La Parole de Dieu s’est faite femme(Jean 13:1-5 ; Jean 19:25-27 ; Jean 20:1-18 ; Cantique des cantiques 3:1-4)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous) Culte de pâques, 16 avril 2017 Une tradition ancienne, datant au moins du 2e siècle, lit pour Pâques ce texte du Cantique des cantiques :
Sur mon lit, pendant les nuits,
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Je me lèverai donc, et je ferai le tour de la ville,
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Les gardes qui font le tour de la ville m'ont trouvée :
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A peine les avais-je dépassés,
Effectivement, cette jeune fille qui cherche ardemment son amoureux est une belle illustration de la course des disciples, de Marie-Madeleine, de Pierre et de Jean, cherchant le Christ. L’époux. Cette tradition de lire le Cantique des cantiques pour Pâque est aussi une très ancienne tradition juive. Ce texte représente notre recherche ardente de l’Éternel, de notre Dieu, pour qu’il nous libère et que nous puissions vivre ensemble avec lui, dans la paix, la sécurité, l’abondance de bénédictions. C’est ainsi que ce curieux livre du Cantique des cantiques a été intégré dans la Bible alors que ses détracteurs le trouvaient obscène avec ses évocations très crues de l’amour entre deux amoureux. Mais le grand Rabbi Akiva au début du IIe siècle a expliqué : « Tous les livres de la Bible sont saints mais le Cantique des Cantiques est le livre Saint des Saints, car c’est le rapport entre le peuple d'Israël et son Dieu. » Le peuple y est représenté comme la fiancée de Dieu. Et c’est ainsi que nous avons ce livre d’amour dans notre Bible et qu’il est médité le jour de Pâque(s) par les juifs et les chrétiens. Il n’y a pas que le Cantique des cantiques pour prendre le couple pour dire une certaine conception de l’alliance de l’Éternel avec nous, une alliance basée sur l’amour de Dieu pour nous, espérant un amour et une fidélité réciproque. Le plus connu de ces textes bibliques se trouve sous le calame du prophète Osée (VIIIe siècle avant Jésus) dans ce texte récité par cœur par les juifs avant de commencer leurs prières : « L’Éternel dit : je me fiancerai à toi pour toujours. Tu seras ma fiancée par la justice et la droiture, par la miséricorde et la compassion. Je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras l'Éternel... » (Osée 2:21) Tout un programme que nous pourrions, nous aussi méditer chaque jour et qui sont bien dignes d’inspirer notre théologie et notre éthique. Le Christ s’inscrit dans cette théologie et cette éthique, et ses disciples annoncent que le Christ les accomplit. Dans les Évangiles, Christ est bien souvent appelé l’époux, celui qui est envoyé de la part de Dieu pour faire sa cour à l’humanité. Ou plutôt, et cela diffère de l’attente de rabbi Akiba, le Christ vient préparer les noces de Dieu avec personne, non plus seulement avec un peuple ou avec l’humanité. Cela peut sembler un détail, l’alliance de Dieu avec le peuple étant au bénéfice des individus, et l’alliance de Dieu avec chaque individu fait que, collectivement, Dieu se lie avec l’humanité en tant qu’ensemble. Mais cela fait quand même une différence essentielle, car l’alliance centrée sur l’individu impose que pas une seule personne soit oubliée, comme dans la parabole de Jésus où il met en scène un berger laissant le troupeau tout entier pour aller chercher la plus perdue des brebis perdues. Là encore les conséquences de cette façon de voir sont immenses en terme de théologie et d’éthique. Bien digne d’être médité chaque jour, dans notre prière, pour repasser notre façon de vivre et d’espérer. Nous sommes, comme dans le Cantique des cantiques, cette fiancée qui se réjouit d’avoir trouvé son amoureux, mais qui aussitôt le perd, et sans cesse le cherche, le découvre autrement, le poursuit, le respire, le touche, le goûte, l’admire puis en est séparée. Et le redécouvre bientôt, autrement. C’est ce que vivent aussi les disciples du Christ dans ce matin de Pâques. Ils ont trouvé en Christ celui qu’ils aiment, ils le perdent, le recherche, sautent par dessus les montagnes et les collines passent les gardes, font le tour des places et des rues et finalement le retrouvent autrement, sous une autre forme celui que leur cœur aime. Comme Marie-Madeleine au matin de Pâques, comme la bergère du Cantique des cantiques, quand dans la prière ou dans une réflexion nous avons touché quelque chose d’essentiel qui nous rend plus vivant, nous nous voulons alors le saisir et ne plus le lâcher. Mais comme le Seigneur est vivant, bientôt c’est encore autrement que nous devrons le chercher et le découvrir. La théologie chrétienne a bien reçu l’Évangile du Christ dans sa dimension très individuelle plus que collective, elle est ainsi mise en valeur à travers le geste du baptême. Cette dimension individuelle est restée importante dans les premiers siècles. Hippolyte de Rome et Origène au début du IIIe siècle développent la notion d’Adventus in mentem : la Venue du Seigneur dans l’âme et dans le cœur de la personne. Ils montrent que la Venue dans l’âme est le point essentiel, le but et le sens de la première Venue du Seigneur dans l’Incarnation (la Parole de Dieu faite chair en Jésus de Nazareth). Et cette Venue dans l’âme humaine préfigure la Venue dernière, la parousie, où Dieu sera tout en tous à la fin des temps. Mais cette Venue dernière ne nous concerne donc pas directement, pas plus que les centaines et milliers de générations qui nous ont précédées sans que l’horizon de l’histoire ne soit atteint. Les pères de l’église développent donc ce thème de la Venue de la Parole de Dieu en nous sur la base du Cantique des cantiques, mais aussi, par exemple, dans la lecture de Jean 14 où Jésus donne cette promesse « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui. » (Jean 14:23). C’est ce que célèbre Pâques, cette venue du Seigneur dans une nouvelle venue, pour une incarnation dans l’âme. Dans notre âme. Cette notion reste importante au IVe siècle chez théologiens et des mystiques chrétiens comme Grégoire de Nysse ou Hilaire de Poitiers, ils montrent que le Seigneur vient en nous pour épouser notre âme, notre personnalité profonde. Le Seigneur frappe à la porte de notre être (Cant. 5:2, Mt 25:5, Apoc. 3:20), l’âme qui veille entend frapper, elle perçoit sa présence, le reconnaît et lui ouvre la porte, il entre et il partage avec notre âme un banquet. Mais progressivement dans l’histoire, pour des raisons de pouvoir et de politique, le concept d’église prend de plus en plus de poids, et les prédicateurs parlent plus de la Venue du Seigneur dans l’Église que dans la personne individuelle, et la présence en chacun passe par l’église et ses sacrements. Chassez le naturel, il revient au galop. Pourtant, dans l’Évangile, à chaque page, c’est dans une rencontre et un dialogue de Jésus avec une personne individuelle que le miracle s’opère. Et c’est d’une personne, Marie-Madeleine que le Christ ressuscité se rend présent d’abord, avant que cette expérience se répande à plusieurs. Mais il y a une autre nouveauté, surprenante, dans l’Évangile selon Jean. Et à mon avis, c’est une nouveauté très subversive et originale de Jésus que Jean a su percevoir et mettre en valeur, alors que les autres témoins sont passés à côté, ou l’ont écartée car n’étant pas trop à leur goût. C’est la place de la femme. Dans l’Évangile selon Jean, les femmes sont présentes aux moments clef, elles inspirent même parfois Jésus pour la suite des événements :
Mais dans le récit du lavage des pieds par Jésus il y a plus que cela encore sur la place de la femme selon le Christ. Cela ne nous saute pas aux yeux, alors que c’était évident pour ses contemporains : quand Jésus lave les pieds de ses disciples, il ne se fait pas leur serviteur, mais il se fait leur servante. Car laver les pieds était un travail réservé à la plus petite servante de la maison, et si possible étrangère. Il n’y a pas d’exemple d’homme faisant cette tâche. C’est ce que nous voyons avec Marie de Béthanie, mais aussi avec Abigaïl lavant les pieds de David ( 1 Sam 25:41), et encore dans un roman de l’époque de Jésus, où une femme, Aséneth reçoit le patriarche Joseph lui lave les pieds elle-même, alors que Joseph insiste pour que ce soit, comme le veut l’usage, une des servantes qui le fasse ( Joseph et Aséneth 20:1-5) Et le texte de l'Evangile nous décrit Jésus quitter ses vêtements, d'homme, et se vêtir d'un linge. Il prend l'habit d'une servante. C’est un point important que Jésus montre l’exemple d’être au service les uns des autres. C’est une gentille leçon de vivre ensemble, bien utile. C’est aussi une théologie d’un Dieu qui se met en quatre pour nous aider, théologie que l’on trouve déjà dans la Pâque juive. Mais le fait qu’il prenne un rôle féminin a de bien plus profondes implications sur notre foi et sur notre conception de la vie. On comprend mieux l’extrême résistance de l’apôtre Pierre ne pouvant accepter ce geste de son maître. Son refus ne peut pas être seulement contre l’inversion des rôles, où Jésus, le maître, devient leur serviteur ; car quand Pierre refuse l’ordre de Jésus il remet bien plus en cause leurs rôles de maître et de disciple que quand Jésus fait ce geste symbolique de les servir. Par contre, c’est pour tous extrêmement choquant que Jésus prenne une place féminine. Et pourtant. Par ce geste où il lave les pieds de ses disciples, la Parole de Dieu s’incarne dans une femme, une humble servante. Ensuite pour les apôtres réunis dans leur peur et leur deuil de leur espérance, la parole qui va les ressusciter s’incarne dans la personne d’une femme, Marie Madeleine. Et celle qui frappe à notre porte pour entrer dans notre maison et manger avec nous, c’est une femme, Marie, sa mère, qui devient notre mère. En hébreu, le mot « baal » est à la fois le nom du redoutable dieu mésopotamien, c’est aussi un nom commun qui veut dire « maître » ou « seigneur », et c’est enfin un nom commun pour dire un « mari ». Sympa. Il y a là une théologie, encore, et une certaine vision du Christ, de l’époux qui frappe à notre porte. Un mari amoureux de nous, certes, mais que l’on peut penser venir en Seigneur et en maître, comme les chefs de famille de l’époque de Jésus (en tout cas, hum), tels qu’un apôtre Paul le conçoit encore, et Pierre aussi, bien sûr. Jésus, par son geste, bat cela en brèche. Dieu vient nous épouser, mais pas comme un tyran domestique. La bergère du Cantique des cantiques, c’est Dieu qui nous court après. En Christ, la Parole s’est incarnée dans un homme mâle, Jésus de Nazareth, c’est vrai. Est-ce qu’un Messie femme aurait pu être reconnu ? Accepté ? Cela a déjà été assez rude comme cela à faire passer avec ce fils de Joseph, fils de David. Mais Jésus a voulu poser ce geste essentiel de se faire servante pour ses disciples. Et il insiste que c’est là un geste essentiel pour lui qu’il met en valeur en disant que celui qui le refuse dans ce geste féminin ne pourra avoir part avec lui (13:8). La parole de Dieu s’est faite femme. Et elle vient à nous. Pas une femme soumise, écrasée, humiliée, mais une femme pleine de personnalité et même de caractère, comme Jésus, une femme amoureuse qui nous cherche ardemment partout, jour et nuit. Qui fait le tour de la ville qui interroge nos défenses, qui les dépasse, et qui nous trouve. Que ce matin de Pâques soit pour nous l’occasion de faire plus ample connaissance. Faisons même co-naissance avec elle, co-naissance en deux mots : qu’en ce matin elle naisse en nous, cette présence de Dieu, et que nous naissions par elle. Amen. PS. Le Christ ressuscité a un comportement hautement subversif, faisant des choses inouïes :
Or, dans les évangiles, le reste du temps, jamais on ne voit Jésus s’occuper de tâches ménagères, il critique même sa grande amie Marthe de se laisser accaparer par trop de tâches ménagères. Peut-être est-ce aussi une façon de faire remarquer à ses machos de disciples et d’apôtres qu’ils auraient pu prendre sa place pour faire le repas et la lessive, eux qui ont l’occasion de l’entendre sans cesse, et de laisser ainsi la dévouée Marthe entendre la Parole comme sa sœur Marie, la contemplative ? En tout cas, voir le Christ ressuscité être aussi impliqué dans les tâches domestiques, c’est un sacré Evangile pour l’humanité. La vie en ce monde, jusque dans ses activités les plus quotidiennes, est une belle chose, digne d’un homme vraiment ressuscité. Et que ce ne soit pas un prétexte pour dire que les femmes ont bien de la chance quand "on" leur réserve de faire le service ! C’est manifestement l’inverse, pour rétablir la dignité et du service le plus quotidien et matériel, comme du service le plus élevé et spirituel qui consiste à être apôtre, envoyé annoncer l’Evangile du Christ ressuscité aux autres. Il n’y a donc pas de spécialisation dans ce domaine, chaque homme et chaque femme a pour vocation de rendre service en faisant ce qu’il peut et sur le plan matériel et sur le plan spirituel. Faire la lessive, repasser et plier le linge, faire les courses, préparer et servir le repas pour les autres, annoncer la grâce de Dieu, si tout cela est fait par le Christ ressuscité, nous allons le suivre, car c’est un chemin de joie. Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 10:10)(début de la prédication à 10:10) film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot Si vous avez des difficultés pour regarder les vidéos, voici quelques conseils.
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