Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort

(2 Corinthiens 12:1-10)

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Culte du dimanche 18 octobre 2015
prédication du pasteur James Woody

 

Chers frères et sœurs, l’apôtre Paul fait-il preuve d’une fausse modestie dans sa défense contre les « super apôtres » qui sont passés à Corinthe après lui et qui semblent subjuguer la communauté chrétienne que Paul a fondée ? Paul est-il véritablement l’apôtre de la faiblesse ou joue-t-il le jeu du misérabilisme pour attirer la compassion de ses interlocuteurs ? Paul est un fin tacticien qui joue avec les sentiments ou fonde-t-il véritablement une théologie préférentielle pour les faibles ?

Contre une théologie de la gloire

Si nous considérons que Paul est un bon tacticien, alors il faut considérer que son discours sur la faiblesse n’est pas ironique et qu’il n’est pas une manière de susciter de la peine. Nous l’avons tous appris de nos grands-mères : mieux vaut faire envie que pitié. Mais cet argument ne suffit pas. Il convient de évaluer cet éloge de la faiblesse au regard du corpus biblique.

Dans les écrits du Nouveau Testament, le refus d’une théologie de la gloire est présente aussi bien dans l’épître aux Philippiens qui chante un Christ Jésus qui n’a pas cherché à se prévaloir de sa condition divine pour surpasser son monde (ch. 2). Il a pris une forme de serviteur, devenant semblable aux hommes, jusqu’à la mort. Ce thème de la mort et plus précisément de la mort sur une croix est présente chez Paul qui affirme qu’il a prêché le Christ crucifié (1 Co 1/23) et un peu plus loin qu’il n’a « pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus -Christ, et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2/2). Cela s’accorde, évidemment, avec l’attitude de Jésus rapportée par les évangélistes, qui ne s’est pas révolté d’être mis au nombre des malfaiteurs (Luc 22/37). Jésus n’a donc tiré aucune gloire personnelle, ce qui est la marque du messie, serviteur souffrant dans la veine de ce qu’en dit le prophète Esaïe : « Il n'avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, et son aspect n'avait rien pour nous plaire. (Es 53/2) ». Et nous pourrions remonter à la figure de Joseph, dans le livre de la Genèse, pour constater que celui par lequel le salut arrive est la figure de l’humble, de celui qui n’a aucune superbe, à l’image de David dont personne ne soupçonne qu’il est l’élu de l’Eternel. Celui qui fait la volonté de Dieu n’est pas reconnaissable à son apparence glorieuse.

La gloriole n’est pas dans la tradition chrétienne. Quand ce fut malencontreusement le cas, cela a provoqué des réformes, avec ses risques d’austérité. On a peut-être compris 2 Co 12 à l’excès au XVIème siècle, Martin Luther s’astreignant à une discipline de fer pour plaire à Dieu.

La gloire est à Dieu, pas à ses lieutenants. C’est la raison pour laquelle Paul va disqualifier les « super apôtres » auxquels il fait face. Paul récuse le spectaculaire, l’ostensible comme attestation d’une proximité avec Dieu. A vrai dire, nous pourrions tous nous vanter de quelque chose, nous pourrions tous participer au grand concours de celui qui a bénéficié d’une grâce divine. Chacun a son expérience du paradis, chacun a sa part d’ineffable. Dieu accorde ses dons à tous, mais tous n’en font pas étalage. Dieu aime chacun, mais tous n’en font pas un motif de fierté personnelle ni leur fonds de commerce.

Option préférentielle pour les faibles

Paul refuse clairement la gloire et la vantardise au profit d’une théologie qui s’exprime à travers la faiblesse, ce que le texte grec nomme l’asthénie. La faiblesse est, selon Paul, le lieu où le divin s’exprime par excellence. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » car la « puissance [de Dieu] s’accomplit dans la faiblesse » : Dieu vient à nous sous les traits d’un nouveau-né qui n’a même pas de place pour naître convenablement. Dieu vient à nous sous les traits de prophètes qui, comme Jean Le Baptiste, devaient faire peur. Dieu vient à nous par Moïse le bègue, par Jacob le fourbe, par Jonas le trouillard, par ces traitres de disciples de Jésus. Le salut entre par ce voleur de Zachée. Le paradis est promis au brigand condamné à mort avec Jésus. Faiblesse, faiblesse, faiblesse. Ce ne sont pas des surhommes qui manifestent le divin, mais ce que notre monde compte de moins glorieux. Les textes bibliques développent une option préférentielle pour les faibles. Jésus, dira, selon les évangélistes, dira : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler à la repentance des justes, mais des pécheurs (Lc 5/31-32). » Le christ Jésus n’est pas venu pour les bien portants, mais pour les malades, les nuls, les exclus, les faibles. Il y a dans la perspective biblique une option préférentielle pour les faibles, pour ce qui a le moins de poids dans la société, ce qui s’affirmait déjà avec Abel, « buée », qui aura une postérité malgré sa fragilité constitutive et la violence qu’il subira. Cela se confirmera par la suite : l’Eternel prend soin de ceux qui sont menacés de famine, de stérilité, d’extinction. Dieu ramène à la vie ce qui est menacé, ce qui est desséché, fut-ce un peuple qui ne valait pas plus que des ossements secs. L’Eternel fait advenir ce qui n’a que peu d’intérêt pour le regard superficiel des hommes.

A vrai dire, l’option préférentielle pour les faibles, c’est une manière de dire l’option préférentielle pour l’humanité. Que ce soit Qohelet qui dit que buée des buées, tout est buée, tout est fragilité, que ce soit le psaume 103 qui, s’intéressant à la nature humaine en vient à dire : « L'homme ? Ses jours sont comme l'herbe, Il fleurit comme la fleur des champs. Lorsqu'un vent passe sur elle, elle n'est plus, et le lieu qu'elle occupait ne la reconnaît plus (Ps 103/15-16). » Prétendre posséder une force naturelle relève purement et simplement du déni. La condition de l’homme est fragilité, vulnérabilité, ce que les réformateurs du XVIème siècle n’hésitaient pas à nommer le péché. L’option préférentielle pour les faibles, c’est John Bost qui disait : « Ceux que tous repoussent, je les accueillerai au nom de mon maître ».

L’option préférentielle pour les faibles, c’est l’attention portée à l’homme, à l’homme véritable et non l’homme qui se prétend invulnérable, au-dessus de tout, pensant bénéficier d’une impunité absolue. L’option préférentielle pour les faibles, c’est le soin pour tous, c’est la grâce pour tous, tous partageant cette même condition. « Va avec la force que tu as (Jg 6/14) » est-il dit au petit Gédéon, et non « va avec une prétendue puissance » qui ne serait que le fruit d’une mythomanie.

La Grâce, œuvre de justice infinie

La grâce pour tous n’a pas les mêmes effets pour tous. Nous n’en sommes pas tous au même point de notre cheminement spirituel, de notre humanisation. La grâce est un soin personnalisé, qui correspond à cet oracle d’Esaïe : « je t’appelle par ton nom (Es 43/1 ; 45/3,4). » La grâce, c’est fournir à quelqu’un ce dont il a profondément besoin et non ce qui nous fait plaisir d’offrir.

La grâce est cet amour différencié, qui tient compte des situations individuelles. C’est une dynamique de la justice au sens biblique. Là où nous pensons la justice principalement comme l’action de condamner le coupable, des textes bibliques nous disent que la justice est ce qui permet d’identifier la victime, de la reconnaître comme victime, et de la restaurer autant que possible dans son intégrité. Le premier Testament fourmille de l’expression « Dieu fait droit à la veuve et l’orphelin, il aime l’étranger - les trois figures les plus fragiles de la société – il fait droit à l’opprimé (Dt 10/18 ; Ps 10/18 ; 35/23 ; 82/3 ; 10/6). »

C’est par exemple le sens de l’Exode qui consiste à libérer le peuple opprimé et à lui rendre la possibilité de célébrer le culte, c’est-à-dire à avoir une vie qui peut s’épanouir dans toutes ses dimensions. C’est une démarche infinie, car nous pouvons toujours progresser dans notre humanité, dans notre développement personnel, à la manière du peuple hébreu qui n’en finit pas de se libérer de la maison de servitude, au même titre qu’il n’en finit pas d’entrer en terre promise.

Ajoutons que cela ne doit pas se faire au prix d’un masochisme infini. L’option préférentielle pour la faiblesse ne doit pas conduire à affaiblir ceux que nous rencontrons, ni à chercher pour nous-mêmes toutes sortes d’outrages, de privations, de persécutions et d’angoisse, pour reprendre les termes de l’apôtre Paul. Il ne s’agit pas de pratiquer l’affaiblissement général au prétexte que cela nous permettrait d’être d’autant plus justifiés, d’autant plus au bénéfice de la grâce divine, ni à comprendre de travers le propos de Martin Luther qui disait plus je pèche, plus je suis pardonné.

Se plaire dans les faiblesses (v. 10) ne consiste pas à les chercher à tout prix. Cela consiste à ne pas nier ce que nous sommes – Abel - pour bénéficier de tout ce qui est promis à l’homme : la grâce d’être relevé, la grâce d’être restauré dans sa dignité, la grâce de devenir quelqu’un capable de certains accomplissements.

Contrairement aux supers apôtres, Paul ne manifeste aucun orgueil, aucun complexe de supériorité, bien au contraire, il témoigne plutôt d’une sorte d’humilité maladive, se contentant de prier Dieu de changer sa situation : cela signifie qu’il pressent que sa vie pourrait être autre chose, qu’il y a une distance entre ce qu’il pourrait accomplir et ce qu’il accomplit effectivement.

En s’abstenant de considérer Paul, en n’ayant probablement que mépris pour lui, les supers apôtres s’enferment dans une posture arrogante, et du même coup ils se privent de la richesse intérieure de Paul ; ils se privent de sa force de convictions, de son engagement au service de l’Evangile, ils se privent aussi d’une compréhension de l’humanité qui leur fait cruellement défaut. Au lieu de se mettre à l’école de la faiblesse, les supers apôtres s’enferment dans leur propre représentation du monde, ils se coupent de l’humanité véritable – que nous savons faible par nature – ils deviennent sectaires. Paul, lui baisse la garde en se présentant face à l’ultime, il ne s’enferme pas dans une superbe. Et c’est par cette humilité véritable qu’il va pouvoir recevoir ce que le théologien Paul Tillich appelle le courage d’être, ce courage qui nous permet d’accepter d’être acceptés en dépit du fait que nous sommes inacceptables. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort ».

Amen

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Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre © France2

Lecture de la Bible

2 Corinthiens 12:1-10

Il faut se glorifier... Cela n’est pas bon. J’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur.

2 Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu’au troisième ciel (si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait). 3 Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait) 4 fut enlevé dans le paradis, et qu’il entendit des paroles merveilleuses qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer. 5 Je me glorifierai d’un tel homme, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes infirmités.

6 Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité; mais je m’en abstiens, afin que personne n’ait à mon sujet une opinion supérieure à ce qu’il voit en moi ou à ce qu’il entend de moi.

7 Et pour que je ne sois pas enflé d’orgueil, à cause de l’excellence de ces révélations, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m’empêcher de m’enorgueillir. 8 Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi, 9 et il m’a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. 10 C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses, pour Christ; car, quand je suis faible, c’est alors que je suis fort.

Traduction NEG