si nous concevons facilement que la référence à la création d’Adam et Eve exprime que l’année qui s’ouvre est l’occasion que Dieu donne de créer encore et encore l’humanité voulue par lui, la référence au sacrifice interrompu d’Isaac est moins évidente. Cette référence à cet épisode biblique renvoie à la préservation de la vie que l’on crée d’un côté, mais que l’on est si souvent capable de détruire d’un autre côté. Ce double enracinement biblique exprime à la fois le dynamisme créateur auquel Dieu nous appelle et la vigilance pour que nous ne sacrifiions pas autre chose que l’animalité intérieure tout au long de l’année à venir. Autrement dit, cela fait écho à cet élan qui nous est si naturel lors d’un passage d’une année à l’autre, que cette année soit civile, scolaire ou qu’il s’agisse d’une date anniversaire : le bilan. Roch Hachana est l’occasion du bilan où nous observons ce qui a été accompli jusque là (nous évaluons, nous hiérarchisons), de manière à trier ce que l’on garde pour la suite et ce qu’on abandonne. La double référence à la création de l’humanité et à la ligature d’Isaac nous propose des critères pour effectuer nos bilans, et faire ce tri qui nous permettra de commencer une année où nous ne reproduirons pas bêtement les erreurs du passé comme nous le ferions si nous ne prenions jamais le temps d’analyser notre vie. Ces critères consistent à repérer ce qui crée et ce qui détruit ; ce qui rend fécond et ce qui stérilise ; ce qui fait histoire et ce qui met un terme à l’histoire. Ce sont là les indices qui nous permettent d’apprécier notre existence au regard de l’espérance de Dieu. C’est un devoir d’inventaire que le judaïsme a érigé en principe de jugement annuel pendant lequel Dieu passe en revue les habitants de la Terre et inscrit les justes sur le livre de vie et les méchants sur le livre de mort (traité Roch Hachana 16a). 3. Mise en perspective par l’apôtre PaulInscrire les justes sur le livre de vie et les méchants sur le livre de mort, au terme d’une année, peut rapidement devenir un jeu de massacre sans nuance. La peur de ne pas être inscrit dans le bon registre peut devenir la seule motivation qui nous pousse à agir dans telle ou telle direction. La peur est un ressort extrêmement puissant mais il fait agir pour de mauvaises raisons et, le plus souvent, pervertit l’éthique, notre manière d’agir. Est-ce qu’en 1911 on lance le scoutisme unioniste par peur de ce que pourront penser les parpaillots cent ans plus tard ? Est-ce que l’on fonde le centre social La Clairière par peur de ce que les membres de l’Oratoire pourront penser en 2011 ? C’est pour éviter que la peur nous gouverne que l’apôtre Paul rappelle quelle est la perspective divine. Il le fait à cet endroit d’une lettre écrite aux membres de l’Eglise de Thessalonique, qui s’inquiètent de voir les fidèles mourir les uns après les autres et le Royaume ne pas advenir, ce qui pourrait indiquer que ces personnes qui étaient estimées justes avaient leur nom, en fait, sur le livre des morts. Entre le son de la trompette de Dieu (« salpigx » cf. Lv 23/24) et l’exhortation à s’interpeller les uns les autres (v. 18 « parakalein » cf. « kalein » Lv 23/24), l’apôtre rassure ses lecteurs sur le fait qu’une année ne dit pas le tout d’une existence ; une année n’est qu’un fragment de ce que nous sommes, de ce que nous faisons, de ce que nous projetons. Une année ne permet pas de dire l’intégralité d’une personne. Par conséquent, s’il était possible de dire d’une année qu’elle a été bonne ou mauvaise, cela ne dirait pas grand-chose de nous, de ce que nous sommes encore capables d’éprouver, d’accomplir. Certains sont malades, certains meurent, certains ont une réussite professionnelle fulgurante tandis que d’autres font banqueroute ; certains ont une vie sans accroc, d’autres doivent lutter jour après jour pour survivre ou faire survivre leur entreprise ; une même année peut être épouvantable pour les uns, merveilleuse pour les autres. Une année ne dit rien de ce que nous sommes véritablement. Comme le rappelle Paul, c’est Dieu et Dieu seulement qui donne le signal et qui rassemble en lui notre existence. C’est Dieu, qui, seul, peut prendre la mesure de ce que nous sommes. Le jour de l’an en forme de jour du jugement ou de bilan n’est qu’une pédagogie que nous pouvons mettre en place pour nous aider à mieux nous orienter vers la vie voulue par l’Eternel, à nous corriger les uns les autres, à nous exhorter les uns les autres, à s’exhorter soi-même en laissant retentir en soi l’appel vibrant de Dieu à poursuivre la création, à mettre au monde l’humanité, plutôt que d’opter pour ce qui défigure le monde. Un jour de l’An, compris comme une étape sur le chemin de notre vie pour faire le point comme le font les randonneurs qui déterminent leur position exacte et réajustent leur direction, est une manière de dire « cette année encore, je me confie à Dieu, j’accepte sa souveraineté ». Une nouvelle année peut être l’occasion de champagne, d’un concert, de vœux, d’angoisses ou d’incertitudes. Elle peut être aussi l’occasion d’une attitude spirituelle qui réinvestit ce qui a des allures de paganisme de manière à ne pas laisser une partie de notre vie en friche en y laissant pousser toutes sortes de mauvaises herbes. C’est aussi l’occasion de fouiller le passé, de faire ce mémorial dont parle Roch Hachana et de labourer ce passé en tous sens comme on laboure une terre pour en tirer tous les bénéfices. Car il ne s’agit pas d’être prisonnier d’un passé auquel il ne faudrait toucher, mais d’en faire bon usage pour mieux orienter son avenir. Certainement, opérer un droit d’inventaire sur deux cents ans de protestantisme à l’Oratoire peut être une bonne manière d’inventer un à-venir encore meilleur que ce qui a été vécu jusque là. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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