Dieu propose, l’homme dispose( Genèse 19:1-26 ) Culte du dimanche 30 octobre 2011 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, le réformateur Jean Calvin fait souvent office d’épouvantail. Il donne le sentiment d’être le témoin d’un Dieu terrible, effrayant qui, du haut de sa majesté glorieuse, écrase la liberté de l’homme et réduit en poussière toute prétention à être acteur du cours des événements. Calvin fait figure d’épouvantail qui aurait agi à la manière de la divinité qu’il présente, tel un tyran assoiffé de pouvoir qui ne laisse à personne le soin de s’exprimer différemment de lui. Le poète Stefan Zweig en fait un archétype du dictateur ouvrant la voie à ceux que le XXème siècle ne connaîtra que trop bien. Certes, Calvin est un homme du Moyen-Age et nous ne saurions recevoir aujourd’hui son héritage sans exercer un droit d’inventaire. Mais Calvin a aussi un pied dans la modernité et c’est ce pied qui peut nous intéresse car il ouvre une voie que peu de personnes soupçonnent, une voie qui nous conduit à une expression contemporaine de la foi chrétienne. J’aimerais vous montrer que le théologien Calvin annonce le théologien Wilfred Monod et, à sa suite, bien des théologiens protestants libéraux. Pour ce faire, il nous faut ouvrir un aspect méconnu de l’œuvre de Calvin qui vient d’être récemment édité en français par Marc Faessler. Il s’agit de la « réponse de Jean Calvin aux questions et objections d’un certain juif ». Ces 23 questions et objections ont été rédigées à la suite d’une traduction en hébreu de l’évangile selon Matthieu, en 1385 par le rabbin Schemtob ben Isaak Ibn Schaprut et qui fut rééditée en 1555, date à laquelle Calvin put en prendre connaissance et réagir. La question XIX est celle que je porte à votre connaissance : « si Jésus fut Dieu pourquoi, tandis qu’il priait, dit-il à son Père qu’Il fasse selon sa volonté ? De là il appert qu’il n’avait pas en sa main un pouvoir par lequel il eût pu faire toute chose. » Pour répondre à la question du pouvoir de Dieu, Calvin va convoquer ce passage de la Genèse que nous avons relu. Et voici ce qu’il écrit : « Lorsque l’ange qui descendit auprès d’Abraham et de Loth se fit juge de Sodome, est-ce qu’il revendiqua l’entier pouvoir de Dieu alors que peu après, il affirma ne rien pouvoir faire jusqu’à ce que Loth soit sorti ? Est-ce que la force de Dieu n’était pas ligotée à la décision d’un homme, et Sa Main retenue jusqu’à ce qu’un humain mortel donne son approbation ? » Dieu n’est pas Tout-PuissantEn convoquant ce texte biblique, Jean Calvin ne présente pas un Dieu Tout-puissant qui pourrait accomplir ce qu’il veut. Si nous reprenons le texte de la Genèse au verset 22, nous y lisons, effectivement, cette phrase inouïe pour les tenants d’une toute puissance divine : « je ne puis rien faire jusqu’à ce que tu sois arrivé ». Le texte hébreu ne dit pas que le divin ne fera rien tant que Loth ne sera pas à l’abri, mais bien que le divin ne peut rien faire tant que Loth n’est pas arrivé. Le divin voudrait bien, mais il ne peut pas, il n’est pas capable, selon le sens du verbe Yakol. Est-ce un Dieu si terrible celui qui est ligoté à la décision d’un homme ? Est-ce un Dieu tyrannique celui dont l’action est retenue jusqu’à ce qu’un humain mortel donne son approbation ? Calvin fait droit, dans sa réponse, à un aspect de l’Eternel aujourd’hui encore si méconnu, si ignoré ou refusé : un Dieu qui ne peut pas tout, qui est limité dans son champ d’action. 400 ans avant Wilfred Monod, nous avons là, noir sur blanc, mais en latin, les prémices des ces pages d’exception que l’on trouve dans le recueil de textes intitulé « Aux croyants et aux athées ». Affrontant les questions du mal et de l’attitude de Dieu à l’égard des souffrances du monde pour y mettre fin, Monod écrit : « vous connaissez le fameux dilemme : ou il peut et ne veut pas, ou il veut et ne peut pas. La foi en la paternité divine nous oblige à choisir le deuxième terme de l’alternative : il veut et ne peut pas. » et un peu plus loin il écrit : « j’appelle Dieu l’effort partout manifesté, pour transformer la réalité. C’est un effort intelligent, moral, douloureux, sans cesse contrecarré, mais dont les progrès s’affirment de plus en plus. » Cet épisode biblique révèle l’Eternel littéralement incapable d’agir ; nous pourrions dire qu’il est impuissant, comme il le fut lors de la crucifixion de Jésus, et comme il le fut tout au long de l’histoire du christianisme pour empêcher les guerres de religion, les persécutions, le dogmatisme autoritaire etc. pour ne prendre qu’un terrain d’observation mineur parmi d’autres autrement plus importants dans l’histoire humaine. Dieu est ligoté, écrit Calvin, Dieu n’est pas tout-puissant, écrit Monod. Mais ne détruit-il pas Sodome finalement, à la manière d’un despote non éclairé qui écraserait sous doigt ce qui ne lui convient pas ? Sur le plan historique, si Dieu détruisait ce qui ne lui convient pas, la comptabilité serait redoutable à tenir tant il y a de choses contraires à l’Evangile. Sur le plan théologique, Dieu n’est pas celui qui détruit, il est celui qui sauve, celui qui rachète, celui qui relève, celui qui ressuscite. Même à Sodome, me demanderez-vous ? Tout porte à penser que, dans ce cas, Dieu punit de la peine capitale sans exercer la moindre miséricorde, sinon en faveur de Loth et de sa famille. Si nous pensons cela, c’est parce que notre esprit a encore besoin d’être réformé. C’est parce que nos idées religieuses ont encore besoin de se dégager de la gangue dans laquelle elles ont été plongées par des siècles d’élucubrations sur Dieu qui arrangeaient les tenants d’un autoritarisme ecclésial mais qui n’avaient rien à voir avec la révélation biblique. Car, outre ce verset 22 qui souligne que Dieu ne peut pas tout, il faut aussi mettre en évidence le verset 16 qui raconte comme les messagers de Dieu emmènent Loth et sa famille en les prenant par la main : cela est fait avec « miséricorde » dit le texte hébreu. Autrement dit, le texte biblique garde la trace que Loth aurait très bien pu résister à cette main tendue. Il aurait très bien pu ne pas se laisser emmener tant cette main tendue était délicate, respectueuse de sa personne, incapable de le prendre de force : la seule force qui se manifeste ici, c’est l’amour qui est, par nature, faible. Quant à la fameuse destruction dont il est fait état au verset 25, après que l’Eternel a fait pleuvoir du souffre et du feu… le problème est que cette destruction ne figure que dans cette traduction française. L’hébreu parle de bien autre chose à savoir de bouleversement. Ce que Dieu fait, c’est de bouleverser (hapakh) la ville, de la « subvertir » traduira pour sa part la version latine. Une traduction audacieuse consisterait à dire que l’Eternel réforme les villes et les environs. Il le fait comme un laboureur retourne la terre pour qu’une nouvelle germination puisse avoir lieu, pour qu’une nouvelle floraison voie le jour, en vue d’une production renouvelée. Cela corrobore la mention du soufre qui est utilisé pour lutter contre les maladies du potager, notamment dans l’agriculture biologique, le feu, l’écobuage étant régulièrement utilisé pour redonner de la vigueur à la végétation. Il ne s’agit donc pas de détruire mais de ressusciter, contrairement à ce qui est communément cru au sujet de cet épisode. Ici, contrairement à toute attente, l’Eternel s’efforce de donner une nouvelle jeunesse à la région, de lui donner un nouveau départ, une autre chance. Il ne s’agit pas d’une condamnation, mais de la possibilité d’écrire une nouvelle histoire, de porter de nouveaux fruits, de cesser d’être stérile comme l’est la femme de Loth qui est nostalgique du temps passé et qui, en se retournant, reste prisonnière de la situation ancienne qui n’avait pas d’avenir. Pour elle, l’addition est particulièrement salée. Ethique de la responsabilitéAinsi une bonne nouvelle retentit dans ce texte qui pouvait apparaître comme l’échec même de Dieu. Certes, l’Eternel n’est pas Tout-puissant, mais il ne se lasse pas de susciter en l’homme le désir d’une vie renouvelée à la lumière de son Evangile. Il est, certes, ligoté à la décision d’un homme, mais cela ne fait que renforcer notre responsabilité au sein du monde. Ici s’ouvre l’autre aspect qui va être particulièrement développé par le réformateur Calvin : l’éthique. L’éthique, c’est la réponse de l’homme au fait que Dieu ne peut pas ; l’éthique est la réponse de l’homme à cette situation où la suite de l’histoire dépend de sa décision et de ses actes. L’éthique, dans la perspective de Calvin, c’est ce que Dieu nous rend capable de faire en nous ouvrant les yeux sur notre condition et sur notre situation. Parfois, l’espérance de Dieu rencontre un obstacle. Dans cet épisode biblique, les habitants de Sodome sont un obstacle, Loth en est un autre car, loin d’envisager d’accomplir cette réforme des mentalités au sein de la population, Loth doit fuir ses responsabilités, fuir vers une existence plus petite (c’est le sens du nom de la ville, Tsoar, où il se réfugie). Loth n’est pas à la hauteur de l’espérance de Dieu : il ne protège ni ses filles des habitants de Sodome, ni les habitants d’eux-mêmes. Mais Dieu ne l’abandonne pas pour autant, il ne le condamne pas non plus : il l’exfiltre et lui permet de vivre une existence plus à sa mesure, en attendant des jours meilleurs où il aura grandi en humanité. Il aurait suffi que Loth prenne ses responsabilités et fasse preuve de détermination pour lutter contre l’injustice des sodomites par une justice d’ordre divin. Mais il n’en était pas capable. La suite de l’histoire était suspendue à son choix de faire face, ou non, à ses responsabilités. N’étant pas à la hauteur de la situation, n’étant pas en mesure de répondre à l’espérance de Dieu, il vaut mieux pour lui ne pas s’engager dans un combat désespéré dans lequel il risque d’y perdre son âme. Mieux vaut le préserver et envisager une autre manière d’agir. Dans le meilleur des cas, Dieu peut donner toute sa mesure par l’intermédiaire de l’humanité lorsque celle-ci fait de la place à sa Parole de telle manière qu’elle puisse s’incarner, prendre chair, se concrétiser en acte, se réaliser ; c’est ce que nous enseignent les évangiles où Jésus est Christ en ce sens qu’il accomplit l’intégralité de l’espérance de Dieu ou, pour le dire avec Calvin, toujours dans sa réponse à la question XIX, en affirmant que Jésus est Christ parce que la divinité s’est perpétuée, paisible, jusqu’en sa personne humaine, par le fait qu’il a obéit à la volonté du Père céleste. Dans tous les cas, Dieu propose et l’homme dispose. Amen
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