Juste quelques secondes de prière en plus

( Actes 9:1-8  ; 2 Corinthiens 12:2-4 )

(écouter l'enregistrement)  (voir la vidéo)

Culte du dimanche 30 janvier 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

En entendant la prédication de James Woody la semaine dernière, disant que le centre de notre foi devait rester un espace vide, je me suis rappelé le témoignage de grands mystiques comme Maître Eckhart ou l’auteur anonyme du « nuage de l’inconnaissance ».

En particulier une prédication d’Eckhart sur la conversion de Paul (Actes 9), prédication qui fit grand bruit (on dirait aujourd’hui un buzz) qui dure depuis 700 ans !

Paul fut relevé de terre, nous dit Eckhart
et ses yeux ayant été ouverts,
il vit… rien, il vit le néant,
et ce néant était Dieu !

Ce n’est pas une erreur ni une provocation de sa part, cette étonnante conclusion résume même un point essentiel de la pensée d’Eckhart. Une pensée de fin théologien nourrie par l’expérience spirituelle d’un grand mystique…

Pour rechercher ce que cela peut nous dire, penchons-nous avec attention sur ce passage clef du livre des Actes des apôtres :

Paul fut élevé de terre,
et ses yeux furent ouverts

Ce qui est remarquable, c'est que la plupart des traductions trahissent l'original en mettant : « Saul se releva de terre, il ouvrit les yeux, mais ne voyait rien. » Nos traductions changent le sujet des verbes, sans se gêner. Dans le texte, ce n'est pas Paul « qui se relève » ni ses amis qui le relèvent, mais le texte écrit que Paul « est relevé », on pourrait même traduire qu'il est « élevé de terre » ou « ressuscité » puisque ce verbe est un des deux verbes de la Bible qui disent la résurrection.

Pourquoi alors est-ce que les traducteurs trichent en disant que c’est Paul qui se relève et ouvre les yeux ? Parce qu'ils ne comprennent pas comment des actes aussi positifs que d'être ressuscité et d'avoir les yeux ouverts par Dieu pourraient déboucher sur cela : ne rien voir du tout ! C’est effectivement impensable. Les psaumes, le Christ, la Bible tout entière nous disent que Dieu est lumière non pour nous aveugler mais pour nous aider à y voir clair. C’est d’ailleurs l’expérience d’une innombrable foule de croyants de toute religion, depuis que l’homme n’est plus seulement une sorte de singe.

Dieu est source d’illumination. La religion, par contre, est parfois source d’aveuglement, par exemple dans les sectes, mais pas seulement. Parfois, l’homme est sa propre secte quand il est tellement sûr de lui que ses propres yeux sont comme des filtres qui ne donnent à voir qu’une réalité transformée par notre précompréhension du monde et des personnes. C’est précisément cela, à mon avis qui est en cause ici. Paul dépasse ici la religion par la mystique, il va au-delà de la théorie sur Dieu pour vivre une rencontre avec Dieu.

Paul était un théologien très bien formé aussi bien en théologie biblique qu’en philosophie grecque. Il a une idée assez précise de Dieu, une idée de ce qu’il attend de lui comme salut, une idée assez précise de ce qu’il doit faire pour avoir une vie juste. Il va vivre, ce jour-là, une expérience mystique.

Les yeux de Paul vont être ouverts, et ce qu’il va voir n’est pas une nouvelle théologie, ce ne sont pas de nouveaux dogmes ou une belle leçon de morale. Paul cherche ses mots, il essaye de témoigner de son expérience, il en parle comme si ses yeux avait été ouvert sur Dieu, il fait une rencontre mais ce qu'il voit, il l'appelle « un rien », « un néant », un invisible. Ailleurs, Paul témoigne de cette expérience comme d’une élévation au ciel, comme à la fois hors de son corps et dans son corps, et comme s’il avait entendu des paroles impossibles à exprimer.

Nous sommes au-delà de la théologie, il s’agit d’une expérience mystique. On pourrait dire une rencontre avec Dieu, mais précisément, Paul ne veut pas employer ici des images simplistes. Après cette expérience, il ne veut plus rester dans le simple langage religieux habituel qui fait de Dieu un petit peu une personne comme nous… Or, Dieu ne se mesure pas en termes de dimensions, ni en termes de formes et de couleurs. Dire que Dieu est une personne est trompeur, car il n’est évidemment pas une personne au sens usuel du mot. Dire même qu’il existe est trompeur car il a un mode d’existence unique en son genre, à un autre niveau que le reste, comme source de ce qui existe, source de la vie, du mouvement et de l’être(Act 17:28) dit Paul aux athéniens. Mais ici pour parler de son expérience, il dit qu’il voit « rien » et qu’il entend des paroles indicibles.

Ce qu’apporte l’expérience mystique, c’est d’être un petit peu plus agnostique. Il vaut bien mieux être un peu trop agnostique que pas assez. Mais cet agnosticisme n’est pas de l’athéisme, c’est la reconnaissance d’une réalité d’un autre ordre. On peut continuer à faire de la théologie, mais avec un peu de recul avec un peu d’humour, même, si je puis dire. En sachant que nos mots sont des caricatures et des symboles, comme quand si on tentait d’expliquer les couleurs à un aveugle de naissance.

Oui, le cœur de notre foi, c’est dans un certain sens, un néant, c’est une discontinuité dans notre espace et dans notre temps. Le cœur de notre foi, c’est comme un appel qui répète notre nom comme ici « Saul Saul », c’est un « pourquoi ? » qui nous permet de nous interroger en vérité sur ce que nous sommes, sur ce que nous considérons comme Dieu et sur ce que nous poursuivons comme espérance…

Paul a donc une vive expérience mystique. Ce sera encore le même homme, mais il sera changé, relevé, éclairé.

Tant mieux pour Paul, allez-vous me dire… mais pour nous ? C’est vrai que l’expérience mystique n’est souvent pas si vive que dans cette expérience de Paul ou dans celle de Blaise Pascal, par exemple. Et même pour les plus grands mystiques, même pour Paul, une expérience si spectaculaire est rare.

Mais on fait souvent des expériences mystiques sans le savoir, un peu comme Monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir. Si l’on reprend l’expérience de Paul, le résultat de cette expérience mystique, c’est d’avoir été relevé, ressuscité, et d’avoir des yeux ouverts sur l’invisible. Et vivre quelque chose comme cela n’est pas si rare. J’ai rencontré bien des personnes qui disent qu’après avoir prié elles ont remarqué après coup, parfois le lendemain matin, par exemple, qu’elles avaient été remises sur pied, qu’elles étaient soutenues, ou préparées à traverser un moment difficile, ou qu’elles voyaient les choses plus en profondeur, au-delà de la surface des êtres et de la vie. Bref, bien des personnes témoignent avoir reçu quelque chose qui dépasse l’ordinaire alors qu’elles n’avaient pas eu l’impression qu’il se passait grand chose d’extraordinaire pendant leur prière.

Si l’on n’entend pas Dieu comme Paul le fait ici, si l’on n’est pas illuminé comme Paul ou le Bouddha, ni enflammé comme Pascal… ce n’est pas parce que Dieu ne nous aimerait pas ou que l’on est fermé à sa présence. En général, Dieu est plutôt une personne discrète, si je puis dire. On se rend compte de son passage seulement au fait que nous sommes un peu plus vivant après qu’avant. 

On frôle ainsi, parfois sans le savoir, le 3e ciel, comme le dit Paul.

Trois cieux : la théologie, la prière et la mystique
(l’idéal, la lucidité et la rencontre)

Si l’expérience mystique est le 3e ciel, quels seraient les deux autres ? La théologie pourrait être le premier, et la prière le deuxième.

  • 1) La réflexion éthique, philosophique et théologique est utile pour envisager une théorie de ce que l’on croit et de ce que l’on espère. Dans cette réflexion, croyants et athées peuvent travailler ensemble, discuter même de théologie pour chercher à définir ensemble ce que nous pourrions appeler le bien suprême, et ce qui est source de bien en ce monde.
  • 2) La prière est certainement une chose très utile, très efficace, elle permet une confrontation entre nos idéaux et les petits et grands événements de notre vie. Faite avec un effort de sincérité, elle aide peu à peu à avancer dans une certaine mise en cohérence de notre vie, de nos actes avec nos idéaux. Cet effort de lucidité qu’est la prière, dans un sens, n’est pas si éloignée de ce que pourrait faire n’importe quel humaniste dans une saine méditation personnelle. Sauf que pour le croyant, la prière espère plus que ce que nous apportons nous-mêmes :
  • 3) L’expérience mystique est encore autre chose, elle nous ouvre à une source, à une rencontre, à un changement de dimension. Et comme le disait James dimanche dernier, c’est là que le christianisme n’est pas un humanisme comme un autre.

Jésus enseigne, et son enseignement est de l’ordre du premier stade, celui de la réflexion éthique, philosophique et théologique. Personnellement, je trouve son enseignement génial, libérant, subversif, enthousiasmant.

Jésus invite à une réflexion personnelle, à une prise de conscience, à une conversion, à un cheminement dans la recherche de Dieu. Tout cela est de l’ordre du deuxième stade, celui de la veille et de la prière.

Mais Jésus est aussi celui qui guérit et qui ressuscite. Quand l’aveugle voit, quand le paralytique bondit sur ses pieds, quand le pécheur se sent pardonné, purifié. Quand les accusateurs lâchent enfin leur proie… c’est qu’il y a eu contact avec la source, c’est qu’il a été vécu une expérience du divin. Quand Marie-Madeleine reconnaît le Christ vivant auprès du tombeau vide, elle fait l’expérience de ce que Paul appelle ici le néant ou l’indicible, et elle l’appelle le ressuscité, qui vient vers nous et qui nous échappe, qui disparaît dès qu’il est reconnu. Une vie au-delà de la vie, une promesse pour chaque homme et chaque femme.

Mais comment faire pour monter à ce 3e ciel ?

On ne monte pas au 3e ciel avec ses petits pieds, ni avec sa grande méditation. Paul dit qu’il est emporté, qu’il est arraché jusqu’au 3e ciel. Comment faire alors ? Convaincre Dieu de s’occuper de nous ? La question n’est évidemment pas là. Dieu ne demande pas mieux, si je puis dire, que de nous élever, nous illuminer. Car la nature même de Dieu est d’être source de vie pour nous, personnellement, et pour chaque partie du monde. Mais c’est nous qui résistons, nous sommes pesants, comme collés à la glaise, et notre pensée divague.

La description que donne Paul de son expérience mystique peut nous aider à faire baisser cette résistance, comme un exercice spirituel utile pour s’ouvrir à la mystique. Chacun fait ce qu’il veut en ce domaine, bien entendu. Chacun a son rythme, sa sensibilité, sa culture. Les quelques conseils qui vont suivre ne sont donc qu’une invitation à veiller, une invitation à chercher et à demander, comme le dit Jésus.

Paul fut relevé de terre,
et ses yeux ayant été ouverts,
il vit… rien, il vit le néant,
et ce néant était Dieu !

Pour se préparer à être relevé : essayons de regarder délibérément vers le haut, vers Dieu. Arrêter pour un temps de penser à nos petites affaires, à ce que l’on craint ou ce que l’on espère pour soi, pour les autres et pour le monde.

Et pour se préparer à avoir les yeux ouverts et voir ce néant qu’est Dieu : essayons de penser à Dieu mais le plus simplement possible, je dirais même ne plus « penser » à Dieu mais juste l’aimer, l’espérer.

Un livre célèbre, le « nuage de l’inconnaissance » écrit par un mystique anglais du XIVe siècle nous propose de choisir un seul mot, le plus court possible et toujours le même, par exemple le mot « Dieu », ou le mot « aime »… Dès qu’une autre pensée que Dieu seul fait pression sur nous, la chasser en se recentrant sur ce mot, même si cette pensée est une sublime divagation théologique, même si c’est un verset biblique, ou une pensée généreuse et belle… se réunir avec l’aide de ce mot, pour se laisser élever et ouvrir les yeux sur l’invisible.

Cela ne prend pas beaucoup de temps. Juste quelques minutes à la fin de notre prière. Il ne s’agit surtout pas d’arrêter d’élaborer et de réviser notre pensée, ni d’arrêter d’ouvrir les yeux sur notre monde et sur les personnes qui nous entourent. Cela ne remplace pas non plus notre prière qui remet tout cela devant Dieu, avec espérance et avec un peu de responsabilité.

Il s’agit de juste quelques secondes de prière en plus.

Amen.

 

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Actes 9:1-8

Saul, respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur, se rendit chez le souverain sacrificateur, 2 et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il trouvait des partisans de la nouvelle doctrine, hommes ou femmes, il les amène liés à Jérusalem.

3 Comme il était en chemin, et qu’il approchait de Damas, tout à coup une lumière venant du ciel resplendit autour de lui. 4 Il tomba par terre, et il entendit une voix qui lui disait:
Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?
5 Il répondit: Qui es-tu, Seigneur?
Et le Seigneur dit: Je suis Jésus que tu persécutes.
6 Tremblant et saisi d’effroi, il dit: Seigneur, que veux-tu que je fasse?
Et le Seigneur lui dit: Lève-toi, entre dans la ville, et on te dira ce que tu dois faire.
7 Les hommes qui l’accompagnaient demeurèrent stupéfaits; ils entendaient bien la voix, mais ils ne voyaient personne.
8 Saul se releva de terre, et, quoique ses yeux soient ouverts, il ne voyait rien…

2 Corinthiens 12:1-5

Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans,
arraché jusqu’au troisième ciel
(si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait).
3 Et je sais que cet homme
4 fut enlevé dans le paradis,
et qu’il entendit des paroles merveilleuses
qu’il n’est pas possible à un homme d’exprimer.