Le chrétien face à la violence

(Genèse 3:1-13 - Genèse 4:5-15 - Matthieu 10:16 - Luc 14:27-32)

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Culte du dimanche 31 juillet 2016
prédication du pasteur Marc Pernot

Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)

Je ne pense pas que la violence augmente dans le monde, mais nous y sommes plus sensibles. C’est une bonne chose, c’est le signe que nous avons intégré l’incroyable beauté et valeur de la vie, à commencer par celle de chaque personne humaine, mais même de la vie d’improbables espèces de bestioles ou de fleurs que nous cherchons à protéger. Nous sommes aussi plus au courant de ce qui ne va pas dans le monde, le développement des communications formant une caisse de résonnance pour chaque drame.

Et donc, oui, il y a de la violence dans ce monde et cela nous désole. Cela nous bouleverse aujourd’hui.

La Bible est pleine de violences, ce qui est bien normal car la Bible nous parle de notre monde et de nous-mêmes, montrant ce qui est très bon, et montrant aussi ce qui est horrible. Que nous dit-elle d’utile sur la violence, notre Bible ? Une lecture au pied de la lettre n’apporte pas grand chose de bon car il existe des versets qui légitiment la violence, l’élimination des méchants & même les massacres de masse. D’autres versets sont totalement pacifiques, comme le « Tu ne tueras pas », sans condition, de Moïse ; comme le « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous persécutent... » de Jésus. Il n’est donc pas possible de lire la Bible comme une somme de commandements à suivre sans réfléchir, bien entendu. Mais avec les questions qu’elle nous pose, elle est comme un miroir nous permettant de voir ce que nous sommes, elle apporte comme des pistes pour vivre autrement, et une invitation à recevoir l’aide de Dieu.

Adam et Ève

La violence commence dès le premier récit de la Genèse, avec Adam et Ève voulant se faire à l’égal de Dieu. Être violent est toujours prendre un peu la place de Dieu. La violence va se manifester dans l’hypocrisie d’Adam et Ève rejetant leur faute sur les autres. La première violence mise en scène dans la Bible est ainsi toute simple, elle est intime et domestique. Vis à vis de Dieu et vis à vis de nos plus proches et donc de nous-mêmes. Cela attire notre attention sur la banalité de la violence et de ses racines, de ses mécanismes en nous. Jésus le confirme quand il dit que la colère et l’injure est déjà une sorte de meurtre (Matthieu 5:21-22). Cela nous renvoie à nous-mêmes pour lire ces récits fantastiques de la Bible comme parlant aussi un peu de nous et de notre monde.

C’est utile, car il n’est pas facile d’accepter notre violence.

Nous voyons Adam et Ève tenter de se justifier et de renvoyer la responsabilité sur un autre. Nous sommes comme cela, pas trop fiers de nous quand nous faisons preuve de violence comme si quelque chose en nous sentait que cela n’est pas beau. Et du coup nous cherchons à nous justifier. Cela se retrouve par exemple dans les assassins du pauvre prêtre disant qu’ils faisaient cela parce que la France bombarde la Syrie. Ce à quoi notre président de la république répond que nous bombarderons encore plus la Syrie et enverrons plus d’armes parce que ce sont eux, les islamistes, qui ont commencé, et que nous sommes en guerre... Mais chaque violence répond ainsi et légitime finalement la violence de l’autre. Et il y a de toute façon toujours des violences qui nous ont précédées, des injustices, une chaîne ininterrompue depuis l’origine de l’histoire, toute prête à légitimer, à nos yeux, notre propre violence.

Caïn et Abel

Vient ensuite, dans la Bible, l’histoire d’Abel assassiné par son frère. Caïn est dans une colère noire. A-t-il une bonne raison de l’être ? Peu importe. Dieu va s’en apercevoir et va au devant de Caïn pour lui dire le danger qui le guette avec cette violence en lui-même. Dieu lui dit qu’il a encore la possibilité de relever la tête, de dominer ce qui le tire vers le bas. Et effectivement Caïn a un bon geste, il se lève et va vers son frère Abel pour lui parler. C’est génial. Le texte nous raconte la suite : Alors que son frère Abel était dans les champs, Caïn alla vers lui et lui dit... le texte reste en suspend. Que dit Caïn à son frère ? Il se dresse contre lui et le tue. Caïn n’a pas alors d’autre forme d’expression avec son frère que la violence, que l’ultime violence qu’est le meurtre. Pour pouvoir s’exprimer autrement que par la violence, il faudrait avoir appris à se parler, à se connaître avant que vienne la colère. Or, ils ne s’étaient encore jamais parlés. En tout cas pas vraiment.

La violence est alors tellement plus simple, tellement efficace à court terme, malheureusement, qu’elle peut sembler une évidence. Il y a un problème avec un autre. L’autre est éliminé, le problème a disparu ? Vraiment disparu ? Oh que non, bien entendu. Peut-être à peine une seconde, mais comme l’exprime avec un rare talent littéraire ce mythe de Caïn et Abel, la violence engendre un trouble profond, une souffrance dont Caïn est empoisonné, lui et les générations suivantes. S’il n’y avait l’amour de Dieu et sa protection sur lui qui est pourtant l’assassin de son frère, Caïn mourrait et les générations suivantes resteraient souffrantes.

C’est ce que dit Jésus « qui frappera par l’épée périra par l’épée ». Il ne s’agit pas d’une condamnation de Dieu contre le violent, Dieu continuant à aimer même son ennemi, nous dit Jésus, mais il s’agit d’une constatation.

Le problème de la violence est qu’elle trouble l’ordre du monde en ajoutant de l’eau au moulin de la violence et de la contre violence, de la vengeance et de la haine, de la souffrance. Au yeux de l’adversaire, la violence qu’il subit légitime toujours a postériori sa propre violence passée « Ah voilà, je le savais bien, c’était un horrible méchant », je faisais donc le bien en le frappant. Cela fait sourire quand ce sont des enfants de 8 ans qui se disputent, et c’est alors une occasion de leur expliquer la vie, mais ce n’est plus drôle du tout quand cela fait des drames, des morts, des familles blessées pour des générations, de la pauvreté, des exilés.

Le 2e problème dont témoigne cette histoire de Caïn est que la vengeance, contrairement à ce que l’on pensait avant, ne nous soulage absolument pas, elle ajoute, d’expérience, comme une pénible amertume et parfois une honte au creux de notre conscience, prouvant que Caïn n’était pas si mauvais que cela quand même.

Le 3e problème que soulève ce texte est la suite des générations après Caïn, c’est que la violence fait de nous comme ces tigres qui prennent goût à la chair humaine une fois qu’ils en ont goûté. Nous pouvons facilement nous habituer à la violence, à sa simplicité et à son efficacité, alors même que cette simplicité n’est qu’une caricature de la réalité, et que cette efficacité n’est qu’à très court terme et qu’elle empoisonne par ailleurs le futur.

Alors faudrait-il être non violent ?

En tant que chrétien, au nom de ma foi et de tout ce qui m’est le plus cher dans les trippes, dans le cœur et dans la tête je voudrais répondre oui. Mais là aussi, ce serait simpliste. Si nous étions témoin de l’enlèvement d’un enfant, il serait criminel de laisser faire sous prétexte de refuser toute violence. Évidemment. Et donc cette parole très forte de Jésus « ne résistez pas au méchant » (Mt 5:39), n’est pas un modèle de société, ce n’est pas un commandement à appliquer à la lettre sans intelligence, mais c’est une question qui nous est posée et qui interpelle notre violence viscérale, instinctive. C’est une préférence, quand c’est possible. Mais cela ne l’est pas toujours. La violence est efficace à court terme et même si elle est profondément nocive à long terme pour son auteur et pour le monde, l’urgence la rend parfois nécessaire. Une violence verbale, une violence des situations mauvaises, violence des ruptures, violence de la force physique... Hélas.

La brebis et le loup

La foi chrétienne n’est pas une sortie du monde mais une incarnation dans le monde. Un accompagnement du monde tel qu’il est en réalité aujourd’hui. Jésus nous dit « Voici : je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes. » (Matthieu 10:16).

Jésus nous envoie comme des brebis, pas comme des loups au milieu des loups, et encore moins être, n’en parlons même pas, des loups qui se régalent de dévorer les autres, brebis et loups. « Je vous envoie comme des brebis », c’est déjà une piste que Jésus nous donne, et c’est effectivement ce que lui-même a manifesté. Et il est fidèle en cela à la douceur, à la tendresse de ce Dieu en qui nulle violence ne se manifeste ni ne se manifestera jamais contre nous, ni contre quiconque. Même contre le loup que nous sommes parfois.

« Je vous envoie comme des brebis » nous dit Jésus, mais il ajoute que pour vivre au milieu des loups et que pour faire avancer ce monde, nous devons être tantôt serpent et tantôt colombe, souvent les deux à la fois. C’est effectivement un sacré défit pour nous, qui sommes déjà mi brebis mi loup... Cela donne un peu le vertige, mais cela nous invite à la nuance et à la lucidité. La réalité humaine est complexe et il nous faut apprendre à voir dans le monde et en chacun, en nous aussi, à la fois le loup et l’agneau. C’est ce qui nous permettra d’agir ensuite à la fois avec intelligence et pureté.

Agir parfois comme un serpent, mais au fond rester une brebis. Si je n’ai l’amour... nous dit Paul, rien, ni la théologie, ni la religion, ni l’action ne servent à rien qui vaille. Une brebis prudente comme un serpent. Jésus nous appelle ainsi à l’intelligence pour ruser avec le mal comme le serpent ruse avec Ève pour l’attirer loin de Dieu. Mais là il convient d’être intelligent et rusé avec le mal pour que la brebis puisse se faufiler.

Mais en même temps, le but de Jésus n’est pas seulement que les brebis échappent seulement aux loups par la ruse. Cela peut suffire à court terme et rendre vaine ainsi une part de la violence de l’autre et annuler aussi une part de notre contre-violence. Mais le but est aussi que se réalise la promesse du livre du prophète Ésaïe, que « le loup et l’agneau paîtront ensemble » (11:6, 65:25). Que la force et la douceur soient ainsi réconciliées dans le monde et en nous. Que la force et l’amour dialoguent et se complètent.

Et pour que ce projet avance, il est nécessaire d’être simple comme une colombe, figure bien connue du Saint-Esprit. Jésus nous invite ainsi à ne pas être seulement intelligents et pragmatiques, mais à avoir ce souffle, cette visée supérieure que seul peut donner l’Esprit de Dieu. Ce souffle prophétique peut nous conduire à choisir telle solution plutôt que telle autre parmi les solutions possibles discernées avec pragmatisme dans l’analyse de la réalité. Ce Saint-Esprit qui peut nous faire imaginer des solutions inouïes, par exemple comme celle trouvée par Michel Rocard et son équipe pour dénouer une crise extraordinairement violente en Nouvelle Calédonie.

Mais peut-être que pour être artisan de paix ainsi, il faut d’abord travailler à réconcilier en nous-mêmes le loup et l’agneau. Et pour cela faire dialoguer en chacun de nous Caïn et Abel. Ils ne sont pas seulement la figure de deux frères faits pour s’aider, ils sont aussi la figure de deux dimensions en chacun de nous, figures de l’animal et de l’enfant de Dieu en nous, figures du serpent et de la colombe, du réaliste terrien et du souffle d’inventivité, figures de la survie à court terme et de l’ardente nécessité de viser aussi plus loin.

Pour réconcilier ces Caïn et Abel, il faut que Caïn travaille la terre mais il faut que nous bénissions Abel, que ce soit ce souffle, l’Esprit divin, la source d’un amour possible qui ait en nous la priorité. Sinon Caïn l’emporte et tue Abel.

Une tour, la guerre et la paix

Dans la construction de la tour qu’évoque Jésus dans une parabole, nous retrouvons l’invitation à observer avec intelligence la réalité de ce monde. Il est bon d’y voir clair. Peut-être que les chrétiens ont été trop souvent des idéologues, et que quand on est trop concentré sur la pureté de son idéologie, aussi sublime et exacte soit-elle sur le papier, face à la situation du monde telle qu’il est, cette position juste d’un point de vue théorique peut vite se révéler être d’une stupidité assez redoutable, et se révéler être finalement une autre forme de violence pour ce monde et ses habitants.

Nous devons envisager avec réalisme la construction de notre point de vue, comme une tour. Elle nous permettra de voir de haut, de voir le chemin parcouru pour en arriver là, et de voir au loin ce qui peut arriver. Il y a là une invitation à philosopher, à élever notre connaissance, notre réalisme et notre intelligence. Mais précisément, cette intelligence nous amène à saisir que notre seule force humaine ne suffit pas pour achever cette tour, et que nous avons besoin de la transcendance, besoin de Dieu pour qu’il élève notre vision.

Du haut de cette tour, le croyant peut scruter les causes et s’interroger sur les conséquences, il peut voir que si terrible que soit le monde tel qu’il est en réalité, il existe un avenir possible et qu’il est meilleur que tout ce que nous pouvons imaginer. Et des chemins possibles à défricher pour avancer. Mais le choix du chemin, lui, n’est pas une simple logique tirée de cette observation mais un projet, une vision inspiré d’en haut cohérente avec la réalité de la situation.

Avec peut-être, oui, un combat à mener ? Car si nous sommes ainsi prophètes et prophétesses, nous sommes aussi des reines et des rois devant agir parfois face à une menace mortelle. Alors avant de partir en guerre dans ce monde nous dit Jésus, il est bon de s’asseoir et de bien y penser. De sorte que, si nous choisissions ce combat comme étant nécessaire ce soit en « sachant ce que nous faisons », comme le suggère Jésus du haut de la croix (Luc 23:34). Que Dieu nous éclaire ! « S’asseoir d’abord pour délibérer en soi-même ». Parfois, nous dit Jésus, le plus raisonnable & le plus juste est de s’interroger ensemble en vue de la paix.

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Genèse 3:1-13

(Adam et Ève) entendirent la voix de l'Éternel Dieu qui parcourait le jardin avec la brise du soir. L'homme et sa femme allèrent se cacher devant l'Éternel Dieu, parmi les arbres du jardin. 9 L'Éternel Dieu appela l'homme et lui dit : Où es-tu ? 10Il répondit : J'ai entendu ta voix dans le jardin et j'ai eu peur, parce que je suis nu ; je me suis donc caché.

11 Éternel Dieu dit : Qui t'a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger ? 12 L'homme répondit : C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de l'arbre, et j'en ai mangé. 13 Alors l'Éternel Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m'a induite en erreur, et j'en ai mangé...

Genèse 4:5-15

Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu. 6 L'Éternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ? 7 Si tu agis bien tu relèveras la tête, mais si tu n'agis pas bien, le péché est tapi à ta porte, et ses désirs (se portent) vers toi : mais toi, domine sur lui. 8 Cependant Caïn adressa la parole à son frère Abel et comme ils étaient dans les champs, Caïn se dressa contre son frère Abel et le tua.

9 L'Éternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère, moi ? 10 Alors Dieu dit : Qu'as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie du sol jusqu'à moi. 11 Maintenant, tu seras maudit loin du sol qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. 12 Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et tremblant sur la terre. 13 Caïn dit à l'Éternel : (Le poids de) ma faute est trop grand pour être supporté. 14 Tu me chasses aujourd'hui loin du sol arable ; je devrai me cacher loin de ta face, je serai errant et tremblant sur la terre, et si quelqu'un me trouve il me tuera. 15 L'Éternel lui dit : Si quelqu'un tue Caïn, on le vengera sept fois. Et l'Éternel mit un signe sur Caïn pour que ceux qui le trouveraient ne le frappent pas.

Matthieu 10:16

16 Voici : je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes.

Luc 14:27-32

27 Quiconque ne porte pas sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. 28 Car, lequel d'entre vous, s'il veut bâtir une tour, ne s'assied pas d'abord pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi la terminer, 29 de peur qu'après avoir posé les fondations, il ne soit pas capable d'achever, et que tous ceux qui le verront, ne se moquent et ne disent : 30 Cet homme a commencé à bâtir et n'a pas été capable d'achever.

31 Ou quel roi, s'il part pour s'engager dans une guerre contre un autre roi, ne s'assied pas d'abord pour examiner s'il a le pouvoir avec dix mille hommes de marcher à la rencontre de celui qui vient contre lui avec vingt mille ? 32 Tandis que l'autre est encore loin, il lui envoie une ambassade, pour demander les conditions de paix.

(Cf. Colombe)

 

Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 14:10)

(début de la prédication à 14:10)

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

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