Bulletins de l'Oratoire > N°799 de l'été 2014
Se retirer pour aller de l’avant« Jésus se retira » est mentionné plusieurs fois dans les évangiles. Anachorein, en grec, a donné le mot anachorète qui désigne celui qui se met en retrait de l’espace public. « Jésus se retira » comme autrefois les mages qui se retirent dans leur pays plutôt que d’aller voir Hérode (Matthieu 2/12) et qui préparent la retraite de la famille de Jésus du côté de l’Egypte (Mt 2/14), peut-être là où Moïse s’était retiré pour échapper au pharaon (Exode 2/15). Dans certains cas, la retraite est une fuite qui permet d’éviter une agression. Elle a pour fonction de se préserver. Sonner la retraite, c’est admettre qu’on ne peut pas faire face, qu’il faut se replier, pour ne pas perdre la face. En se retirant en Egypte, Joseph et Marie sauvent Jésus de la mort. Les retraites de Jésus sont également destinées à le préserver d’un mal moins physique que spirituel. Pour éviter qu’on le fasse roi (Jean 6/15), pour préserver son être profond, pour ne pas perdre la tête comme Jean, Jésus se retire pour reconstituer son unité (Mt 14/12-13). Il devient anachorète pour se retrouver, pour rassembler tous les fragments de sa vie, les symboliser, et en faire une histoire, son histoire. Se retirer permet de ne plus subir le rythme quotidien. Nous prenons de la distance avec notre lieu de vie, avec les sollicitations. Cette distance permet d’embrasser toute notre existence d’un seul regard, de relier les choses entre elles, de les remettre à leur juste place, en perspective. Se retirer, c’est aussi ce que fait le lecteur biblique en ne se laissant pas submerger par le texte, en instaurant une distance critique. Prendre de la distance avec le texte, c’est considérer ce qu’il a à me dire dans son ensemble et non dans un verset, un passage seulement, toujours limité par rapport à ce qu’est véritablement l’Evangile. L’Evangile excède les évangiles, la Bible, ce que les religions peuvent en dire. L’Evangile, cette annonce d’une vie profondément heureuse et accessible pour chacun, s’exprime dans nos éclats de vie, dans les interstices de l’histoire, dans la variation des habitudes. La lecture biblique est, en ce sens, une excellente pédagogie pour nous initier à la retraite spirituelle qui consiste à prendre le recul nécessaire pour élargir notre horizon, ne rien laisser hors champ, ne pas se focaliser sur un seul aspect de la vie, ce qui ferait de nous un intégriste. L’aspiration aux retraites spirituelles participe de ce besoin de donner plus d’ampleur à notre vie et de retrouver ce qui est essentiel - un essentiel parfois bien malmené. Spirituelles parce que l’unité de notre personne se réalise d’autant mieux que la retraite se vit face à l’ultime, à l’aune de l’absolu, en faisant abstraction de tous les conflits d’intérêts qui empoisonnent nos choix (l’Esprit désigne alors la possibilité de se relier à l’esprit de la vie, au cœur de la vie). Spirituelles parce qu’il n’y a pas une seule manière de faire retraite. Ce qui sera exprimé dans ce dossier n’est qu’une partie de ce qui est possible, seul ou en groupe, ponctuellement ou régulièrement, dans un cadre ecclésial ou non, ici ou là-bas. Ajoutons que la dynamique de retraite manifeste aussi une attitude intéressante à contre-courant de la fuite en avant. Reculer pour mieux sauter, diront certains. Se retirer pour laisser un peu de place à l’autre, dira le Psaume (113/5) qui ouvre la voie d’une retraite qui permet à l’autre d’entrer en Terre promise au lieu de lui faire obstacle, de maintenir la frontière hermétique. Se retirer est un mouvement d’évidement, de kénose, qui participe de l’humilité. La retraite fait place à l’inattendu, la grâce, à la manière du tombeau vide de toutes les superstitions religieuses et qui permet des rencontres inespérées pour les disciples de Pâques. La vie spirituelle, à travers le principe de retraite, nous enseigne à avoir un rapport sain au monde qui nous entoure : elle nous aide à nous préserver de ce qui pourrait nous abîmer, elle nous aide à devenir l’artisan du bonheur de l’autre. James Woody Faire retraite"Tu me contrains, Seigneur, à une heure étrange', chante le moine dans le magnifique Livre de la Pauvreté et de la Mort de Rilke L'allemand vaut sérieusement mieux que ma traduction, mais de grâce, ne lisez pas trop de Rilke : vous n'auriez plus besoin de musique... Nous voici donc en Aragon désertique et venteux dans une chartreuse de 5000 m2, avec effectivement un cloître gigantesque, au milieu duquel se trouve un jardin, au milieu duquel se trouve le cimetière : fidèlement et sereinement l'Eglise accomplit sa mission première envers les petits pèlerins que nous sommes : elle nous prépare à l'éternité, nous invite à réévaluer notre éphémère, nous fournit l'équipement du randonneur sur le chemin inconnu, nous propose l'apprentissage de la Résurrection et de l'Amour absolu. Voilà pour l'essentiel. Nous nous découvrons débutants... mais il y a de la joie dans l'air. Et en attendant, nos journées sont rythmées par les trois offices (Laudes, Messe, Vêpres), les enseignements (Bible, histoire, œcuménisme...) et les travaux (jardinage, cuisine, ménage...) ; lever à 6h30, première vraie pause vers 14h, coucher de bonne heure. La vie est simple sans être austère, équilibrée sans être excessivement rigoureuse, le tout vécu dans un œcuménisme de cœur et sans le moindre artifice. On apprend à équilibrer être et faire, à vivre le 'ici-et-maintenant' cher à Ignace de Loyola, dont la Communauté du Chemin Neuf a hérité la spiritualité, en accueillant les surprises au jour le jour, en apprenant à faire confiance à la présence indéfectible et à l'amour sans faille du Christ. Quotidiennement son Evangile s'actualise et on découvre Dieu en toutes choses. On gratte les murs des cellules en rénovation, afin de les préparer à une nouvelle couche de peinture : Seigneur, gratte-moi et je serai blanc comme neige. On dessouche des vieux pommiers : Seigneur, arrache mon vieux bois pourri. On voit passer trois fois le même ustensile lors d'une même séance de vaisselle : Seigneur, reste patient, je suis de nouveau sale… Simplifier, se désencombrer, pour mieux écouter. Les relectures ignaciennes, loin de toute introspection morbide, et encore plus loin de tout conformisme psychanalytique, permettent de poser un regard paisible sur les hauts et les bas de son propre parcours, évacuer des rancœurs résiduelles, voir d'un œil neuf ses réussites et ses échecs, rectifier le tir, et reconnecter avec soi-même, cet inconnu... On est souvent surpris, parfois paniqué, par le temps perdu et le terrain encore à gagner : mais tout se fait sous le signe de l'Amour vainqueur et de l'Espérance. Une session hebdomadaire d'accompagnement est d'un grand réconfort. Les exercices spirituels au grand complet, 30 jours en silence, nous attendent d'ici peu. La prière personnelle est évidemment centrale, et là aussi la démarche ignacienne, à la fois enfantine et exigeante, semble efficace. Un texte est proposé : j'y entre, je me mets à l'écoute (faisant 'taire en moi toute voix sauf la Sienne' disaient autrefois les Protestants), je fais fonctionner mon imagination, je parle comme un ami à un ami... et je découvre l'Evangile en tant que nourriture plutôt qu'information. C'est tellement évident! Pourquoi je n'y avais pas pensé ? Pourquoi ai-je confondu exégèse et archéologie ? Ai-je cherché le Vivant parmi les morts ?... Et il m'arrive souvent de conclure avec le Psalmiste : "Envoie ta lumière et ta vérité, qu'elles me conduisent ; A chacun son chemin vers le Mystère. Et au bout du chemin : enfin, la musique. Nicolas Burton-Page Le pèlerinage à St Jacques de Compostelle :
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J’ai marché sur ces chemins espagnols durant l’été 2007. J’avoue m’être laissé surprendre par cette aventure inattendue. Avant de m'y lancer, je me considérais comme un observateur extérieur à ces pèlerins pénitents, fruits de mes préjugés. Très vite, l’évidence de ma raison de marcher s’est imposée à moi. J’ai alors réalisé qu’il y avait autant de raisons de faire ce chemin que de sensibilités différentes. Durant mon voyage, j'ai rencontré des catholiques, des athées, des sportifs en quête d'exploit, des retraités dynamiques, un séminariste éprouvant son célibat, des amoureux de la randonnée, etc. Sur ces sentiers millénaires, on se sent bien et on s'interroge : sur soi, sur la foi, le partage de la foi, le rapport aux autres, etc.
L’histoire de ce voyage est fortement associée au catholicisme de par l'importance des Saints et des lieux sacrés. Alors pourquoi aujourd’hui, nombre de personnes (y compris moi) non catholiques trouvent dans ce chemin une force et un bénéfice qui relèvent du divin ?
On remarquera que de nos jours, les gens disent bien souvent qu’ils ont « fait les chemins de Compostelle ». Certains y marchent même par tronçons pendant des années sans jamais arriver à la destination finale. Aujourd’hui, le chemin est autant un lieu de pèlerinage que la cathédrale contenant le tombeau de l'apôtre. Ce qui compte, ce n’est plus tant là où l'on va, mais la manière d’y aller ; cela explique certainement pourquoi les dernières décennies ont vu ce pèlerinage se laïciser. L’histoire catholique du chemin a construit et creusé quelque chose dont les marcheurs contemporains ont hérité mais en ont transformé le dessein. En transférant l'importance du lieu vers une primauté du cheminement, on oserait presque imaginer la possibilité de faire ce pèlerinage avec une approche protestante.
J'étais à l'époque dans une période de recherche spirituelle. Aujourd'hui, j'ai construit ma foi autour de valeurs protestantes et je me rends compte à quel point l'état d'esprit dans lequel j'avais fait ce chemin était proche de ma façon actuelle de vivre ma foi. Une réflexion quotidienne sur soi, une relation à Dieu qui se fait... en marchant.
Raphaël T.
«Il y a quelque chose en moi qui n'est pas que de moi». Cette phrase de Marcel Légaut lors de sa première session à Marseille, dans les années 80, est sans doute fondatrice de notre « atelier spirituel » baptisé par la suite « groupe Légaut ».
Cette intuition singulière du mystère de Dieu à travers l’action créatrice de l’homme a séduit beaucoup de participants. Nous avons été une douzaine au départ, dont un quart de protestants, à vouloir approfondir cette approche introspective par la lecture de ses ouvrages. Le fonctionnement du groupe qui a trente années d’existence actuellement, est resté similaire.
Le thème est sélectionné en début d’année, ainsi que l’ouvrage à étudier. L’auteur qui au départ était essentiellement Marcel Légaut, a été, par la suite, choisi en résonnance avec sa pensée (Michel Feuillet, Sylvie Germain…) ou avec celle du protestantisme libéral (John S. Spong).
Nous nous réunissons une fois par mois le soir chez l’un des membres pour une lecture commune, à haute voix, d’un extrait du livre que nous découvrons ensemble. Chacun peut se laisser interpeller par le texte lu et il s’ensuit une série d’échanges, très libres, au cours desquels s’affine la compréhension des idées des auteurs. En général, on ne lit guère plus d’une dizaine de pages par séance car les propos de Marcel Légaut, simples et imagés devant un auditoire, sont plus difficiles dans ses ouvrages comme le seront souvent les écrits choisis ensuite.
Je crois qu’une étude en groupe me permet de mieux appréhender le sens du texte abordé et ce temps mis à part tous les mois est propice à un travail en profondeur. Ce sont des moments d’échange spirituel qui viennent parallèlement à la parole qu’on reçoit au culte. Enfin la convivialité de ce partage a créé, au fil du temps, une vraie communion parmi les membres du groupe qui pourtant ne se rencontrent pas en dehors des sessions organisées par l’association Marcel Legaut.
par Jean-Claude Martin
Trente années, et plus, de ministère pastoral m’avaient ouvert les yeux sur les lacunes de la piété protestante en France. Par piété je ne désigne pas, ici, les manifestations extérieures du zèle religieux dans le domaine de la propagande missionnaire ou des applications sociales de l’Evangile ; la ferveur, la persévérance, même l’enthousiasme, inspirent l’élite militante de nos églises ; plus d’une fois, des étrangers m’ont exprimé, à cet égard, leur surprise émue et leur admiration. Mais les animateurs de nos « Œuvres », de nos « Sociétés » religieuses, de nos Congrès, se font peut-être illusion sur la portée réelle de leur effort. Où en est la piété, au sens plus ordinaire et traditionnel du terme, dans l’ensemble du protestantisme français ? Est-ce que celui-ci, dans le domaine « cultuel », est à la hauteur des circonstances et des besoins ?
On constate, parmi les protestants, une répugnance instinctive pour l’idée même des « pratiques de piété ». On m’objectera que les protestants se glorifient d’échapper à cette notion primaire de la piété. Ils s’écrient : « Le renoncement ? Se lier par un engagement formel d’abstinence ? Mais c’est de l’ascétisme païen ; vive la spiritualité chrétienne ! – Lire la Bible à heure fixe, ou sanctifier le dimanche ? C’est du légalisme juif ; vive la liberté évangélique ! – Fréquenter régulièrement le culte, employer des formulaires de prière ? C’est du mécanisme catholique ; vive l’inspiration individuelle ! »
Je ne méconnais point la divine puissance du spiritualisme paulinien, et la splendeur de l’hymne à la liberté entonné par Luther. Mais ces géants de la vie religieuse ont démontré, par leur exemple, que, si la méthode et la discipline ne remplacent pas l’inspiration, celle-ci, néanmoins, quand elle est réelle, aboutit à l’organisation. La cellule fécondée organise le corps qui émane d’elle, expression de sa vitalité. Sachons donc utiliser les pratiques spirituelles ; non pour « avoir pratiqué » ; mais pour grandir, pour devenir, pour acquérir une influence rayonnante, une vertu radioactive.
Je tiens à déclarer, non sans hésitation, « avec crainte et tremblement », que le Tiers-ordre protestant a cessé d’être un rêve pour devenir une réalité. Il existe. Obscurément, lentement, il a élaboré ses principes ; il s’exerce à pratiquer ses règles ; il a groupé ses premiers et humbles novices. Et voici l’article final des statuts constitutifs : « Les Veilleurs forment désormais, entre eux, une Ligue pour la vie sainte et la vie simple ; une confrérie ou camaraderie d’associés qui, sur les ruines d’une civilisation et dans la courageuse espérance d’une ère nouvelle, veulent esquisser pratiquement, au sein de nos Eglises protestantes, une moderne Imitation de Jésus-Christ. »
Wilfred Monod
Mon frère, ma sœur,
Si la main de Dieu te semble loin de toi ou au contraire si proche,
Si ton cœur est plein de tendresse ou pleurant d'amertume,
Si tes nuits te renvoient ta solitude, font surgir les absents, ou t'apportent le repos et la douceur,
Si tes armoires sont pleines, tes enfants présents, ta réussite exaltante,
Si le chant et la danse, la nature, la joie de la création comblent tes sens,
N'oublie pas les Béatitudes.
Celles-ci sont comme la « mission intérieure » que le Christ nous a laissée. Elle consiste à suivre, pas à pas, le chemin de vie qu'il ouvre devant nous.
Les prier amplifie son intention, « veillez et priez », pour donner corps au chemin de vie qu'il incarne et peut être le nôtre.
Oui, les Béatitudes sont comme une échelle de mesure de nous-mêmes, de notre rapport au monde, de notre relation au Christ et ainsi à nous-mêmes, qui nous rappelle combien servir le Christ est une ambition difficile.
Simplicité Miséricorde » |
Les mettre au centre de nos vies, confronter chaque jour, dans la prière et le silence de Dieu, nos pensées, nos actes, nos intentions, à chacune d'elle, nous introduit dans le compagnonnage du Christ autrement que la simple présence au culte ou l'action quotidienne.
Cette prière active dépasse la supplication, la requête. Elle est prière qui nous apprend à vivre en vérité, en intériorisant la présence du Christ, face à lui, l'ami, celui que nous oublions ou évitons constamment pour demeurer rattachés dans le monde.
Mais le Christ est venu !
Il nous a donné ce chemin, il nous permet d'être « ultimement concernés », c'est à dire de faire de la foi le centre de notre vie, notre colonne vertébrale, à partir de laquelle tout se tient.
Cet accomplissement, nos pères dans la foi nous ont invités à le vivre en recréant la Fraternité, si souvent malmenée.
Cette Fraternité nous appelle à vivre dans le monde, à son service, en ritualisant nos actes et notre prière, en liberté. La Fraternité est « toute où je suis », mais en liberté. Voici la grâce ultime : en liberté, mais
centré(e).
Mon frère, ma sœur, si tu y es prêt, si tu y aspires, si tu doutes, je te souhaite de comprendre combien celui qui est l'alpha et l'oméga se trouve dans la Béatitude, celle qui te correspond, celle par laquelle tu vas commencer ou (pour)suivre ton chemin, cette échelle que Jacob a vue en rêve, et dont chaque pas ouvre vers l'approfondissement et l'élargissement.
Tu peux devenir Veilleur en découvrant la Fraternité mais tu peux également, aussi, le devenir en faisant silence en toi, là où tu te sens bien, là où tu parviens à être en paix avec toi-même, en communion avec l'Esprit et ton prochain. Dieu t'invite au mystère de la communion et de la prière, de la retraite et de l'action. Que celui-ci soit pour toi bénédiction.
« Heureux les Doux, ils hériteront la terre. »
Marion U.
Pour contacter la Fraternité des Veilleurs :
Prieur : Pasteur Claude Caux – Les Abeillères. 30270 Saint Jean du Gard – tél 04 66 85 38 41
Drôle d’idée, peut-on penser, que d’aller se terrer dans un coin perdu des Cévennes. Pourquoi se couper ainsi du monde ?
On peut soupçonner une sorte d’égoïsme à laisser les pensées individuelles prendre le pas sur une vie spirituelle «normale», par définition altruiste. On peut craindre que le chaos ne vienne envahir le champ de conscience soudain abandonné à lui-même, d’ordinaire cadré et structuré par le rythme dominical de nos cultes.
Un des bienfaits les mieux compris d’une retraite monacale est celui du ressourcement personnel : « tu vas te ressourcer, quelle chance tu as, et là se dénote une pointe de nostalgie et d’envie. Oui, c’est une chance que de vivre une expérience en milieu monastique, comme on se présente aux grands rendez-vous, lorsque rien ne compte autant qu’une intense aspiration vers l’avant. Alors, on s’autorise à nourrir l’espoir de ressourcer et renouveler sa vie, abandonnant loin derrière soi les lourdeurs de l’ego et du chaos quotidien.
Pourtant l’arrivée aux Abeillières ne vous incitera pas à pareille mystique. Tout est si simple, si quotidien. D’emblée, vous vous sentez accueilli dans une maison que vous partagez avec d’autres. C’est là un premier bienfait, ce partage quotidien grâce à un silence discret, qui est respect mutuel, non pas résonance amplifiée de soi. «Maintiens en tout le silence intérieur...» Déjà, un léger sourire guette votre intérieur, comme celui des autres dont vous partagez la table. Bien plus efficace que les grands gestes, ce sourire silencieux sera votre fil conducteur, il va imperceptiblement orienter et structurer vos pensées, presque à votre insu.
Ce vif souci, cet envahissement de l’esprit, ce tracas qui met le cœur à l’envers, va-t-il enfin disparaître ? «Seigneur...» C’est l’heure de l’office, la cloche sonne, vite je dois être là. Et là, le choc de l’esprit ambiant fait trébucher votre pied : la chapelle, son rayon de soleil du soir, la concentration de pensée de ceux qui déjà se recueillent - et le silence lumineux qui vous enveloppe tout entier d’une affection sans faille.
Mais oui, c’est l’amour. L’amour de Dieu, du Christ, la lumière, peu importe comment vous l’appelez, mais c’est là, pour et par chacun dans sa présence totale en ce lieu, en cet instant. Oui, quelle chance d’être là !
Le pas léger de Daniel Bourguet inaugure le temps du dialogue avec Dieu : «Seigneur, viens à mon aide!» Capitule, cantique, deux psaumes, lecture biblique, commentaire, prière ou béatitudes, cantique, antienne. Par cette simplicité, Daniel a permis qu’un mot ou une parole puisse résonner en chacun, selon son inclination. Lui-même pense à chacun de nous et nous porte, cela se perçoit dans une subtile intonation, voire une respiration, ou dans la prière. Peu à peu, d’un office, d’un jour, d’une nuit à l’autre, on sent grandir en soi la réalité palpable d’une communauté formée dans le secret des cœurs : «Que ton règne vienne»... Et le chant emplit la chapelle comme si elle était une cathédrale.
Vous étiez parti dans l’idée d’une rupture avec votre vie de tous les jours, d’une mise au pas de vos lourdeurs ? Vous voici immergé dans un présent où tout s’est assemblé, vos pensées du passé et vos attentes d’avenir, formulées dans la bénédiction.
Vous vous étiez armé en vue d’une solitude sacrée, dans le renoncement au cadre structuré de vos activités? Vous vous découvrez en train de tisser par la pensée tout un cosmos de liens avec ceux qui vous sont chers, comme les autres dont la présence vous entoure tissent le leur, si bien que par moment tout se fond en un. Vous voilà unifié dans un système vivant.
Bien sûr, ceci n’est que mon expérience personnelle. Mais, je peux vous l’assurer, il est offert à chacun, aux Abeillières, de parcourir un bout de chemin de sa propre vie jusqu’à la rencontre du Seigneur et des autres, rencontre où se fonde la vie spirituelle.
Isabelle Madesclaire
Contact : Daniel Bourguet Les Abeillières. 30270 Saint-Jean du Gard tél 04 66 85 38 41
La méditation se situe dans le face à face de deux protagonistes en dialogue, mais elle n’est qu’une partie de ce face à face, un des éléments de ce dialogue.
Dans la méditation, l’homme écoute ce que lui dit Dieu, et il ne fait que cela : écouter. Cependant, le dialogue avec Dieu implique aussi que l’homme parle à Dieu, en réponse à la parole entendue ; cette réponse de l’homme, c’est la prière.
Voilà donc les deux éléments essentiels du dialogue avec Dieu : la méditation et la prière. Dans la méditation, Dieu parle et l’homme écoute. Dans la prière, l’homme parle et Dieu écoute. Si l’un des deux éléments manque, le dialogue devient boiteux et finit par ne plus être dialogue. La prière s’inscrit dans la logique de la méditation, de manière aussi vitale que diastole et systole dans le bon fonctionnement du cœur !
Daniel Bourguet
Si nous devions choisir notre
place dans le Corps du Christ,
ne désirons nullement être l’œil
ou la main, ni même l’oreille.
Le Christ ordonne admirablement
son ouvrage et nul ne peut dire :
"Je veux être ceci ou cela !"
Mais il permet que l’on désire.
Si donc nous pouvons désirer,
désirons d’être les jointures,
les lieux cachés
où s’articulent toutes les parties
afin que nous prenions part à
sa paix,
aux profondeurs de cette Église
qui est son Corps.
Règles des Diaconesses de Reuilly
Communauté protestante fondée en 1841 par le Pasteur Antoine Vermeil et Caroline Malvesin, les diaconesses ont un engagement spirituel et social. Leur présence se veut aussi un signe de l’unité du protestantisme. Elles constituent un lieu d’accueil, d’écoute, de prière, organisent des retraites individuelles ou communautaires.
offices à la chapelle
10 rue porte de Buc 78000 Versailles tel : 01 39 24 18 80
L'interprétation la plus classique dans l'Evangile de Luc, du récit de la visite du Christ chez Marthe et Marie, fait de Marie, qui privilégie l'écoute de la parole du Christ, celle des deux sœurs qui a fait le meilleur choix. Francine Carillo nous invite à relire attentivement ce passage à la lumière du commentaire qu'en fit Maître Eckart. A la traditionnelle opposition entre contemplation et action, ce mystique rhénan qui vécut à la charnière entre le 13e et le 14e siècle, substitue un subtil équilibre entre les deux, fruit d'une maturité spirituelle atteinte seulement par Marthe, la plus âgée des deux femmes.
Nous y découvrons que la vie spirituelle ne se travaille pas seulement dans le retrait ou au loin. La vie la plus quotidienne qui soit peut être le lieu par excellence pour progresser sur un chemin d’humanité. De ce point de vue, la méditation offerte par Francine Carillo peut être un excellent compagnon pour la démarche sur place, et permettre un face à face avec Dieu : le divin se révèle dans l’exploration de cette situation, en écho aux textes bibliques qui nous y rendent sensibles. Voir Dieu et vivre.
Francine Carrillo. J'aimerais que vivre tu apprennes : quand Marthe nous ouvre un sentier spirituel. Paris, Mediaspaul, 2013. 125 p., €17.
Isabelle Gui
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« Les Justes, plantés dans la maison de l’Eternel, prospèrent dans les parvis de notre Dieu »
Psaume 92