Tractacus-theologico-economicus( Genèse 37:3-28 ; Genèse 40 ) Culte du 9 août 2009 à l'Oratoire du
Louvre Chers frères et surs, il est curieux de constater à quel point nous avons un rapport paradoxal au climat. Il suffit que l'hiver soit rigoureux pour que nous regrettions qu'il fasse trop froid et que l'été soit estival pour que nous regrettions qu'il fasse trop chaud. Et il en va ainsi de tous les climats : annoncez une crise financière et les lamentations s'élèvent. Annoncez le retour des bénéfices, des dividendes et des boni il y a encore matière à se plaindre. Je ne dis pas que les plaintes soient toujours injustifiées, je constate qu'elles révèlent une forme d'insatisfaction permanente. Il y a, finalement, toujours matière à se plaindre. On peut déplorer cet état de fait, on peut aussi essayer de le comprendre. C'est ce que nous pouvons faire avec l'aide d'un des premiers traités d'économie : l'histoire du patriarche Joseph. Dans l'univers de Joseph, un des objectifs de l'économie est de lutter contre le pourrissement des choses. Le raisin devient aigre, le blé moisit, le lait tourne tout le produit de la culture agraire ne cesse de s'abîmer et, finalement, tend à disparaître. L'économiste va s'efforcer de travailler sur cette réalité et le bon économiste va réussir à maintenir le produit du travail. Le bon économiste est celui qui arrive à sauver ce qui va se perdre. C'est celui qui arrive à éviter que les produits soient avariés et qu'ils soient finalement jetés. Le bon économiste, tel que nous le découvrons dans les textes bibliques, c'est celui qui parvient à résoudre l'équation " rendre invariable ce qui, dans quelques temps, sera avarié ". Le petit cours d'économie biblique commence avec Joseph. Ses frères en sont jaloux au point qu'ils veulent le liquider. Joseph va-t-il disparaître ? oui, bien sûr, à moins qu'un bon économiste trouve une solution pour sauver ce qui va être perdu, pour maintenir en bon état ce qui est sur le point de se gâter. Le premier à essayer quelque chose est Ruben. Il propose de stocker Joseph dans une citerne. A première vue, c'est une bonne idée. Mais stocker un produit, une denrée, ce n'est possible qu'un temps. Au bout d'un moment, la denrée s'abîme, même si elle a été stockée dans de très bonnes conditions. Vous pouvez imaginer ce qu'il serait advenu de Joseph, dans sa citerne, au bout de quelques jours. Il aurait sérieusement dépéri. Stocker semble une bonne idée, à première vue, mais ce n'est valable qu'à court terme Juda, un autre frère, suggère une deuxième solution. Cette fois, il ne s'agit plus de stocker, il s'agit de remplacer, de substituer. Pour éviter que Joseph ne pourrisse dans son trou, il propose de le vendre, c'est-à-dire de l'échanger contre de l'argent. Et en vendant Joseph contre 20 pièces d'argent, Juda va sauver son frère. Joseph va effectivement être préservé et il ne deviendra pas la pourriture à laquelle il était condamné. Dans la Bible, le stockage est loin d'être un bon modèle économique. Ce qui est encouragé, c'est la transformation. Solution contre le pourrissement du blé, du raisin, du lait : le pain, le vin, le fromage. Ce que vous avez produit devient autre chose : ce raisin est autre chose, ce lait est autre chose. C'est une économie qui ne travaille pas sur le stockage, sur le maintien en l'état, mais sur le différent, sur le changement. Ce blé n'est plus du blé, c'est du pain. On passe de l'état statique " ce lait est du lait ", ce qu'on appelle aussi une tautologie, à la métaphore " ce lait est du fromage ". L'économie biblique est principalement une économie de la métaphore. On sauve du pourrissement, de la mort en transformant ce qui est sur le point de dépérir. Nous trouvons un écho de cela dans le deuxième épisode que nous avons lu au sujet de Joseph. Il se retrouve à nouveau au trou, cette fois avec un échanson et un panetier. Il est donc en train de pourrir, entouré d'un sommelier, chargé du service du vin auprès du pharaon et d'un panetier qui est chargé du service du pain auprès du même pharaon, le roi d'Egypte. Ces deux personnes sont donc au cur d'une économie de la transformation qui change le raisin en vin et le blé en pain. Et ce sont eux qui vont nous offrir l'occasion de poursuivre notre réflexion théologico-économique. Au sommelier qui lui demande ce qu'est cette coupe remplie du fruit de la vigne, Joseph lui révèle : " ceci est ton sang ; tu seras réhabilité dans ta charge. Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne. " Au boulanger qui lui a demandé ce qu'est cette corbeille de pain dans laquelle les oiseaux mangent, Joseph lui révèle : " ceci est ton corps et tu seras pendu au bois. " Qu'apprenons-nous avec ce traité de théologie économique ? ce que, de nos jours, nous oublions trop souvent et qui est très certainement à la base de bien des insatisfactions que nous avons évoquées en préambule et de bien des conflits sociaux : il n'y a pas de modèle économique unifié. Il n'y a pas un système économique, une vision de l'économie, qui permettrait de résoudre toutes les difficultés et de venir à bout de tous les problèmes. Ce que souligne l'histoire de Joseph, c'est qu'il n'y a pas de bonnes recettes qu'il suffirait d'appliquer en toutes circonstances pour réussir dans la vie, pour éviter le dépérissement et la perte. Cette histoire de Joseph est lourde de cet avertissement : méfiez-vous de ceux qui prétendraient avoir une réponse globale, valable à tous les niveaux, en tout lieu. Les récits bibliques nous enseignent que la vie est loin d'être mécanique. Les récits bibliques nous enseignent que ce qui peut être positif un jour peut être négatif un autre jour, dans un autre contexte. A première vue, les songes des deux serviteurs du roi d'Egypte sont assez semblables. Et nous nous attendrions à ce que l'interprétation de Joseph conduise aux mêmes résultats pour l'un et pour l'autre. Alors que tout semble aller dans le même sens (le même chiffre trois, la même allusion à l'élément agricole qui constitue le cur de métier des protagonistes) jusque dans l'explication que Joseph commence par donner " le roi va élever ta tête " cela finira de la manière la plus opposée qui soit pour l'un et l'autre. De même, il semble que nous serions en droit de penser qu'il suffirait de vendre ce qui est sur le point de dépérir pour le préserver, comme cela a si bien fonctionné pour Joseph. N'est-ce pas, justement, ce que fera un autre Judas, pensant probablement bien faire en suivant la trace de l'un de ses ancêtres. Vendre Jésus pour le sauver d'une mort qu'il estime certaine. Vendre Jésus pour éviter qu'il ne soit lapidé lors d'une prochaine querelle publique. Mais il n'y a pas de recette universelle. Et il ne suffit pas toujours de vendre quelque chose, quelqu'un, comme certains se débarrassent des crédits non-solvables, pour sauver la situation. Des solutions qui ont été bonnes par le passé peuvent produire par la suite de mauvais résultats. Mais de mauvaises recettes peuvent également produire de bons résultats. Nous avons lu que Joseph arrivant vers ses frères et aperçu de loin. Et avant qu'il ne soit près d'eux les frères ont comploté pour le faire mourir. L'évangéliste Luc, de son côté, rapportera une histoire dans laquelle Jésus présente Dieu comme celui qui, lorsqu'il voit au loin l'un de ses enfants sur le point d'être perdu, se réjouit, et lui prodigue tous les soins qu'il faut pour lui redonner pleinement vie. Nous avons entendu que le narrateur du livre de la Genèse précise que l'échanson, qui va réintégrer la cour du roi, ne va pas se souvenir de Joseph alors que ce dernier lui avait demandé de ne pas l'oublier, une fois dehors, pour obtenir sa libération de prison. Nous pourrions, dès lors, penser que les gens ont toujours la mémoire courte et qu'une fois qu'ils sont sortis d'embarras, ils oublient leurs compagnons d'infortune. Mais Jésus, à qui une demande similaire est faite par l'une des deux personnes crucifiées avec lui, ne sera pas aussi négligeant et l'entrainera à sa suite. Notons aussi que " trois jours " ne constituent pas nécessairement une période qui conduit inexorablement au bonheur absolu. Si Jésus et l'échanson profiteront de la période de trois jours à la manière du prophète Jonas qui passe trois jours en marge de la vie, le boulanger, lui, ne connaîtra pas le même bonheur au terme de ces trois jours. N'en déplaise à certains qui aiment que Dieu soit un principe d'absolu, que la Bible soit une référence d'orthodoxie, la foi chrétienne qui se nourrit de la méditation de la Bible découvre à quel point les textes bibliques relativisent les institutions humaines, relativisent les sciences. Cela n'est pas une manière de dévaloriser l'activité humaine, de dévaloriser les sciences, bien au contraire. Ces textes refusent les explications trop simples ; ils refusent une sorte de pensée unique qui serait résumée dans une théorie unique. Pas plus en science physique, qu'en économie ou qu'en théologie, il n'y a un seul modèle explicatif. Ces textes bibliques, et bien d'autres, révèlent à quel point il y a de la place, dans notre vie, pour réussir ce que nous entreprenons. Ces textes nous révèlent que les échecs de nos prédécesseurs ne nous condamnent pas forcément à essuyer les mêmes échecs, de même que la réussite de nos aînés n'est pas une garantie que nous réussirons aussi, si nous faisons comme eux. Ces textes parlent à tous ces situations de notre quotidien qui sont autant de situations qui pourrissent petit à petit, pour nous rappeler qu'il n'y a là rien d'inexorable. On peut, bien entendu, laisser faire, laisser pourrir une situation, une personne, un bien, comme le sommelier s'y emploie fort bien mais on peut aussi agir, intervenir, changer les situations, les améliorer et parfois les sauver, à la manière de Juda, l'un des frères de Joseph. Se contenter de reproduire les bonnes recettes du passé n'est pas toujours suffisant, comme le montre l'action de Judas Iscariot. L'économie du salut consiste à envisager les personnes, les situations, le monde, comme bien plus que ce qu'il y a à voir et à entendre de prime abord. L'économie du salut consiste à sortir des tautologies où le pain est du pain et doit rester du pain, où le méchant est un méchant et doit rester un méchant, où l'imbécile n'est qu'un imbécile et doit le rester à jamais. Il faut sortir de ces tautologies qui enferment le monde dans des stéréotypes pour accéder à l'univers de la métaphore. Cette métaphore, vive, c'est opérer les bonnes transformations, faire des opérations de change nécessaire, pour faire repartir les histoires qui calent, pour redonner vie à ce qui se décompose. C'est là tout le projet de l'Eternel. Amen Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
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