Travailler sur l'intention(Philippiens 4:10-17 ; Deutéronome 6:4-9)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous) Dimanche 17 septembre 2017 Saint Augustin, dans ses Confessions (13:26), a un relève l’importance de l’intention. Il part de cette lettre où Paul remercie les Philippiens du coup de main matériel qu’ils ont pensé à lui apporter. Paul est dans une situation matérielle souvent hasardeuse compte tenu de son projet de vie, au gré de ses voyages, de sa maladie et et des ennuis qui lui tombent dessus, tempêtes, émeutes contre lui, procès, emprisonnements. Peu de personnes pensent à lui venir en aide, il a l’air tellement costaud. Mais les Philippiens viennent de lui envoyer un don. Sympa, car cela aide Paul, vraiment. Mais ce n’est pas ce don en lui-même qui le réjouit le plus. Augustin relève dans ce texte que ce qui remplit Paul de joie c’est l’intention des Philippiens. Et en effet, si l’on regarde bien ce que Paul écrit dans sa lettre de remerciement, il dit que de toute façon il a l’habitude de ne pas toujours manger à sa faim et d’être depuis des années tantôt en galère tantôt dans l’abondance. Après avoir expliqué cela, Paul conclut : « ce n’est pas le don que je recherche, mais le fruit » (4:17) et ce fruit c’est l’intention des Philippiens, l’intention d’aider, de secourir, cet élan pour s’intéresser à l’autre puis qui cherche l’occasion et les moyens de se manifester pour l’autre. Ce n’est donc pas l’aumône qui est le fruit, mais c’est l’intention de l’aumône.
Le don rend service matériellement, et c’est évidemment important. C’est une conséquence de l’intention. Le don nourrit le corps. Mais ce que Paul et Augustin appellent « le fruit » c’est l’intention par intérêt pour l’autre, un fruit nourrissant pour l’être intérieur. C’est vrai que cette distinction entre le don et l’intention est souvent faite dans la Bible, une fois que l’on y prend garde, avec une insistance sur l’intention, sur la visée, si importante non seulement spirituellement mais pour que le don matériel ensuite. Par exemple dans la bouche de Jésus quand il dit : « Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète recevra une récompense de prophète, et celui qui reçoit un juste en qualité de juste recevra une récompense de juste. Et quiconque donnera seulement un verre d’eau froide à l’un de ces petits parce qu’il est mon disciple, je vous le dis en vérité, il ne perdra point sa récompense. » (Matthieu 10 :41-42) Certes, Jésus nous invite à accueillir, à aider, à abreuver notre prochain, mais ce n’est pas tout à fait ce qui est écrit. Jésus insiste sur l’intention en ne disant pas seulement de venir en aide à celui qui en a besoin, mais de recevoir « un prophète » et même de le recevoir « en qualité de prophète », de recevoir un juste «en qualité de juste », de donner à boire à un petit « parce qu’il est son disciple »... En première lecture, cela peut sembler étrange et même choquant, comme si l’Evangile nous appelait à faire un tri des personnes à aider en ciblant les prophètes, les justes, et les disciples du Christ. Du coup, ces textes sont souvent exploités pour appeler à la solidarité mais en évitant de mentionner ce point de l’appel de Jésus. C’est à mon avis un tort, car il y a là quelque chose d’essentiel dans notre façon de vivre et de servir, dans notre façon d’avancer et de grandir. Ce texte de l’Evangile est alors aplati dans une gentille morale un peu matérialiste. Mais avant d’aller plus loin, peut-être me faut-il répondre à cette impression gênante que l’on a à la lecture de ce texte de cibler notre solidarité sur les personnes bien comme il faut sur le plan moral et spirituel en négligeant les autres. Si cette idée nous choque c’est parce que nous sommes disciples du Christ et que ce n’est vraiment pas le genre du bonhomme de n’aider que les justes en passant d’un air dégoûté à côté de la détresse du pécheur. En lisant cette recommandation de Jésus, il faut bien avoir en tête que par définition de ce qu’apporte le Messie, le Christ attendu, toute personne est un prophète en puissance, homme comme femme, garçon comme fille, puissant de ce monde comme le plus humble des serviteurs. Car telle est la promesse faite dans la Bible (Joël 2:28-32 cité par Actes 2:17-18, Jérémie 31:33) : quand le Messie sera venu, toute personne sera prophète à sa façon, pour ceux qui lui sont confiés. Pour Jésus, chacun est également un juste en puissance puisqu’il est en phase avec la grâce de Dieu qui reconnaît ce qui est juste en chacun et travaille ardemment pour rendre chacun encore plus juste. Pour ce qui est d’être son disciple, Jésus ne trie pas ses auditeurs, avec des personnes faisant partie du club et d’autres non : chaque personne qui voit passer Jésus, qui le voit vivre et parler reçoit ainsi son enseignement et est libre d’en faire ce qu’elle veut. Il n’y a donc pas un intérieur et un extérieur au cercle des disciples du Christ. Une chose est certaine c’est que de toute façon Jésus ne nous encourage certainement pas à réserver notre aide à une élite de personnes plus avancées, c’est évidemment le contraire. Donc que veut dire cette insistance sur le « en qualité de ... » ? Cette parole de Jésus insiste sur l’intention du geste comme étant essentielle. Recueillir quelqu’un, donner à manger et à boire : voilà le don. Agir ainsi en vue de sa qualité : voilà l’intention et c’est dans cette intention qu’est le fruit supérieurement nourrissant, un fruit de l’Esprit, pour une genèse et du porteur de cette intention comme pour le bénéficiaire de cette intention. Le don c’est le sandwich donné à l’affamé, le fruit nourrissant et réjouissant c’est d’avoir eu envie de lui donner en qualité d’humain, de frère ou de sœur. Le fruit nourrissant c’est d’avoir eu envie de l’aider parce qu’il est pour nous une personne digne d’avoir un point de vue supérieur, comme un prophète. Et qu’il existe certainement quelque chose de bon en cette personne au moins potentiellement, et qu’elle est de toute façon un petit frère ou sœur du Christ. Mettre ainsi en valeur l’intention par rapport au don en lui-même est à mon avis le cœur de cette démarche à laquelle nous sommes appelés en Christ. Cela met en valeur l’essentiel, et c’est aussi une très bonne piste pour progresser. Bien plus féconde que tout moralisme. L’intention : voilà le fruit nourrissant pour celui qui donne et celui qui reçoit. « Ce n’est pas le don que je cherche » dit Paul, même s’il est dans le manque, ce que je cherche c’est le fruit (Philippiens 4:17) et ce fruit c’est la belle intention des Philippiens. Où pousse le fruit qu’est l’intention ? au fond de notre être. C’est Là dessus que nous aurions avantage à travailler, nous dit Jésus. Le reste viendra tout seul, comme les Philippiens, nous n’aurons plus qu’à chercher une occasion et le meilleur moyen de réaliser notre belle intention. Ce sera alors avec joie non par obéissance. Et du coup, le don a bien des chances d’être fait avec profondeur, avec respect, et en cherchant ce qui le plus de chance de répondre au mieux aux circonstances particulières, ce qui pourrait nourrir non seulement le corps de l’autre mais aussi ce qu’il y a de plus élevé dans son humanité, son côté prophète, ce qui est le plus noble en lui. Mais même dans l’attente de trouver comment donner, l’intention, déjà, nous travaille, nous nourrit, nous réjouit quand l’intention est belle. Ou nous empoisonne quand elle est mauvaise. L’intention est un fruit, nous dit Paul et c’est sur quoi insiste Augustin. La belle intention est un fruit du travail de la bénédiction de Dieu et de ce que nous sommes personnellement, comme le fruit de la vigne est le produit d’un terroir, du temps qu’il fait, et du travail de l’homme. Une belle vigne, ça demande du travail. Laissée à l’abandon elle ne produira que quelles grappilles, et encore, si l’oïdium, le mildiou et autres bestioles la laissent tranquille. Une belle et bonne intention est le fruit d’une recherche intelligente de ce qui nous semble juste et bon. C’est le fruit d’une analyse de ce que nous avons fait dans notre journée et du pourquoi nous avons fait cela, réagit comme cela, le fruit d’une discussion avec les autres pour mieux comprendre l’humain. C’est un travail d’introspection et de philosophie. Le croyant fait ce travail devant Dieu, dans la prière, et à mon avis, cela change tout. L’intention est une question philosophique intéressante, il faudrait demander à nos spécialistes une soirée sur cette question pour notre groupe de Philosophie et Théologie, nous y croiserions peut-être le travail de Husserl, Brentano, Michel Henry, Freud versus Sartre et bien d’autres... Il y a là un intéressant travail de pensée, mais c’est aussi une question toute simple et toute concrète de démarche intérieure sur laquelle toute personne peut commencer à travailler au jour le jour. C’est aussi une question spirituelle. Car ce n’est pas seulement une opinion sur le monde ou sur la sagesse mais quelque chose comme une conscience de soi-même en particulier dans un monde particulier. Cela a tout à voir avec notre souffle de vie et notre vocation. Cela demande de la lucidité, ce qui n’est pas très facile dans ce domaine, c’est pourquoi cela aide énormément de faire ce travail après s’être imprégné de la grâce de Dieu, dans cette conscience que, quoi que nous fassions, quoi que nous subissions comme avanies comme ce pauvre apôtre Paul ou comme ce très pauvre Jésus : nous sommes de toute façon acceptés, reconnus, aimés. Nous savons cela, mais cela ne sert à rien de le savoir, c’est à méditer, c’est à manger, à ruminer, à assimiler jusqu’à ce que ça nous serve effectivement à commencer à être capable d’une certaine lucidité sans être paralysé par la honte ou la peur. Alors nous pourrons bâtir et purifier de belles intentions. Les rendre moins égoïstes, moins égocentriques, moins pathologiques, autant que faire se peut. Se demander en vérité : mais pourquoi ais-je réagi comme cela ? Pourquoi mon Dieu ? Viens m’éclairer. Viens élaguer, soigner cette intention et en faire un fruit dont mon être et ma vie se nourriront. Et mon prochain. L’intention est aussi influencée par notre théologie. Car toute personne est façonnée par l’idée qu’elle se fait de Dieu. Or nous avons en Christ une conception de Dieu particulièrement inspirante, généreuse et créatrice. Quelle chance ! Nous avons la meilleure des bases possibles. Il n’y a plus qu’à... À quoi ? À se mettre à l’écoute, comme le conseille ce texte essentiel que je vous ai relu ce matin. Le « Shema Israël » qui est la base de la base de la spiritualité juive mais aussi chrétienne car quand Jésus est interrogé sur l’essentiel de ce que nous pouvons faire il répond par ce texte : «Écoute, Israël ! L'Éternel, notre Dieu, l'Éternel est un. » (Deut. 6:4, Marc 12:29) Écouter c’est espérer être surpris par une proposition nouvelle dont nous ferons ce que nous voudrons ensuite. C’est donc en amont d’un travail sur l’intention. Elle est aussi une sortie de soi-même. Par l’intention, à notre tour nous cherchons à injecter du neuf dans le statu quo du monde. Ecouter est une intention première dont les fruits seront nos intentions futures. Écouter l’Éternel, ce n’est pas nécessairement l’entendre. Cela arrive quand cela arrive, de toute façon cela ne se commande pas. Peu importe, c’est une autre question. Mais l’écouter, tendre l’oreille, c’est espérer du transcendant venant intersecter notre vie, notre monde. C’est accepter que l’on ne connaisse pas la réponse et sans doute même pas vraiment les bonnes questions. C’est pourquoi cette écoute est déjà une extase, au sens littéral, c’est une sortie de soi. Cela creuse un espace, un vide. Et c’est extrêmement prometteur. « Ceux qui espèrent en l’Eternel renouvellent leur force. Ils prennent leur vol comme les aigles; Ils courent, et ne se lassent pas, Ils marchent sans se fatiguer » (Esaïe 40:31). Mais ce « Ecoute Israël » peut être compris de deux façons :
Alors quelle est la bonne lecture de ce texte ambigu ? Dans la Bible, quand un texte peut avoir deux sens différents, c’est que les deux sont à conjuguer ensemble. Surtout quand c’est un texte aussi construit que celui-ci. Les deux sens de cette écoute nous appellent à conjuguer la mystique et la théologie, notre subjectivité parfois fofolle et la sagesse d’une tradition ancestrale parfois lourde comme la pierre du tombeau où les autorité religieuses ont essayé de contenir le Christ. Les deux sens nous appellent à écouter collectivement en tant que peuple « écoute, Israël, l’Eternel notre Dieu », mais à passer aussi au singulier comme ce texte avec son « tu aimeras l’Eternel ton Dieu », mon Dieu et le Dieu de tous. Unifier ces deux appartenances enrichit considérablement notre travail sur l’intention. Nous poursuivrons un autre dimanche l’étude de ce texte essentiel, mais pour ce matin, notons seulement cette double nature de Dieu qui est à unifier aussi, pour écouter à la fois l’Éternel et Dieu comme une unique personne ayant quelque chose à nous dire :
Faire une unité de cela. Unifier notre intention dans cette tension, dans cette interrogation, dans ce souffle. Ecouter. Se concentrer sur ce « un » qui est notre origine et notre finalité, sur cet amour qui nous dépasse. Pressentir un sens que nous pourrions donner à notre temps. Un début de frémissement d’intention s’esquisse. Dans notre conscience, dans notre désir, d’autres intentions s’estompent...
Éternel ! tu soutiens les hommes et tout ce qui vit. Amen. Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 07:25)
(début de la prédication à 07:25) film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot Si vous avez des difficultés pour regarder les vidéos, voici quelques conseils.
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