Abraham menteur, proxénète & incestueux ?( Genèse 12 & Genèse 20, 21 :1-2 ) (écouter l'enregistrement) (voir la vidéo) Culte du dimanche 13 janvier 2013 à l'Oratoire du Louvre De nombreuses personnes découvrant la foi, entreprennent de lire la Bible. C’est une bonne idée. Elles vont donc dans une librairie, avec un peu de chance elles se saisissent d’une traduction honorable (comme la Nouvelle Segond, la Traduction Œcuménique, ou celle de Jérusalem), rentrent chez elles et ouvrent la Bible à la première page. Bonne surprise, Genèse 1 est magnifique & poétique. Mais peu à peu le texte devient difficile. Le serpent qui parle, le lecteur tique mais comprend que c’est une image. Le meurtre d’Abel par son frère jaloux, c’est horrible, mais c’est vrai que notre monde est ainsi. Avec l’histoire du déluge, les choses empirent, avec une image hyper violente de Dieu contre l’humanité pécheresse, puis à Babel où Dieu brise le projet d’unité et d’élévation de l’humanité. Encore une énigme. Notre lecteur découvrant la Bible arrive ainsi, au bout d’une dizaine de pages, à l’histoire d’Abraham. Ah, voilà une belle histoire qui commence bien, avec un Dieu qui aime et bénit sans condition. Mais aussitôt le héros de l’histoire, Abraham le juste, l’ami de Dieu, le père des croyants, se comporte d’une façon à faire dresser les cheveux sur la tête : pour sauver sa peau, il semble bien qu’Abraham mente et pousse Sarah au mensonge, qu’il prostitue sa femme, sans penser une seconde à Dieu. Et quel est le résultat ? Le pauvre pharaon trompé par Abraham est puni, Abraham est récompensé et repart riche à millions. Combien de chercheurs de Dieu, plein de bonne volonté, ont alors refermé leur Bible toute neuve à la page 10 ? Quelle pitié ! Alors que toutes ces histoires sont passionnantes, enrichissantes au possible. Et heureusement que notre lecteur est choqué, car Dieu est celui que nous révèle Jésus-Christ, un Dieu qui aime infiniment chacun de ses enfants, un Dieu qui répand sa bénédiction sur toutes les familles de la terre (Genèse 12). Il est donc préférable de commencer sa lecture de la Bible par les Évangiles, ou alors, il est bon d’avoir une patience d’ange, acceptant de passer par-dessus des textes que l’on ne comprend pas (ou pas encore). Mais nous ne sommes pas ici au culte pour relire encore et toujours les textes les plus faciles mais au contraire pour assumer les questions et les défis que nous posent et la Bible et notre existence. Ce texte est un des plus choquants et des plus redoutés par les commentateurs depuis 2500 ans, avec ce récit où Abraham présente sa femme comme sa sœur pour que la Pharaon puisse en faire ce qu’il désire. Le pire, c’est que cette histoire se répète. À deux reprises, Abraham présente sa femme comme sa sœur pour que le Pharaon, puis le roi Abimélek en fassent ce qu’ils veulent sans que lui, Abraham, n’en retire que du bénéfice ! Ces histoires posent bien des questions morales évidentes, mais aussi des questions théologiques. Son chouchou fait n’importe quoi, mais Dieu le récompense largement, alors que les rois étrangers qui sont ici plus justes et plus ouverts à la Parole de Dieu qu’Abraham sont lourdement punis ? Il y a aussi des questions de vraisemblance : comment Abraham est-il entré deux fois dans cette même aventure scabreuse ? Comment Sarah peut-elle être une top-modèle au charme physique irrésistible à près de 100 ans ? Il y a des commentateurs qui appellent, au nom de la foi, à sacrifier notre raison. Cela me semble indigne de l’Évangile de Jésus-Christ. On peut aussi passer ces récits des aventures scabreuses d’Abraham en disant que ce n’est qu’une anecdote reprise sous trois variantes dans la Genèse, soit pour annoncer l’exode que vivra plus tard le peuple hébreu, ou pour montrer qu’Abraham est un homme pécheur comme nous, embrouillé dans le tragique de la vie en ce monde… Mais cette lecture n’apporte pas grand-chose, à mon avis, et elle ne rend pas compte de la position extraordinaire qu’ont ces deux récits dans l’histoire d’Abraham. En effet :
C’est bien difficile d’y voir un hasard. Le texte de la Bible n’est pas comme ça. Ces deux histoires parallèles sont comme les deux bouches d’un tuyau qui permet à la bénédiction donnée par Dieu de se réaliser dans notre vie. Il doit y avoir dans cette histoire scabreuse quelque chose d’essentiel, la 1ère version étant une bonne piste non aboutie que complète la 2e, qui est un état où la bénédiction peut enfin prendre vie. Une histoire essentielle pour comprendre comment la promesse de Dieu s’incarne dans notre vie. Mais, ce n’est pas de chance, pourrait-on penser, ce texte est une véritable énigme. Au contraire, c’est une chance. Comme le dit Jésus (Mt. 13 :13), il est bon que grâce à la Bible la vie elle-même nous paraisse comme une énigme, une parabole, nous invitant à creuser la question de notre vie afin de reconnaître et de pouvoir briser les idoles de nos évidences, et nous laisser ressusciter par une vie qui ne peut venir que de Dieu. Donc, chic, une énigme. Mais voilà, il est difficile de s’en sortir en lisant cette histoire au premier degré.
Pour s’en sortir, il y a une règle d’interprétation de l’écriture qui est bien connue depuis des millénaires. Si un passage biblique n’a pas de sens ou est choquant au sens littéral, il est alors indiqué d’essayer de le lire au sens figuré.
Il en est de même avec cette double histoire d’Abraham, de sa sœur-épouse et du roi puissant. Histoire si importante que la Genèse la place comme le portique de la bénédiction de Dieu en nous et dans le monde par nous. Dans cette histoire, chacun de nous est à la fois Abraham, et Sarah, et le Roi puissant.
Que nous dit alors l’histoire d’Abraham, de sa sœur-épouse et du puissant roi ? Le roi gouverne qui gouverne ce mondeUne famine survient et Abraham se tourne vers l’Égypte. Cela pourrait passer pour du manque de confiance en Dieu, c’est en réalité normal et c’est sain. Nous ne sommes pas de purs esprits, heureusement. Abraham a donc raison de se détourner un temps pour gérer aussi ce qui est de l’ordre du matériel. Cela fait d’ailleurs partie de sa vocation d’être une ample bénédiction, universelle, tous azimuts. Donc, oui, la Bible nous appelle à nous investir dans le monde, mais ce texte interroge le rapport que nous avons avec ce monde. Est-ce que nous sommes comme Abraham plein de mépris et de peur vis à vis des autres et du monde ? Est-ce que le monde autour de nous n’est, comme le pense Abraham au début, qu’un réservoir de nourriture parfois nécessaire à notre survie, mais par ailleurs entièrement gouverné par des désirs sauvages et prêts à tout ? Dans un sens, ce n’est pas tout à fait faux, mais Abraham apprendra que le monde, ce monde que Dieu aime, n’est pas seulement cela. Du 1er au 2e texte, il y a quelques petites différences dont chacune est un indice pour nous inviter à une autre présence dans ce monde :
Cette évolution nous dit que le monde n’est pas seulement une menace, il est aussi un frère qui nous accueille et dont nous sommes responsable. En réalité, nous sommes l’Abraham, l’homme de foi, nous sommes aussi ce monde, il est une dimension de nous-mêmes. Notre monde et notre foi ont un même Père, Dieu. Et le Christ montre que Dieu aime ce monde et qu’il n’a pas trouvé dégoûtant de venir parmi nous, en nous, pour y demeurer. Nous sommes ce roi capable du meilleur et du pire, capable de capable de chasser ou d’accueillir notre Abraham & notre Sarah. Mieux vaut plutôt être Abimélek au cœur pur et aux mains qui font le bien, Abimélek, littéralement celui qui reconnaît que « Abi », notre Père est « mélek » le vrai roi. Mieux vaut ne pas être trop le Pharaon, le roi qui se prend pour un dieu et chasse la foi hors de son royaume. Abraham et cette foi qui est la nôtreDans ce monde, Abraham se conçoit comme ce qui est le plus important. La priorité est pour Abraham sa vie, l’essentiel dit-il, c’est que : « il me fasse du bien », ce « il » étant l’autre, le monde, Dieu. Quand cette histoire est lue à la lettre, c’est d’un égoïsme monstrueux, même et surtout pour un serviteur de Dieu. Le Christ n’est pas comme ça, la preuve, il en est mort. Mais au sens allégorique, nous avons là une grande sagesse, utile au sens spirituel mais aussi dans l’entraide. Ce n’est pas qu’Abraham se prenne pour Dieu, comme un pharaon. Il ne s’agit pas de se croire supérieur aux autres, mais qu’en chaque personne, la foi, c’est-à-dire la vie spirituelle de chaque être soit placée au-dessus de ses autres dimensions. L’homme n’est pas une plante verte. L’homme partage avec la plante verte le fait d’être vivant mais ce qui doit gouverner en lui ce n’est pas cette dimension-là, ce doit être le spirituel : l’amour, l’espérance, la personnalité profonde de la personne, son idéal. C’est évident sur le plan théorique, il nous reste à l’apprendre dans la vie de tous les jours. Et dans l’entraide, dans la médecine, dans les solidarités internationales, dans la gestion des « quartiers » difficiles, n’importe quelle association ou famille… tous les milliards du monde ne servent à rien s’ils n’intègrent complètement cette dimension, et si l’on n’accorde pas une importance première à ce qui est de l’ordre du spirituel. Cette part est une vocation donnée par Dieu, un appel particulier, un sens qui nous est donné et qui est propre à chacun, chaque peuple, et qui est fait pour nous mettre en mouvement vers un quelque part qui reste à explorer. Donc oui, l’Abraham qui est en chacun est la priorité des priorités, il est bon que les richesses du roi nourrissent et enrichissent Abraham. Mais attention. Au début, Abraham s’appelle seulement « Abram » c’est à dire « père élevé » ensuite, dans la 2e version de l’histoire, il est devenu entre temps « Abraham », c’est à dire « père d’une multitude ». Oui, nous avons une grandeur formidable par notre vocation, notre vie spirituelle. Mais cela ne fait pas de nous un chouchou à qui tout est dû, tout est permis, tout est bon… notre grandeur nous donne de pouvoir nous rendre utile. Nous n’avons pas seulement à engraisser notre sagesse, affiner notre théologie, purifier notre prière… pour notre propre élévation ou notre petit salut éternel. Au début, c’est Abram qui était malheureusement le prédateur qu’il craignait de trouver dans les rois de ce monde. C’est quand Abraham le comprend enfin, qu’il se met à prier d’une façon tout à fait désintéressée pour la fécondité de ce monde qui l’accueille et le nourrit, et pour les personnes qui sont en ce monde. Le monde n’est alors plus pour lui un sujet de mépris et de crainte, il n’est plus pour lui un simple grenier, mais il est un monde pour lequel nous pouvons être une bénédiction. Et même un monde qui peut nous apprendre une part importante de la volonté de Dieu, comme à Abraham ici, qui est évangélisé par les rois. Sarah et cette dignité que nous recevonsVoilà enfin notre Sarah. Nous sommes Abraham, le bien aimé de Dieu, nous sommes un puissant roi, agissant en ce monde. Nous sommes aussi Sarah. Elle est notre dignité, dignité merveilleuse, noblesse de haute naissance, comme celle d’une princesse. Et pourtant, Abraham, acculé, terrorisé croit qu’il est juste de la mettre au service de sa propre vie à lui, de sa propre abondance. C’est hyper choquant au sens littéral. Cela reste une mauvaise idée au sens allégorique, mais la pensée d’Abraham devient alors compréhensible. Alors Abraham et Sarah sont deux dimensions de notre propre personne, et la vraie foi est en nous un appel à être prêt à tout donner, jusqu’à notre vie au service de Dieu, au service de l’amour, de la justice et de la paix. Il faudrait donc tout sacrifier au service de cela si la foi nous y appelle ? Tout ? Non, nous dit ce texte, il y a une limite. Notre dignité ne doit pas être sacrifiée, ni celle de personne. On peut arriver à donner sa vie, quand ça vaut la peine, mais on n’a pas le droit d’aller jusqu’à donner, ni même salir notre dignité, ni celle de personne ou d’aucun peuple. Combien de bons vrais parents vont parfois jusqu’à se vider eux-mêmes pour leurs enfants, y perdre leur personnalité, ne se réalisant plus que dans leur enfant. C’est trop. Des personnes de foi peuvent tout donner dans le service de l’autre, dans leur église… c’est pour Dieu, certes, mais ce n’est pas bon, c’est trop. La foi elle-même peut donner parfois envie de ce sacrifice ultime de soi, allant jusqu’à y perdre le sentiment d’être soi-même important devant le sublime. C’est faux. Pour Dieu, nous sommes sa petite princesse. Abraham se trompe donc et c’est à chaque fois le roi qui apprend à Abraham à ne pas offrir Sarah. Normalement, c’est la foi qui est la bonne conseillère dans notre vie. Mais là-dessus, le bon sens doit l’emporter au-dessus de la foi. C’est alors le bon sens de ce monde, c’est le roi qui nous l’apprend. Même ce que représente la Pharaon est plus sage qu’Abraham sur ce point-là. Le simple principe d’efficacité du service de l’autre en ce monde nous apprend à ne pas aller jusqu’à laisser le monde s’emparer de notre dignité. Même le monde a besoin que nous soyons nous-mêmes. Oui, notre dignité est notre sœur. Notre foi vient de Dieu, notre monde vient de Dieu, notre dignité vient de Dieu. Nous avons tous le même Père. Mais celle que nous devons épouser d’amour, c’est notre dignité. Nous agissons dans le monde, nous prions pour le monde, il est le lieu de notre vocation. Mais sur la dignité, c’est la nôtre et rien ni personne ne doit passer. Ne pas offrir, bien sûr, notre Sarah, ne pas laisser le monde l’épouser. Elle ne va qu’avec la foi, en couple. La richesse que le monde offre et toute la belle industrie sont bonnes et la foi ne doit pas cracher dessus, mais au contraire prier pour que ce soit fécond. Mais tout cela n’ajoute rien à la dignité de la personne humaine, et cela ne vaut pas qu’on lui vende la moindre part de dignité humaine. Abraham doit épouser Sarah, mais il doit aussi apprendre que Sarah n’est pas sa chose, sa princesse à lui comme se traduit littéralement « Saraï », mais qu’elle est « Sarah », « princesse » tout court. Notre Abraham doit ainsi apprendre que nous ne possédons pas notre propre valeur, notre propre dignité. Nous vallons quelque chose, notre vie est précieuse que nous le voulions ou non, que nous le sachions ou que nous l’ignorions. Dieu est notre Père. Mais quand ces trois personnages sont en de bonnes et saines relations. Quand Abraham et le roi puissant vivent en paix comme des frères, notre roi étant source de moyens d’action en ce monde, notre Abraham étant source de foi, de prière et de bénédiction pour ceux et ce qui nous est confié. Quand notre Abraham et notre Sarah sont unis l’un pour l’autre, ils sont alors une ouverture sur la vie, une source de mise en mouvement et de guérison communicative. La dignité que Dieu nous donne par grâce donnant le courage de la foi. Et la foi permettant de rendre vivante cette dignité, féconde. Amen. Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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