Pâques révèle Dieu
sous les traits d’une sage-femme

(Matthieu 28:1-10)

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Culte du dimanche de Pâques 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, il y a 200 ans, le pasteur Paul-Henri Marron monta pour la première fois dans cette chaire afin d’y célébrer le culte de Pâques et d’y annoncer que « la nuit est passée, le jour s’est levé ». Que le premier culte célébré par le protestantisme réformé dans cet Oratoire qui venait de lui être attribué par Napoléon soit un culte de Pâques, ne saurait mieux dire l’esprit qui a sans cesse animé le protestantisme parisien et qui porte notre Eglise aujourd’hui encore. Cet esprit, c’est l’esprit de Pâques, précisément, c’est l’esprit de la résurrection, c’est la dynamique que nous voyons à l’œuvre dans le récit qu’en fait l’évangéliste Matthieu, une dynamique qui traverse toute la Bible.

Pâques nous parle de Dieu, Pâques nous parle de ce que Dieu fait en faveur de notre humanité. Pâques dessine un portrait du Dieu qui intervient dans notre histoire, dans notre vie personnelle. Et pour en rendre compte, il me semble qu’il y a une image qui convient parfaitement, c’est l’image de la sage-femme. Dieu est une sage-femme. C’est ainsi, me semble-t-il, que l’évangéliste Matthieu a perçu Dieu et c’est ainsi qu’il en rend compte dès les premiers mots de son évangile. L’évangile de Matthieu commence par la généalogie de Jésus, par la succession des générations qui, d’Abraham à Joseph, l’époux de Marie, conduisent à Jésus de Nazareth. A chaque génération, Dieu était là, présent, agissant, permettant à la génération suivante d’advenir à la vie, tout comme une sage-femme, au carrefour de la vie, présente, accompagnant la génération des parents pour faire éclore la vie. Dieu était là, à chaque étape de l’histoire du peuple hébreu, suivant de près les contractions du peuple qui accouchait d’une histoire toujours nouvelle, guettant les signes avant-coureur d’une éventuelle détresse de l’enfant à venir et agissant pour que la vie, toujours, l’emporte.

L’évangéliste Matthieu avait, ensuite, raconté de quelle manière Dieu avait planifié les consultations pendant la grossesse de Marie, manière de rassurer le père et la mère, manière de les préparer à leur parentalité future. Et puis Jésus est né. Et Dieu était là, encore, à la manière d’une sage-femme, permettant que la naissance soit officialisée, inscrite jusque dans la conscience du pouvoir politique. Dieu était là pour organiser les premières visites. Il était là encore pour protéger l’enfant, ses parents, et leur permettre de se mettre à l’abri, car la première mission de la sage-femme, est d’assurer la sécurité de l’enfant et des parents.

Ensuite, lorsque Jésus commença à accomplir son ministère auprès des hommes, il prit, lui aussi, les traits d’une sage-femme, en aidant les personnes qu’il croisait à venir au monde, à prendre leur place parmi les vivants, alors même qu’ils en étaient si souvent exclus. En Jésus-Christ, Dieu fut sage-femme bien mieux que Socrate ne le fut dans ses cercles philosophiques. Il fit accoucher les hommes et les femmes de l’humanité qui sommeillait en eux ; il fit accoucher le monde d’une vie spirituelle espérée mais encore jamais incarnée de la sorte. L’esprit de Pâques a toujours été à l’œuvre.

Et puis il y eu un vendredi noir, terrible vendredi où les forces de la mort, ces pourvoyeurs des ténèbres, voulurent mettre fin à l’activité de ce « Dieu sage-femme » qui ne cessait de faire advenir la vie. Le pouvoir en place décida de mettre fin à la pratique de Jésus. Jésus fut mis à l’index, en croix.

La voilà cette nuit dont parle le pasteur Marron. C’est la nuit de l’obscurantisme. C’est la nuit qui veut tout envelopper et qui essaie de recouvrir la jeune foi naissante pour la rendre invisible. C’est la nuit qui veut endeuiller l’esprit de Réforme qui jaillit à Paris. C’est la nuit qui fait brûler en place de Grève Jacques Pauvant en 1525, un prêtre de l’évêché de Meaux qui a traduit des textes de Luther. C’est la nuit qui fait fuir Nicolas Cop, le recteur de l’Université, qui a tenu un discours plein de propos évangéliques inspirés par Jean Calvin. C’est la nuit qui interdit de lire la Bible en français. C’est la nuit qui interdit les assemblées de ceux de la Religion prétendue Réformée. C’est la nuit qui, en 1557 arrêtera 120 personnes dont 7 seront brûlées vives. C’est la nuit qui incite le parlement, en 1571, à faire raser la maison de la famille Gastines à l’angle de la rue des Lombards et de la rue saint Denis. C’est cette terrible nuit du 24 août 1572 qui assassine entre 2000 et 3000 protestants à Paris. C’est aussi la nuit qui, en dépit des clartés de l’Edit de Nantes, interdit tout culte à moins de 12 kilomètres de Paris. C’est la nuit de la révocation de cet Edit, en 1685, qui conduira notamment à la destruction du temple de Charenton.

Comment réagir face au déchaînement de la violence, face à l’injustice et la haine ? Quelle éthique en situation de crise majeure ?

La première réaction peut être la colère et le désir de vengeance. C’est ainsi que réagirent les zélotes dont parle le Nouveau Testament et les Camisards dans les Cévennes. Mais, au bout du compte, cette manière de réagir est une manière d’ajouter de la nuit à la nuit en entretenant la spirale de la violence et de l’injustice.

La deuxième réaction peut être, au contraire, l’absence de réaction. Cela revient à attendre que ça passe. C’est considérer qu’après la pluie viendra le beau temps, un jour ou l’autre. On courbe l’échine et on attend des jours meilleurs. Mais qu’est-ce qui nous fait croire que des jours meilleurs viendront nécessairement ? Qu’est-ce qui nous fait croire qu’après la nuit viendra le jour, inexorablement ?

La réaction de Dieu, à Pâques, ouvre une troisième voie, une troisième manière de réagir, qui consiste à ajouter du jour au jour en faisant se lever un soleil de justice. Oui, la nuit est passée, mais parce que le jour s’est levé. Ce n’est pas la nuit qui laisse la place au jour, c’est le jour qui prend la place de la nuit. Les forces de destruction sont combattues par un excès de vie. Pâques, c’est le moment où le vivant vient au monde et l’on entend à nouveau parler du « Dieu sage-femme ».

Tout commence par la terre qui est traversée de contractions au verset 2. La terre entière est parcourue de ce signe précurseur de la naissance qui est vécue comme une libération ; c’est le travail de la délivrance. Comme dans le récit de Noël, un membre de la maternité divine, un ange apparaît pour donner du sens à ce qui se passe. Et quand il les invite à entrer dans la salle de travail, les femmes comprennent que ce qu’elles avaient cru être un linceul n’était en fait que des langes dans lesquelles Jésus avait été emmailloté, comme au premier temps, comme dans le récit de Noël.

Frères et sœurs, Noël et Pâques participent de la même dynamique par laquelle le « Dieu sage-femme » fait surgir la vie à tout bout de champ, comme si cela était naturel pour lui. Dieu accompagne le travail de la naissance à la manière d’une sage-femme.

Et c’est ainsi que le protestantisme ressuscita au XVIIIème siècle. Il y eut l’édit de tolérance que promulgua Louis XVI en 1787 et qui donna une existence aux protestants dans l’Etat civil. Il y eut l’action ardente de ces esprits libres qui apportèrent à l’Europe les Lumières qui allaient définitivement dissiper l’obscurité dans laquelle le Royaume de France s’était particulièrement enfoncé. Le pasteur Jean-Paul Rabaut Saint Etienne en prononçant en août 1789 un discours à l’Assemblée soulignait avec force la place que les protestants français occupaient dans la vie publique : « Les protestants font tout pour la Patrie et la Patrie les traite avec ingratitude ; ils la servent en citoyens, ils en sont traités en proscrits ; ils la servent en hommes que vous avez rendus libres, ils en sont traités en esclaves. Mais il existe enfin une Nation Française et c’est à elle que j’en appelle, en faveur de deux millions de citoyens utiles, qui réclament aujourd’hui leur droit de Français… »

La résurrection du peuple protestant est à comprendre à la lumière de Pâques telle qu’en parle l’évangéliste Matthieu. La venue au monde d’un peuple neuf au terme de contractions épouvantables, mais qui furent accompagnées par l’action patiente du « Dieu sage-femme ». C’est cet esprit-là dont l’Oratoire est dépositaire depuis deux siècles, non pas au sens d’un gardien de musée qui veille à ce que rien ne bouge, mais au sens du conservateur qui maintient vivant l’esprit des origines. C’est cet esprit qui s’est éveillé à chaque fois que l’obscurantisme menaçait, c’est encore cet esprit là qui a animé notre communauté aux heures les plus sombres de l’histoire de France, cherchant à faire passer la nuit au plus vite en aidant le jour à se lever.

Le 16 juin 1940, c’est le premier culte dans Paris occupé depuis l’avant-veille. Le pasteur André-Numa Bertrand prêche sur « Heureux l’homme qui porte l’épreuve avec patience ! », en terminant sur ces mots : « C’est aujourd’hui l’heure de la Croix ; mais un jour viendra l’heure de la Résurrection ! ». Il a donné pour consigne à Marie-Louise Girod-Parrot, organiste de l’Oratoire, si des troupes allemandes venaient à passer rue de Rivoli avec de la musique militaire, de jouer le psaume 68, le Psaume des Batailles – « vous tirerez tous les jeux, et vous remplirez le temple d’un tel tumulte que personne n’entende rien ». C’est par la lumière que l’on combat les ténèbres.

Quelques jours plus tard, le 14 juillet 1940, le pasteur Bertrand s’exprime ainsi du haut de cette chaire : « Au moment où nous nous rencontrons devant Dieu, ce matin, nous ne saurions feindre d’ignorer quelle date s’inscrit au calendrier, et qu’elle est celle que les enfants de la France ont mise à part, au temps de leur bonheur et de leur liberté, pour penser plus spécialement à leur Mère et lui apporter leur hommage et leur gratitude. Les malheurs de ces jours sombres ne sauraient nous détourner d’un semblable propos, bien au contraire, et rien ne doit nous empêcher de redire ici d’un cœur unanime que nous aimons notre Patrie d’autant plus qu’elle est plus malheureuse, que nous avons foi en elle, que nous prions pour elle, demandant à Dieu la résurrection de son âme véritable ».

La nuit est passée parce que le jour de Pâques s’est levé, parce que des hommes et des femmes ont fait s’étendre la puissance de vie. Nous pensons en particulier au pasteur Vergara et à Marcelle Guillemot qui sauvèrent une soixantaine d’enfants juifs et firent du centre social La Clairière un centre de la Résistance française. Pâques, c’est lorsque nous aidons l’horizon à s’éclaircir : le soleil se lève alors sur le monde. La vie se répand, elle vient au monde car Dieu la fait naître. De cercle en cercle, la nouvelle est annoncée par les témoins de ce premier dimanche de Pâques puis de tous ces jours de Pâques que Dieu fait, comme ce dimanche 7 juin 1942. Une femme croise sous les arcades de la rue de Rivoli un « ménage à l’air modeste et distingué qui portait l’étoile jaune. Alors je me suis avancée, rapporte-t-elle et leur ai tendu la main en leur disant : “Je suis chrétienne, je sors de l’Oratoire, permettez-moi de vous témoigner ma sympathie. Nous sommes tous des enfants de Dieu”. Le monsieur a porté ma main à ses lèvres, il était tout ému et moi j’avais les larmes aux yeux ».

C’est là notre divine vocation d’en être aujourd’hui encore les messagers, les anges. A notre tour d’être de ces anges qui annoncent que nous sommes appelés à la vie et que Dieu, ce « Dieu sage-femme » nous aidera à venir au monde, à chaque fois que cela sera nécessaire. Annoncer qu’on n’en finit jamais de naître, qu’on n’en finit jamais de venir au monde, qu’on n’en finit jamais de se relever de ses chutes, qu’on n’en finit jamais de se réveiller de ses somnolences, qu’on n’en finit jamais de ressusciter. Cela consiste à prendre la parole pour raconter les merveilles de ce « Dieu sage-femme », et l’assister pour mettre au monde la vie partout où elle peut retrouver de la vigueur, partout où elle peut retrouver de l’éclat, partout où elle peut surgir comme jaillit un bourgeon de fleur au printemps. Pâques nous appelle à faire partie de cette splendide maternité de Dieu qui déploie tous ses efforts pour que la vie ne cesse de l’emporter en toutes circonstances. Amen

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Matthieu 28:1-10

Après le sabbat, à l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent voir le sépulcre.
2 Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s’assit dessus.
3 Son aspect était comme l’éclair, et son vêtement blanc comme la neige.
4 Les gardes tremblèrent de peur, et devinrent comme morts.
5 Mais l’ange prit la parole, et dit aux femmes: Pour vous, ne craignez pas; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié.
6 Il n’est point ici; il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez, voyez le lieu où il était couché,
7 et allez promptement dire à ses disciples qu’il est ressuscité des morts. Et voici, il vous précède en Galilée: c’est là que vous le verrez. Voici, je vous l’ai dit.
8 Elles s’éloignèrent promptement du sépulcre, avec crainte et avec une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle aux disciples.
9 Et voici, Jésus vint à leur rencontre, et dit: Je vous salue. Elles s’approchèrent pour saisir ses pieds, et elles l’adorèrent.
10 Alors Jésus leur dit: Ne craignez pas; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée: c’est là qu’ils me verront.