Il est interdit d’être vieux !( Matthieu 9:16-17 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 9 mai 2010 à l'Oratoire du Louvre Chers hers frères et sœurs, il ne faut pas mettre une pièce de drap neuf sur un vieux vêtement, ni du vin nouveau dans de vieilles outres, nous dit Jésus. Avec de telles paroles, nous pourrions nous dire que le mieux, pour organiser notre vie d’Eglise, ce serait de mettre les vieux avec les vieux et les jeunes avec les jeunes. Et pas seulement en mettant les plus anciens dans le chœur et les plus jeunes dans la nef ou l’inverse. Tant qu’à faire, nous pourrions faire mieux en organisant un culte pour les anciens le matin et un culte pour les jeunes le soir. A la limite, nous pourrions même décider que le mieux serait que les jeunes aillent dans une paroisse et les plus anciens dans une autre ; dans un autre registre, n’est-ce pas, tout simplement, de la pure folie d’avoir accueilli, ce matin, un jeune paroissien ? Après tout, chacun chez soi et les paroissiens seront bien gardés ! Mais est-ce bien à cela que Jésus nous invite ? D’abord, il faut remarquer que les deux histoires que raconte Jésus ne sont pas identiques : la parabole des bouts de tissus compare deux choses de nature identique : des textiles. La seconde parabole, elle, compare deux choses différentes : un contenant et un contenu… de vieux récipients et du vin nouveau. La première parabole, sur le tissu neuf qu’on met sur un vieux vêtement peut effectivement parler des paroissiens entre eux. La deuxième parabole, sur le vin et les outres, parle de chaque paroissien et de sa capacité à recevoir un enseignement neuf, un contenu neuf pour sa vie. Pour nous, qui désirons que la vie d’Eglise soit délibérément ouverte à tous, il s’agit de se demander s’il est possible de rassembler et d’unir dans un même lieu, dans une même communion, ceux qui ont participé à l’édification de cette communauté avec ceux qui débarquent et qui ont, jusque là, vécu sans cette Eglise. Autrement dit, peut-on réussir à accueillir de nouveaux paroissiens sans déchirement, sans explosion ? A première vue, en s’en tenant à ce qu’a dit Jésus, cela paraît pour le moins compromis. Mais avouez que cela serait bien curieux, tout de même, que Jésus veuille dire qu’une communauté religieuse ne peut pas se renouveler, qu’elle est condamnée à vieillir et à mourir de sa belle mort. Avouez qu’il serait bien curieux, tout de même, que Jésus veuille dire qu’une communauté de croyants est non seulement incapable d’accueillir de nouveaux membres mais qu’elle a plutôt intérêt à se constituer en forme de ghetto. Pourtant, le fait est que, même moi qui ne suis pas spécialement expert en couture, je sais bien que si je mets une pièce de tissu neuf sur un vieux pantalon, ça va tirer et que le pantalon va se déchirer un peu plus loin. Que se passe-t-il si je mets un nouveau paroissien dans une vieille communauté comme la nôtre qui fêtera l’an prochain son bicentenaire ? il y a des tiraillements, parce qu’un nouveau venu, ça bouscule, ça interroge, ça étonne, surtout s’il veut prendre une place active, qu’il fait des suggestions, qu’il propose un point de vue un peu différent. Oui, un nouveau venu, ça pose question, ça tiraille et cela pourrait bien déchirer le tissu paroissial. D’ailleurs, il me semble que c’est la crainte de beaucoup de paroisses : que trop de nouveaux viennent tout chambouler, qu’ils nous changent l’Eglise, qu’ils nous changent la religion… Pour ma part, je ne crois pas que Jésus soit pessimiste et je ne crois pas non plus qu’il estime qu’une communauté de croyants, ou qu’une société soit condamnée à ne pas pouvoir se renouveler ni condamnée à dépérir inévitablement. Je crois, au contraire, que Jésus dit juste mais sous forme d’une mise en garde en non d’une condamnation sans appel. Jésus dit juste en disant qu’il n’est pas possible de greffer de nouveaux membres sur une vieille communauté. Si on essaie de le faire, ça se déchire. Mais, franchement, qui nous oblige à être une vieille communauté, au juste ? qui nous oblige à n’être qu’un vieil habit, une vieille tunique ? pourquoi faudrait-il s’identifier au vieil habit qui ne supportera pas la nouvelle pièce ? Oui, Jésus nous met en garde, mais il ne nous condamne pas par avance. C’est comme dans une famille : un gendre, une belle-fille… c’est une valeur ajoutée quand la famille est bien vivante, qu’elle n’est pas figée dans la reproduction d’elle-même. En revanche, un gendre, une belle-fille, ça devient une pièce rapporté quand la famille est repliée sur elle-même, qu’elle ne supporte pas les corps étrangers, qu’elle a du mal à s’ouvrir aux autres, aux surprises. Au fond, Jésus nous dit que la vivacité d’une communauté humaine, d’une tradition religieuse, se mesure à sa capacité d’accueil, à sa capacité à se renouveler. Soit nous ne sommes qu’un vieil habit incapable de changer, incapable de se re-tricoter avec de nouvelles fibres, soit, au contraire, nous avons cette capacité de changement qui permet de recevoir du neuf et de faire corps, un nouveau corps, avec lui. Dit autrement, une communauté chrétienne, si elle imagine pouvoir juxtaposer côte à côte des anciens et des nouveaux membres, court à sa perte ; si, à la manière d’un corps vivant, elle se recompose, si elle est capable de changer, si elle accepte de se retisser en intégrant les nouveaux, alors elle ne s’effiloche ni ne se déchire : elle s’embellit, elle se renforce même… elle est transfigurée. En ce mois de mai 2010, quatre cents ans après l’assassinat d’Henri IV , rue de la Ferronerie, nous pouvons nous souvenir de l’action de ce monarque qui, en signant l’Edit de Nantes, ne s’est pas contenté de coudre un peu de protestantisme ici où là mais a conduit le Royaume de France, jusque là exclusivement catholique, vers un peu plus de pluralité. Henri IV a œuvré par une action en profondeur, ne se contentant pas de quelques rustines qui auraient été insuffisantes pour maintenir l’unité du Royaume. Lui-même a changé (peut-être cela a-t-il été un peu excessif d’abjurer six fois durant sa vie mais force est de reconnaître que c’est au prix de ces changements personnels que la paix a pu être instaurée en France). Et il a changé la France, il lui a permis de se renouveler, de ne pas s’encroûter dans une guerre civile qui faisait les choux gras des extrémistes des deux camps : il lui a permis de sortir du Moyen-âge. Et aujourd’hui encore, nous conservons une trace de ce renouvellement en profondeur de la France dans ce qui est son symbole phare puisque le drapeau français conserve en son cœur la couleur blanche qui était celle du chef de l’armée huguenote qui devint, par Henri IV, la couleur des rois de France, ce qui ne manque ni d’humour, ni de panache. Ce changement personnel nous amène à la seconde parabole qui ne concerne plus les relations interpersonnelles, cette fois, mais le rapport que chacun entretient personnellement avec la foi et la joie qu’elle procure, joie figurée par l’image du vin. Pour l’exprimer sans détour, disons qu’il peut y avoir d’anciens paroissiens qui sont animés par une foi sans cesse renouvelée, qui s’est construite, déconstruite et reconstruite au fil des grandeurs et des vicissitudes de la vie, une foi qui a été mise en question par des moments difficiles et qui s’est affinée par la méditation, par des rencontres, par des conversations et cette foi est très jeune, très actuelle. A l’inverse, il peut y avoir de jeunes paroissiens qui sont animés par une foi vieille de centaines d’années, plus proche du concile de Trente que de ce qui s’élabore aujourd’hui dans les facultés de théologie. Il peut y avoir des anciens qui n’en ont toujours pas fini de cheminer en compagnie du Christ pour découvrir l’univers dans lequel Dieu nous propose de vivre et, d’un autre côté, il peut y avoir des jeunes qui, eux, se sont arrêtés à la première étape venue. Cela signifie qu’on peut avoir 90 ans et être rempli du vin nouveau offert par Dieu. On peut avoir 30 ans sans s’être renouvelé et en ayant toujours la foi de ses 10 ans, parce qu’on ne s’est jamais posé de question, parce qu’on n’a pas mis à profit les expériences de la vie quotidienne pour rectifier ses images de Dieu, ce qui fait qu’on n’a pas vraiment avancé depuis le catéchisme de son enfance. Manifestement Ravaillac, l’assassin d’Henri IV était de ceux-là : au cours des interrogatoires auxquels il fut soumis, Ravaillac déclare avoir voulu tuer le roi parce « qu’il n’avait pas voulu, comme il en avait le pouvoir, réduire la religion prétendue réformée à l’Eglise catholique, apostolique et romaine ». Non seulement Henri IV « n’avait pas entrepris de convertir les membres de la RPR » mais Ravaillac avait entendu que « le roi voulait faire la guerre au Pape et transférer le Saint-Siège à Paris » (ms. Dupuy 90, ms Brienne 192. Bibliothèque Nationale). Ravaillac faisait visiblement partie de ces personnes incapables de faire droit à une nouvelle compréhension, à un nouveau rapport au monde, à une compréhension renouvelée de la volonté de Dieu. Avec des gens comme Ravaillac, nous ne serions jamais sortis du Moyen-âge, d’ailleurs, nous n’aurions n’y serions même pas entrés car nous serions encore au temps de la préhistoire. Les paroissiens vieilles outres qui ne peuvent contenir du vin nouveau sans éclater, ce sont ceux qui n’ont jamais renouvelé leur personnalité, ceux qui n’ont jamais mis à jour leurs connaissances qui sont le plus souvent composées d’images d’Epinal, de stéréotypes qui. Le jour où ces personnes doivent sauter par-dessus des centaines d’années de recherche théologique, de dialogue, ça fait mal, ça brûle comme du vin trop nouveau brûle œsophage et estomac de celui qui n’y est pas habitué. Ce n’est pas pour rien que nous organisons une catéchèse d’adulte, des études bibliques, des débats au sein de l’Eglise ; ce n’est pas pour rien, non plus, que les pasteurs, eux-mêmes, participent à une formation continue. C’est justement pour éviter de devenir ce genre d’outre qui a vieilli avec le vin de sa jeunesse, un vin qui, au bout d’un moment, fait tourner la vie au vinaigre. Il me semble que Jésus n’est ni désabusé ni fataliste au fil de ces deux paraboles. Jésus ne cherche pas non plus à jouer au révolutionnaire qui va couper des têtes pour instaurer sa royauté, qui va éliminer ses opposants pour faire de la place au projet de Dieu. Il est plutôt dans une démarche de réforme qui vise à changer les mentalités, la vision des rapports humains, à aiguiser notre regard sur Dieu, sur le monde et sur nous-mêmes. Les rencontres de Jésus, le fait qu’il ne vient équipé que de la parole de Dieu qui est la seule arme dont il dispose, montrent bien qu’il ne cherche pas à éliminer ses opposants, à supprimer ses contradicteurs, mais à les transformer en profondeur. Jésus refuse que nous figions un jour notre vie au prétexte que nous aurions trouvé une fois pour toutes un bon vin de table. Il nous rend attentifs au risque de sclérose que court tout groupe humain qui veut rester figé dans ses certitudes. On met le vin nouveau dans des outres neuves ? Très bien, alors tirons-en une maxime qui sera notre art de vivre : « il est interdit d’être vieux » !Amen
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