Non, tout ne va pas si mal en ce monde !( Ézéchiel 37:1-14 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 11 septembre 2011 à l'Oratoire du Louvre Je ne veux pas dire du mal, non non, mais j’ai entendu plusieurs prédications commençant par un tableau très sombre de l’état du monde. Un tableau développé pendant une longue introduction et débouchant sur une annonce de salut venant de Dieu, une sorte de salut qui semble comme hors de ce monde, par exemple dans une vie future, ou dans une autre dimension (spirituelle), ou bien enfin par la venue spectaculaire du Messie, nous libérant de ce monde perdu… Ce n’est pas l’Évangile car précisément le Christ est venu dans ce monde parce que Dieu a aimé tel qu’il est, ce monde ci, nos personnes et notre vie en ce monde. Parfois ce ne sont pas les religieux qui dressent un tableau fort sombre de ce monde, mais des hommes politiques pour se justifier ou pour torpiller l’adversaire. Ce langage apocalyptique peut se retrouver aussi dans la bouche de penseurs comme le célèbre scientifique Stephen Hawking qui prédit la fin de l’humanité d’ici 200 ans. Et bien non, tout ne va pas si mal. Autrefois, certains nous disaient : vous êtes pécheurs et rien ne peut vous sauver des peines éternelles sauf si… sauf si vous pensez et faites ce que je vous dis (enfin, c’est alors présenté comme la vraie vérité du Christ, ou la vraie pensée de Mohamed, ou de Bouddha, ou de Marx, ou de monsieur machintruc expert en je ne sais quoi). Pour nous faire sentir encore plus coupables ces prophètes de malheur nous inventent des responsabilités diffuses immenses, en plus de nos propres fautes. Nous serions donc coupables d’avoir réchauffé la planète, coupable de vivre à un rythme trop élevé, coupable de faire partie d’une société trop individualiste… Vous êtes mauvais, nous disent-ils (j’exagère à peine) et une catastrophe nous menace tous à cause de vous, changez donc maintenant, adoptez mes idées, sinon ce sera la fin du bonheur possible, la fin de l’humanité, la fin de la planète, et des châtiments éternels pour vous en prime. C’est une grosse ficelle, comment est-ce que nous nous faisons si facilement avoir ? C’est qu’effectivement tout ne va pas bien en ce monde et du coup le langage catastrophiste trouve un réel écho en nous. C’est vrai que nous avons parfois l’impression de marcher comme sur de la glace dans notre vie, en nous demandant si ça va tenir. C’est vrai que nous avons du mal à nous pardonner à nous-mêmes nos imperfections… C’est là-dessus que jouent ces personnes qui cherchent à nous manipuler. Même si c’est avec la bonne intention de nous aider à recevoir la vie que Dieu nous donne, ce n’est pas bon de nous pousser en nous faisant peur, en nous culpabilisant, et en salissant notre regard que sur ce monde. Jésus n’était pas comme ça. Sa prédication ne nous dit pas « vous êtes pécheurs », mais « vos péchés sont pardonnés » Il ne nous dit pas « vous êtes perdus » mais il nous dit que Dieu s’est approché pour nous aider, il nous dit « ta foi t’a sauvé » maintenant, alors que nous sommes encore dans ce monde. Jésus nous dit : je ne vous envoie pas hors du monde mais dans ce monde parce que ça vaut la peine, comme j’ai été envoyé dans ce monde par mon Père qui a aime ce monde. Alors oui, tout n’est pas parfait en ce monde, mais il y a tant de bonnes et belles choses qui ont été faites et qui sont faites chaque jour. Notre monde n’est pas condamné, il n’est pas impur, il est et il demeure une merveille. L’humanité a fait des erreurs et elle en fera encore, mais nous avons un bon fond. De réels progrès sont faits dans l’humanité, nous prenons conscience de certaines choses, il y a énormément de bonne volonté à tout les niveaux pour créer un bel avenir pour les générations futures. Et donc non, nous ne sommes pas arrivés trop tard dans un monde pourri. Le meilleur est devant nous, et ce sera aussi grâce à nous. Ne nous laissons donc pas avoir par les prophètes de malheur. Grâce à Hergé et ses histoires de Tintin, ce type de propagande est parfois baptisée d’un nom : la méthode de Philippulus. En effet, dans un de ses albums, une météorite menace la planète et un homme poursuit Tintin avec des menaces et des appels à la repentance, prédication qu’il accompagne de lugubres coups de gong. « C’est le châtiment, faites pénitence, la fin de monde est arrivée ! » Du coup c’est presque en souriant que nous pouvons démasquer ces faux prophètes : « tiens, Philippulus a oublié son gong et sa robe blanche aujourd’hui, mais tout le reste y est », il cherche à nous désespérer. C’est ainsi qu’au temps d’Ézéchiel le peuple d’Israël est désespéré : « Nos os sont desséchés, Oui, tout ne va pas bien dans notre monde, dans notre être et dans l’avenir possible. C’est vrai. Mais qu’en conclure ? Avec l’aide de Dieu, Ézéchiel ne va pas devenir un Philippulus, au contraire. Dieu lui donne la force d’aller se promener par l’Esprit au pire de ce qui les désespère. Le Christ, de même, nous apprend à ne désespérer de personne ni d’aucune situation. Il s’approche des lépreux, des collabos, des prostitués, des intégristes, des trop coupables et des trop parfaits, des trop riches et des trop pauvres… nous ne dégoûtons pas Dieu, il s’est approché de nous en Christ, tels que nous sommes. Et que voit Ézéchiel ? Une grande quantité d’ossements tout secs. Ça pourrait sembler désespérant, et le Philippulus qui veille en nous chuchote à notre oreille : à quoi bon, laisse tomber, il n’y a là que des horreurs. Mais Dieu donne un autre regard au prophète qui veille aussi en nous. Des os ? Ce n’est déjà pas si mal, on peut en faire quelque chose, c’est un début de structure, un début de projet qui se tient. Ce que nous apporte Dieu, comme ici à Ézéchiel, c’est d’abord d’avoir le courage de regarder et de nous poser des questions, de remettre en question le bilan désespéré : « Fils de l’homme, ces os pourront-ils vivre ? » Ézéchiel n’y avait même pas pensé. Mais notons que Dieu ne dit pas « ces os pourront-ils revivre ? » comme s’il était question de retourner en arrière, mais la foi nous invite à nous poser la question « ces os pourront-ils vivre ? » Cela nous invite à aller de l’avant et d’envisager une création nouvelle, une genèse qui sera de notre temps. Si nous en restions à vouloir rétablir une situation passé, alors là, oui, nous serions mal partis, car nous ne sommes plus hier. C’est vrai que ces ossements viennent du passé mais c’est une vie nouvelle qui est envisagée ici par Dieu, et c’est avec nous et par nous qu’il l’envisage. Ézéchiel répond avec une saine humilité : Euh, « Seigneur Éternel, tu le sais ! » Effectivement, tout n’est pas sauvable et le Christ en sait quelque chose, mais avec Dieu, toujours, la vie l’emporte, par une solution nouvelle qui était inimaginable avant. Une méthode se fait jour, un élan de belle et bonne création, inattendue : « Prophétise sur ces os, et dis-leur : Ce n’est pas par la force que l’Éternel invite le prophète à agir, mais c’est par la Parole. Adresser la parole aux ossements desséchés paraît inutile et fou. Mais c’est ainsi que le Christ nous apprend à ne jamais désespérer de personne ni de nous-mêmes. C’est par la parole que l’on peut commencer à ouvrir un avenir nouveau, mais pas n’importe quelle parole. Ézéchiel doit prophétiser sur les os desséchés. Prophétiser, c’est avoir une parole de vérité, une parole qui dit la réalité vue d’en haut, telle qu’elle est vue par Dieu, c’est un regard décapant mais aussi aimant, infiniment respectueux et optimiste, vivifiant. Peut-être ne la savez-vous pas, mais vous aussi êtes capable d’un regard et d’une parole prophétique qui donne vie. C’est un regard et une parole qui naissent au plus profond de nous-mêmes quand on prie, en secret, en soupir « Éternel, tu le sais ! » après avoir regardé le monde et nous être posé des questions avec Dieu sur son avenir. C’est chacun de nous qui sera prophète nous dit ce texte, puisque c’est à chacun, et même à chaque bout d’os que sera donné l’Esprit de Dieu, pour être prophète, pour connaître Dieu et avec lui faire avancer la vie. Comme je prophétisais, dit Ézéchiel, il y eut un bruit, « Les os s’approchèrent les uns des autres », n’est-ce pas déjà un programme, un beau succès ? Au sens de notre monde, ce sont des personnes qui commencent à se regarder, à se considérer, à entendre ce que l’autre a à dire de prophétique, qu’il soit un petit ou un géant, un pauvre ou un roi. « Les os s’approchèrent les uns des autres » Au sens de notre propre vie, c’est comme si les différents morceaux de notre être, de notre vie, de notre passé commençaient à s’unifier un peu. « Je regardai, et voici, il leur vint des tendons » Oui, pour se rendre compte des progrès, il faut ouvrir les yeux et regarder. Des tendons apparaissent, ce sont comme des liens de solidarité entre ces éléments, mais aussi des articulations, une souplesse qui laisse la liberté de chaque membre et qui rend possible de collaborer. Une bonne articulation entre nous tous, mais aussi une articulation entre notre sensibilité, nos instincts, notre intelligence et notre foi… Ensuite, c’est de la chair qui pousse sur ces os, une certaine tendresse est donnée à la structure des os, une certaine force, un dynamisme. Ensuite c’est une peau qui les couvre. La peau est une protection mais c’est aussi une sensibilité aux autres. Oui, en ce monde nous sommes un espace qui nous est propre. Nous avons besoin d’être nous-mêmes, d’avoir une identité et une intimité. C’est un besoin pour chaque être, pour chaque groupe humain, pour le couple, la famille, pour une association, pour une église, un pays… Mais cette frontière que Dieu nous donne est une peau, sensible et douce, certes un peu fragile aussi et donc à protéger, mais elle est capable de recevoir et de donner la caresse et de la recevoir, elle est capable de sentir le souffle et de reconnaître la texture de la matière. Les os se sont rapprochés, les tendons, la chair et la peau ont été donnés… mais il n’y avait pas en eux d’esprit nous dit le texte. Échec partiel. Ou plutôt une pause, une attente. L’Esprit manque et c’est la vie qui manque, la vie belle et créatrice, la vie qui avance sur ses propres pieds pour tracer son propre cheminement. Sans cet Esprit divin, ces êtres sont comme assassinés. Et c’est le cas quand nous sommes abattus par les Philippulus, endoctrinés, enchaînés par la peur de Dieu, peur de la malédiction, peur des catastrophes et peur de l’enfer, coupés de la grâce, culpabilisés. L’Éternel me dit : Prophétise, et parle à l’esprit ! Oui, c’est l’Esprit de Dieu qu’il faut alors évangéliser, nous dit ce texte, d’une manière surprenante. Plus précisément, c’est notre conception de Dieu qu’il faut évangéliser. Quel était le problème ? Il faut libérer l’Esprit. Le vrai souffle, nous dit le texte, l’Esprit de Dieu ne souffle pas d’un seul côté mais des 4 vents à la fois. L’Esprit, comme la Vérité est une dynamique plurielle, l’Esprit est pluraliste, c’est un souffle de liberté qui ne souffle qu’aux carrefours. L’Esprit de Dieu est toujours une surprise, venue d’où nul homme n’aurait pu l’imaginer, au grand désespoir des Philippulus. L’Esprit souffle où il veut et nul ne sait d’où il vient, nous dit Jésus (Jean 3), et il donne vie, il nous donne d’être un humain debout, une famille, une église, un peuple qui trace un chemin nouveau dans ce monde magnifique. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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