La Pentecôte de Noé(Genèse 6-9) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 27 mai 2012 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, ce récit du déluge fait partie des textes utiles pour se lancer dans la vie. C’est un texte tout particulièrement utile pour vous, chers catéchumènes, à l’aube de votre vie d’adulte car la vie qui vous attend ne sera pas toujours semblable à un fleuve tranquille. La vie à laquelle vos parents et notre Eglise vous préparent, c’est une vie parfois dure, une vie où il faut faire face à ce que Noé doit affronter et qui dans le texte hébreu se nomme hamas, la violence. Pour que ce texte soit utile, encore faut-il y entrer comme Noé entre dans l’arche qu’il a construite. Commençons par faire connaissance de cette arche. L’arche de NoéD’abord il est utile de savoir que le mot qui désigne l’arche, en hébreu tévah, signifie aussi bien « coffre » que « mot ». Entrer dans le coffre, c’est entrer dans le mot. Et, puisque nous avons les côtes, nous pouvons nous interroger sur les mesures de ce mot. Un premier indice nous est donné par l’architecture de l’arche qui est construite sur trois niveaux, comme le temple de Jérusalem. Il serait donc possible qu’il y ait un rapport intime avec l’Eternel. Il est rare que l’on se souvienne des dimensions de l’arche. Il y a pourtant un procédé simple pour retrouver les mesures de cette embarcation à condition de connaître les rudiments de la langue hébraïque. Les lettres de l’alphabet hébreu servent aussi à compter selon le principe simple : la première lettre Aleph vaut 1, la deuxième Beth vaut 2 et ainsi de suite. Comme nous sommes bien chez l’Eternel, il suffit de relier les lettres de son nom pour retrouver la mesure du lieu. L’Eternel, c’est le tétragramme, quatre lettres, Yod, Hé, Wav, Hé, qui sont les nombres 10, 5, 6, 5. En les multipliant deux à deux, on obtient 10x5=50 (la largeur), 6x5=30 (la hauteur) et si nous multiplions ces deux mesures par les lettres qui les jouxtent, nous obtenons 50x6=300 (la longueur) et 30x5=150 (le nombre de jours où les eaux furent « dominatrices »). Entrer dans cette arche, c’est donc entrer dans le mot qui a les dimensions de l’Eternel. Cela nous invite à ne pas nous en tenir à nos petits bavardages, mais à porter la langue que nous employons à la mesure de l’Eternel. Il ne s’agit pas d’élever notre niveau de langage au point où la langue devient un effet de préciosité (même s’il est préférable de dire « belle marquise, vos yeux bleus me font mourir d’amour » plutôt que « j’te kife grave »). Donner au mot la mesure de l’Eternel, c’est entrer dans les mots qui nous permettront de dire ce qu’il y a de plus important pour nous : avoir les bons mots, les mots qui ont la bonne mesure pour parler des choses vraiment essentielles. C’est ce qui nous évite les frustrations de ne pas pouvoir exprimer ce qu’on a vraiment sur le cœur autrement que par la violence qui trahit notre incapacité à traduire en mots notre pensée, nos désirs, ce qui bouillonne en nous. Donner à notre langue les dimensions de l’Eternel, c’est donner l’ampleur de l’Eternel à notre réflexion, à notre psychisme qui se construit avec les mots dont nous disposons. C’est en donnant à son vocabulaire les dimensions de l’Eternel que Noé va réussir à ne pas succomber au hamas, à la violence. Le travail de l’EspritMettre des mots sur la violence, c’est mettre une distance entre cette violence et nous, ce qui est une manière de neutraliser son effet, ce qui est une manière de ne plus être submergé par ses assauts impétueux. Mais il faut faire mieux que cela. Noé va accomplir un pas de plus en ouvrant la fenêtre qu’il avait faite et va lâcher un corbeau et une colombe. En général, on ne s’intéresse qu’à la colombe que l’on pare de toutes les qualités et de toutes les vertus. Je trouve le corbeau bien plus intéressant. Le corbeau, lui, ne se contente pas d’être une sorte de baromètre du temps qu’il fait, il va aller et venir à la surface des eaux jusqu’à ce que les eaux aient séché sur la terre, jusqu’à ce qu’apparaisse la terre sèche. C’est ainsi qu’avait commencé le premier récit de la création, avec l’Esprit divin planant à la surface des eaux afin de rendre possible la vie. Ici, le corbeau figure l’Esprit divin qui s’efforce de rendre le monde vivable, de même que c’est le corbeau qui avait rendu le prophète Elie à la vie, en lui apportant de la nourriture alors qu’il était sur le point de périr. Cela signifie qu’il ne s’agit pas seulement de se protéger d’un monde hostile : il s’agit aussi d’intervenir sur l’état du monde pour le pacifier, pour le créer à nouveau, pour en faire une terre habitable où il est à nouveau possible de vivre et de croître. Cela ne se fait pas en un vol supersonique : le corbeau revient de nombreuses fois dans l’arche, car la pacification du monde est une négociation qui demande des allers-retours, qui nécessite que l’on entre à nouveau dans l’arche, dans la langue, afin d’y trouver les ressources utiles pour l’étape suivante. L’Esprit ne cesse pas son œuvre tant que le monde n’est pas totalement rendu à la vie, tant que le désert humain n’aura pas reverdi, qu’il sera à nouveau possible de cultiver son jardin et d’y faire croître et multiplier l’humanité. Notons aussi que l’œuvre consiste à rendre la terre habitable, le monde vivable. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle politique, un modèle économique, un modèle théologique, un modèle social, un modèle éducatif… il s’agit de rendre la vie possible, il s’agit de permettre aux uns et aux autres d’être reconnus dans leur humanité et de pouvoir vivre ensemble. Selon le mot du pasteur Martin Luther King, si nous ne vivons pas ensemble comme des frères, nous mourrons ensemble comme des imbéciles. Sortir du motFace à la dureté du monde, il est parfois tentant de dresser une clôture étanche entre les autres et nous. Il est parfois tentant de se réfugier dans un petit nid douillet, à l’abri de tout ce qui peut blesser, et d’y rester, de s’isoler définitivement d’un monde que l’on estime définitivement fichu. Mais ce n’est pas ce que fait Noé qui va sortir de l’arche, du mot, qui va sortir de sa logique personnelle, de sa vision du monde, utile pour ne pas se diluer dans les flots de violence, utile pour se reconstruire, mais insuffisante pour mener une véritable existence. Rester dans son monde clos, c’est s’enfermer dans l’entre-soi, se cloitrer dans ses certitudes. Notre religion n’est pas un contenant. Notre religion n’est pas un lieu dans lequel nous nous terrons, ce n’est pas un vêtement dans lequel nous nous glissons une fois pour toutes, ce ne sont pas des rituels bétonnés dans lesquels nous nous coulons, ce ne sont pas des dogmes dans lesquels nous nous réfugions. Notre religion se fonde sur l’Evangile éternel qui vibre dans les textes bibliques, dans tous les actes d’amour, dans les regards bienveillants que nous portons sur les êtres qui nous entourent. Notre religion, c’est la confiance que nous avons dans la possibilité de ressusciter la vie dès lors que nous nous prenons la mesure de la vie selon ce que l’Eternel nous rend capable. Certes, nous pourrions penser que l’arche, recouverte de bitume à l’intérieur et à l’extérieur est un contenant hermétique, destiné à refouler tout ce qui vient de l’extérieur. Mais laissons le texte hébreu parler dans sa langue, et reprenons la consigne de fabrication au plus près des mots en faisant juste une translitération. Parlant de l’arche, l’Eternel dit : « tu la kaphériseras de la maison et de l’extérieur dans le kapher ». Le verbe kapher signifie recouvrir, mais il signifie également pardonner. C’est de ce terme que vient la fête « Yom Kippour ». Autrement dit, la consigne est de couvrir notre lieu de refuge de la possibilité du pardon, un pardon qui vaut aussi bien au sein de la maison qu’à l’extérieur. Il ne s’agit pas de faire de nos arches des lieux hermétiques, étanches, mais des espaces dont les frontières ruissellent du pouvoir de pardonner. C’est le pardon qui est envisagé comme résolution du hamas, de la violence. Sortir de l’arche, c’est sortir de la religion formelle, de la religion qui n’est qu’un verni que nous déposons sur notre vie pour nous protéger des agressions externes, de la religion qui nous fige et fait de nous un bloc imperméable aux frémissements du monde. Notre religion est la religion de la sortie de cette religion formelle et l’adhésion à la religion du for intérieur. Une foi polychromeSortir de l’arche, du mot, de notre nid, c’est sortir de notre vision étriquée du monde. Nous n’avons qu’une vue partielle de la vie. Individuellement, nous n’avons qu’un point de vue du monde, bien insuffisant pour en comprendre la complexité. Sortir de l’arche, c’est se confronter à d’autres points de vue, à d’autres convictions. Et c’est à cette condition que nous pouvons éviter les grands malheurs, les grands cataclysmes de l’histoire. Pour faire toute la lumière sur une situation, nous avons besoin de toute la lumière, c’est une évidence. Mais nous n’en possédons qu’une partie, qu’une nuance. C’est en associant notre part de vérité à d’autres que nous pouvons restituer la lumière dans toute sa splendeur. C’est là l’image de l’arc-en-ciel, lumière réfractée qui révèle le spectre des couleurs qui nous est si familier. Chaque couleur, chaque onde, prise individuellement, n’est pas la lumière dans sa totalité. C’est cette image qui a été retenue dans ce mythe pour exposer la nécessité d’envisager une foi polychrome plutôt que monochrome. Le modèle pluraliste nous préserve mieux des dérives autoritaires qui confinent au totalitarisme, ces dictatures conduites par des personnes qui pensent détenir toute la vérité et abusent de cette situation de pouvoir pour dominer sur les consciences. De même que nous ne pouvons pas nous contenter de passer notre temps dans le nid douillet d’une communauté, d’un système de pensée, nous ne pouvons pas nous contenter de nos certitudes, ni de nos doutes d’ailleurs. Nous avons besoin de nous coltiner d’autres nuances, d’autres manières d’envisager les choses, d’autres approches, d’autres systèmes de pensées. Il y, hors de l’Oratoire, une vie qu’il ne s’agit pas d’escamoter au prétexte qu’il fait bon chez nous. Il y a des personnes, des cultures qu’il nous faut fréquenter pour, sinon rendre le monde définitivement vivable dans l’heure, du moins éviter quelques grandes catastrophes dans l’avenir. Amen
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