Pas là où on l’attend

(Matthieu 5:38-48)

(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous)

Culte du dimanche 10 janvier 2016
prédication du pasteur James Woody

Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)

 

La Bible n’est pas là où on l’attend

Chers frères et sœurs, mettons-nous dans la peau d’un policier en janvier 2016. Nous sommes à Paris, un homme vient à nous en hurlant et en brandissant un couteau de boucher. Que faire pour bien faire ? Convient-il de ne pas résister à cet homme manifestement méchant ? Ou alors une défense personnelle est-elle légitime quitte à lui tirer dessus avec notre arme de service ?

La Bible n’est pas là où on l’attend. A celui qui voudrait faire de la Bible le mode d’emploi de la vie, une fois de plus, nous constatons que la Bible elle-même oppose une fin de non recevoir. En effet, prise à la lettre, il ne fait aucun doute que pas un policier n’aurait dû résister à cet homme qui s’est rendu cette semaine au commissariat du XVIIIème arrondissement. Il ne fait aucun doute que tous les chrétiens auraient dû se laisser faire les uns après les autres. Les plus zélés auraient même tendu la carotide gauche après s’être fait tranché la droite. Les plus vaillants auraient même pu accompagner la suite du périple en ne manquant pas de le bénir après lui avoir laissé son manteau pour qu’il n’attrape pas froid chemin faisant.

L’ironie n’ayant que peu d’effet sur les personnes qui n’ont plus leur raison et qui prennent tout au pied de la lettre, qui ne sont plus à même d’apprécier le sens symbolique de la vie, des relations, des événements, des choses, des mots, constatons dans le texte même le critère à partir duquel une lecture littérale de ce passage n’est pas fidèle au texte biblique. Cette liste de situations se termine par une promesse : « vous serez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait (v. 48). » Cela signifie, objectivement, que cette liste est destinée à nous rendre parfaits, meilleurs, plus accomplis, excellents… et donc d’être. L’opposé de cette liste, ce n’est pas la médiocrité, mais le fait de ne plus être. Mourir, c’est précisément ce qui rendrait impossible cette perfection. Mourir au nom de ces versets en offrant aimablement notre gorge à notre ennemi serait ce qu’il y a de plus contraire à ce passage biblique qui souhaite ce qu’il y a de mieux pour nous, qui nous promet la perfection.

La Bible n’est donc pas le manuel du parfait chrétien. La Bible n’est pas un manuel, mais un livre. Mieux : une bibliothèque. C’est d’ailleurs ainsi que nous appelons ce recueil de textes. Bible… un terme qui vient du grec « ta biblia » les livres. La différence entre un manuel est un livre tient à ce qu’un manuel ne supporte pas l’interprétation. Il faut faire ce qui est écrit pour atteindre l’objectif. Un livre, au contraire, nécessite l’interprétation. Un livre requiert notre investissement personnel pour atteindre son objectif qui est de nous permettre de mieux penser notre vie. Un livre est conçu pour nous faire penser, pour nous faire rêver, pour nous faire aimer une vie bonne et juste. Un livre est fait pour élargir notre horizon, pour donner plus d’amplitude à notre existence. Un manuel est fait pour être suivi pas à pas. Un livre est fait pour être digéré, assimilé et traduit par une vie personnelle qui intègre notre liberté. La Bible est livre et non manuel, parce quelle témoigne de l’Eternel, de ce qui nous ouvre sur l’infini, sur l’au-delà de ce qui est déterminé, de ce qui est achevé. Seul un livre, au sens où je viens d’en parler, est en mesure de nous permettre d’accueillir l’Eternel qui est un dynamisme créateur et non une création. Le manuel nous offre les procédures, le livre nous révèle le processus. Le manuel nous donne le chemin qui mène à la destination souhaitée, le livre nous indique la destination et nous laisse libre de frayer notre propre chemin. La Bible n’est pas là où on l’attend parce que l’Eternel n’est pas là où on l’attend. Une fois de plus, il importe de dire que l’inattendu est la signature de Dieu.

Nous ne sommes pas là où on nous attend

Cela a une conséquence très directe : les croyants, eux non plus, ne sont pas là où on les attend. Bien entendu, on trouve des chrétiens dans les lieux de culte le dimanche matin. Mais ce n’est pas à cela qu’on reconnait un chrétien. Car un chrétien, lorsqu’il est fidèle à l’Eternel en qui il place sa confiance, n’est jamais tout à fait là où on l’attend. On lui demande une moitié de manteau… il en donne l’intégralité. On lui demande de faire un mille… il en fait deux. Le croyant ne se contente pas de faire ce qu’on lui demande parce que le croyant n’est pas un automate programmé. Ce n’est pas un esclave qui ferait ce qu’on lui demande à la lettre. De même qu’il interprète la Bible, il interprète ce qu’on lui demande à la lumière de ce qui lui semble excellent, parfait. Il coordonne ce qu’on lui demande à la volonté divine, à ce qui rend les êtres profondément humains.

Un professeur donne une liste d’exercices de mathématiques ? Le croyant en fait deux fois plus, non pas pour bien se faire voir aux yeux du professeur, mais pour bien intégrer le chapitre de mathématique étudié. Les exercices ne sont pas donnés pour enquiquiner les élèves, mais pour les faire progresser. A eux de progresser jusqu’à l’excellence, jusqu’à la perfection divine. Si un exercice suffit, c’est parfait. S’il en faut quinze, ce n’est pas un problème, mais le chemin personnel que l’élève aura frayé pour atteindre l’objectif.

Ne pas être là où l’on nous attend, c’est être libre, irrésistiblement libre de pouvoir faire mieux que ce qui est demandé. Etre libre, c’est ne pas se contenter de suivre la consigne, mais s’investir pleinement dans l’action en cours pour faire ce que d’autres n’imaginaient peut-être pas que nous serions capables de faire. C’est ce qui fait toute la différence entre un travail et une vocation : le travail consiste à effectuer des tâches, la vocation consiste à atteindre un objectif, à remplir une mission, à accomplir un projet qui ne se résume pas à une somme d’actions. Lorsqu’un professeur de français vous demande de faire une fiche de lecture, vous pouvez faire honnêtement votre travail en répondant aux questions qu’il a posées. Vous pouvez aussi décider de répondre de telle manière que vous donniez au professeur envie de lire le livre (non pas qu’il ne l’ait pas déjà lu, mais cela indique qu’aux bonne réponses, vous ajouterez de la conviction personnelle, vous rendrez disponible les sens du livre qui ne sera plus seulement un objet littéraire, mais une œuvre).

La spiritualité nous apprend à être libres de cette manière-là : libres de nous investir pleinement dans ce que nous faisons pour que notre travail soit une œuvre qui embellisse le monde, même modestement, même à notre échelle. Le seul fait que nous soyons libres est déjà un gain inestimable pour le monde entier car cela signifie qu’il reste un élément capable d’apporter de la nouveauté dans l’histoire humaine. Si vous vous contentez de faire ce qu’on vous dit de faire, si vous vous contentez d’être ce qu’on dit que vous êtes, alors le monde stagne, il ne bouge pas, il reste conforme à ce qu’il était. Dans ce cas le monde est stable, mais il est mort. A la suite de l’Eternel, soyons créatifs, injectons dans le monde ce que nous savons faire et faisons-le de la manière la plus excellente qui soit, pourvu que cela permette de rendre le monde plus vivable. Ne soyons pas là où on nous attend, mais surprenons notre monde, en bien !

Autrui n’est pas là où on l’attend

Surprendre son prochain, n’est-ce pas ce que nous propose de faire ce texte biblique ? Toutes les réactions qui sont envisagées visent à provoquer la surprise de celui qui nous interpelle. C’est une manière de nous faire comprendre que notre prochain vaut certainement mieux que ce qu’il nous demande. Il pourrait être question de la pudeur légendaire des protestants qui demanderont un petit bout de pain alors que cela fait trois jours qu’ils n’ont rien mangé, en feignant que tout va pour le mieux ou qui demanderont un bout de couverture alors qu’ils sont intégralement transits de froid. Mais cela va bien plus loin. Ici, Jésus nous invite à découvrir que notre prochain a des besoins autrement plus grands que ceux qu’il dévoile. Ce qui veut dire que notre prochain a une existence autrement plus grande que ce qu’il donne à voir. Notre prochain n’est ni seulement ce qu’il dit de lui ou nous montre, ni seulement ce que les autres disent de lui. Mais pour s’en rendre compte, il faut le provoquer, il faut le pousser dans ses retranchements, il faut le déranger, le déstabiliser, bouger ses lignes de défense. C’est ce que font les sages, ce qui aiment la sagesse, les philosophes. Socrate est très connu pour cela, c’est aussi ce que fait Jésus, à sa manière.

Soyons précis avec cette recommandation la plus sue et la moins connue : « si on te frappe sur la joue droite… » tends la joue gauche rétorquent tous ceux qui veulent finir la phrase de Jésus. Ce que dit Jésus est, au plus proche du grec « retourne lui aussi l’autre joue ». Retourner n’est pas sans faire penser à la techouva hébraïque qui dit la conversion, le changement. Jésus ne demande pas d’égaliser sur la joue gauche, mais d’introduire du changement, de retourner la situation. Ensuite, ce n’est pas la joue gauche qui est convoquée, mais l’autre joue, une joue différente. De l’altérité, de la différence… non seulement il n’est pas question de répliquer (parce que œil pour œil c’est un coup à finir tous aveugles comme disait Gandhi), mais il n’est pas question de se laisser martyriser sans rien faire. Ne pas résister, ce qui reviendrait à immobiliser la menace, mais agir de manière créative pour retourner la situation et permettre à notre adversaire de changer.

Certes, quand un fou furieux se précipite sur nous avec un couteau de boucher, nous n’avons pas facilement la possibilité de le déstabiliser au plus profond de son être et de le ramener à de meilleurs sentiments. Mais d’autres situations, moins dramatiques, offrent des possibilités qu’il peut être intéressant d’exploiter. C’est ce que raconte Paul Watzlavick, un spécialiste du langage, du discours. Il raconte qu’un homme se promène seul, le soir et se fait agresser. Un inconnu le menace d’un couteau pour lui soutirer son portefeuille. Notre homme garde son sang-froid et adresse la parole à son agresseur en ces termes : « je vois que vous êtes déterminé, courageux. A vrai dire, je n’ai pas beaucoup d’argent sur moi, mais je me dis que nous pourrions faire affaire ensemble : que diriez-vous si je vous payais une bonne somme d’argent pour tuer ma femme ? » Cela a eu de quoi déstabiliser l’agresseur qui a perdu ses repères, qui n’était plus sûr de lui, de ce qu’il voulait, de ce qui l’animait, et qui a laissé tomber sa violence pour repartir, changé. Il avait été désarmé par notre homme qui n’avait pas opposé une violence similaire –ce qui aurait engagé les deux dans une spirale de violence- et qui avait présenté un autre visage, lui offrant bien plus qu’un bout de sa tunique, ce qui a mis l’autre dans l’embarras, puis lui a permis de prendre conscience de ce que tout cela signifiait.

Ce que notre homme a fait, c’est d’aimer son prochain en le protégeant de lui-même et en lui permettant de se voir autrement. En lui faisant entrevoir le criminel qu’il ne voulait certainement pas être, il en est venu à rejeter aussi le délinquant qu’il devenait. Ne pas aimer seulement ce qui sont aimables, mais tous ceux sur lesquels l’Eternel fait lever son soleil de justice, c'est-à-dire l’humanité tout entière, sans exclusive, sans la moindre réserve. Bénir aimer, ce n’est pas qu’une histoire de bonnes paroles et de bons sentiments ; C’est laisser agir en nous la grâce divine qui nous rend capables de donner le meilleur de nous-mêmes. Voilà ce que nous apprenons dans ce livre-bibliothèque qui nous fait découvrir ce qu’est être humain, en nous laissant libre de mettre cela personnellement en musique.

Amen

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Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 08:22)

(début de la prédication à 08:22)

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Si vous avez des difficultés pour regarder les vidéos, voici quelques conseils.

 

Pasteur dans la chaire de l'Oratoire du Louvre - © France2

Pasteur dans la chaire de
l'Oratoire du Louvre
© France2

Lecture de la Bible

Matthieu 5:38-48

Vous avez appris qu’il a été dit: oeil pour oeil, et dent pour dent.

39 Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre.

40 Si quelqu’un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.

41 Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui.

42 Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.

43 Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi.

44 Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent,

45 afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.

46 Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les publicains n’agissent-ils pas de même?

47 Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire? Les païens n’agissent-ils pas de même?

48 Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait.

(NEG)