Je n’ai pas jugé bon de savoir quoi que ce soit parmi vous sinon Jésus-Christ,
et Jésus-Christ crucifié.

( 1 Corinthiens 2 )

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Culte du dimanche 15 septembre 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, à la question : « quel est notre patrimoine ? », l’apôtre Paul répond : « Jésus-Christ, Jésus-Christ crucifié ». Rien de plus normal, me direz-vous, pour des chrétiens, que de placer au cœur de leur patrimoine : Jésus-Christ. D’ailleurs, si nous nous appelons « chrétiens », c’est bien parce que, ce qui fut au départ un sobriquet donné par les habitants d’Antioche (Ac11/26), désigne le fait que les disciples de Jésus disent de lui qu’il est le Christ. C’est une évidence sur le papier, dans les faits c’est beaucoup plus nuancé.

Nicholas Burton-Page, notre chef de chœur, me disait récemment qu’un atelier de prédication consacré à ce verset biblique avait débouché sur une prédication où il n’était pas fait une seule fois mention de Jésus-Christ, et encore moins de Jésus-Christ crucifié. Etonnant, non ? Voilà qui est extrêmement révélateur d’une forme de malaise de notre protestantisme sur cette question.

Nous autres, protestants, sommes certainement les champions du monde de la « décrucifixion » du christianisme. Cela s’explique par une forte réaction à des discours chrétiens qui font de la crucifixion de Jésus le sommet de la volonté divine, qui développent une théologie du sacrifice par lequel Dieu conduirait son Fils à la mort pour effacer la faute de l’humanité pécheresse. Ici Paul rappelle que Jésus a été crucifié justement parce que les contemporains de Jésus étaient fort éloignés de la sagesse divine (v. 8) et non pour satisfaire au bon plaisir de Dieu qui aurait eu besoin de la mort de Jésus pour que soit rétablie l’harmonie au sein du monde. L’autre raison pour laquelle nous sommes les champions du monde de « décrucifixion », c’est qu’il est difficile d’envisager qu’un acte de torture, qu’une mise à mort scandaleuse, qu’un crime contre l’être humain puisse être érigé en centre de la foi chrétienne. Pour ma part, envisager de porter un instrument de mise en mort au tour du cou n’est pas une perspective qui me transporterait de joie. Pourquoi ne pas en mettre dans les temples, sur le papier à lettre voire en faire un signe liturgique, tant qu’on y est ?

Mais il y a ce verset biblique, et bien d’autres, chez Paul, dans les évangiles, qui mettent l’accent sur la crucifixion de Jésus. Nous ne pouvons donc pas tirer négligemment un trait sur cela et nous concentrer exclusivement sur un évangile fait d’amour et de bons sentiments. L’honnêteté nous demande de prendre au sérieux ce passage biblique, et les autres, pour instruire notre théologie. C’est ce que je vous propose ce matin : essayer de découvrir ce que la crucifixion de Jésus peut apporter à notre compréhension de la foi chrétienne. Essayer de comprendre ce que cela fait au cœur de notre patrimoine, selon l’apôtre Paul.

Révélateur des limites de l’homme

Dans ce chapitre, Paul associe Jésus-Christ crucifié à la question du savoir. « Ne rien savoir sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ». Ne rien savoir dans un monde qui en sait tous les jours un peu plus, sinon Jésus-Christ crucifié. Cela ressemble à un anéantissement de notre savoir ; comme si toutes les sciences étaient inutiles ; comme si tous les progrès ne servaient à rien ; comme s’il suffisait de savoir Jésus-Christ crucifié pour régler tous nos problèmes, venir à bout de tous les conflits, mettre fin à tous les malheurs. Comme si la science était mauvaise, comme si elle nous éloignait de l’humanité espérée par Dieu. Mais ce que récuse Paul, ce n’est pas la science, ou la sagesse, mais la science livrée à elle-même, le savoir pour le savoir. Pour être plus précis, Paul récuse un savoir qui se suffirait à lui-même, qui prétendrait être suffisant. Paul exprime, déjà, que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », qu’elle est crucifixion assurée.

La sagesse des hommes que récuse Paul, c’est cette science que l’homme forge à la force du poignet, en découvrant jour après jours des forces à l’œuvre dans le monde, dont il se rend maître et qu’il utilise sans se poser de question, sans se demander si c’est utile, sans se demander si cela plaît à Dieu.

A qui profite la mort de Jésus ? A Dieu ? bien sûr que non, puisque trois jours plus tard Pâques vient disqualifier la crucifixion. C’est la sagesse du monde qui a conduit Jésus à la croix, c’est la conjonction d’intérêts personnels qui a mis Jésus à mort, pas une réflexion vécue devant Dieu. La croix met en évidence la folie de la sagesse humaine. La croix révèle le scandale que constitue une décision prise pour la seule satisfaction des mes propres intérêts. La croix révèle l’injustice que constitue un acte dont la seule motivation est le gain que je vais en tirer. La croix est un « non » aux les logiques égoïstes. La croix est un « non » à la mise à mort du juste. La croix est un « non » aux systèmes de boucs émissaires. La croix est un « non » aux logiques sacrificielles. La croix est un « non » à la loi du plus fort. La croix est un « non » à la prétention d’un savoir total, absolu, qui prétendrait détenir l’alpha et l’oméga de l’histoire, qui prétendrait détenir la vérité. C’est pour cela que la croix est au cœur du patrimoine du christianisme : c’est pour nous rappeler qu’il convient de disqualifier les discours totalitaires, les attitudes de domination, les prétentions à l’infaillibilité et toute tentative de devenir maître de l’universel. Nulle idéologie ne saurait être définitivement bonne contre les autres, aucun mode de management ne saurait tenir lieu de manuel d’éthique, aucune politique, aucun modèle économique, aucune théorie scientifique ne peut avoir valeur d’absolu. Il n’est pas de sagesse qui peut prétendre avoir le dernier mot.

« Coram Deo » se tenir devant Dieu

Pour Paul il ne s’agit de réduire à néant la sagesse humaine, mais de la relativiser, de la mettre en relation avec la sagesse divine. Il s’agit de mettre en relation l’esprit de l’homme avec l’esprit de Dieu. Je commence par quelques exemples. Quand un groupe agit pour préserver les intérêts des membres de ce groupe, il agit selon une logique interne. Un clan va agir selon une logique de clan, un parti selon une logique partisane, une classe selon une logique de classe. Dans chaque cas, le groupe n’a pour horizon que lui-même. C’est un groupe qui se tient face à lui-même. Il est dans une attitude narcissique. Il pense à partir de lui-même et pour lui-même. Cette sagesse que dénonce Paul, c’est le corporatisme.

En revanche, quand un groupe se tient face à l’extérieur, non pas dans une logique d’opposition radicale, mais comme un ami se tient devant un autre ami, alors il se tient devant un autre ; il fait face à l’altérité ; il est face à une autre vérité que la sienne. Cela, Luther l’a exprimé dans la formule « coram Deo » : se tenir devant Dieu. Se tenir devant Dieu, c’est penser notre vie en tenant compte d’un point de vue autre que le mien. Celui qui se tient face à moi est traversé par des élans et animé par des projets qui n’ont peut-être rien de commun avec les miens, mais qui ne sont pas dénués de vérité pour autant. Celui qui se tient là, face à moi, a peut-être de bonnes raisons de résister à mon désir, de ne pas se plier à ma volonté. Celui qui se tient là est peut-être détenteur d’une part d’humanité qui me fait défaut, il est peut-être le témoin d’une part de savoir qui me fait défaut. Nous sommes, chacun, détenteurs d’une part du réel, mais jamais de l’ensemble du réel. Nous avons accès à une réalité qui n’est qu’un bout du réel, c’est ainsi que je vous propose d’entendre le message de Paul : nous élaborons dans notre coin une réalité qui n’a qu’un rapport plus ou moins étroit au réel ; nous savons les choses à partir d’un point de vue qui n’est que partiel. Et cela explique bien des conflits et bien des drames. Les conflits sociaux, les conflits familiaux, les conflits politiques, les conflits internationaux sont, souvent, des conflits d’intérêts causés par un rapport partiel au réel. C’est notre réalité contre la réalité d’un autre. Et lorsque nous voulons imposer notre réalité à quelqu’un, alors se reproduit le drame de la croix. Lorsque le sanhédrin veut imposer sa réalité à Pilate, alors une croix est plantée en terre et un innocent peut se préparer à mourir.

En revanche, le Christ Jésus révèle qu’en conjuguant nos réalités nous nous approchons du réel, ce qu’il nomme le Royaume de Dieu. Pour être plus juste sur le plan théologique, lorsque nous acceptons qu’une réalité autre se mêle à la nôtre, alors le réel s’approche de nous, le Royaume de Dieu s’approche. Se tenir devant Dieu, coram Deo, recevoir l’Esprit de Dieu, c’est concrètement s’ouvrir à une autre réalité de que la nôtre, c’est laisser une autre réalité enrichir notre réalité et mieux apercevoir le réel ; c’est faire de la place en soi à une autre vérité qui me permettra d’être plus proche de l’ultime que je ne l’aurais été seul. Pour le dire avec le philosophe Paul Ricoeur, le plus court chemin de moi à moi passe par l’autre.

Et si c’est Jésus-Christ que Paul veut savoir à l’exclusion de tout autre chose, c’est parce que Jésus a été Christ en ce sens qu’il a donné à voir ce qu’est le réel. Il a incarné le réel. Il ne s’est pas contenté de la réalité qui l’arrangeait. Et chemin faisant, il a rapproché le réel de tout homme, quelle que soit sa condition, quelle que soit son origine, quelle quoi la nature de ses croyances. Et même face au Sanhédrin qui était saturé de sa réalité propre, Jésus a continué à montrer le réel sous la forme d’un amour inconditionnel, même pour les bourreaux, en refusant de répondre à la violence par une autre violence, en refusant de prendre l’épée pour éviter l’arrestation, en refusant de risquer la mort de l’agresseur alors qu’il avait les moyens de se défendre et de terrasser violemment ses adversaires, selon les propos qui lui sont attribués dans le jardin de Gethsémani (Mt26/53).

Ne rien savoir d’autre que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, ce n’est pas faire de la croix un art de vivre, ce n’est pas faire de la victimisation un fonds de commerce, ce n’est pas opter pour le masochisme, c’est reconnaître dans la figure de Jésus de Nazareth le Christ réel, l’homme authentique, c’est-à-dire l’être humain tendu vers l’ultime, en ayant bien conscience qu’il ne se rencontre que dans le visage de celui qui se tient face à moi, cet autre qui me fait face, qui m’arrache à l’obsédante inquiétude de mes intérêts personnels et qui porte mon regard, ma sagesse, en direction de cet horizon que l’apôtre Paul nommera quelques chapitres plus tard la résurrection.

Amen.

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

1 Corinthiens 2

Pour moi, frères, lorsque je suis allé chez vous, ce n’est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse que je suis allé vous annoncer le témoignage de Dieu. 2 Car je n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.

3 Moi-même j’étais auprès de vous dans un état de faiblesse, de crainte, et de grand tremblement; 4 et ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d’Esprit et de puissance, 5 afin que votre foi soit fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. 6 Cependant, c’est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n’est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être réduits à l’impuissance; 7 nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait prédestinée pour notre gloire, 8 sagesse qu’aucun des chefs de ce siècle n’a connue, car, s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. 9 Mais, comme il est écrit, ce sont des choses que l’oeil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont point montées au coeur de l’homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l’aiment.

10 Dieu nous les a révélées par l’Esprit. Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu.

11 Qui donc, parmi des hommes, connaît les choses de l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui? De même, personne ne connaît les choses de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. 12 Or nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce. 13 Et nous en parlons, non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, employant un langage spirituel pour les choses spirituelles. 14 Mais l’homme naturel n’accepte pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c’est spirituellement qu’on en juge. 15 L’homme spirituel, au contraire, juge de tout, et il n’est lui-même jugé par personne. 16 Car Qui a connu la pensée du Seigneur, Pour l’instruire? Or nous, nous avons la pensée de Christ.