La sainteté et la folie, mais quelle folie ?(Lévitique 19:1-2, 17-18 ; Matthieu 7: 2-11)(écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo ci-dessous) Culte du dimanche 7 février 2016
Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)Ce texte n'a pas été relu par Frédéric Chavel, Vous avez entendu, mes amis, que nous avons partagé, que ce soit à travers l’Ancien Testament ou à travers le Nouveau Testament, des versets qui nous présentent la sainteté, et qui sont en même temps plutôt des versets de séparation. Vous avez entendu l’appel de Dieu : soyez saints car je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu. Mais aussitôt après, il y a la question de la réprimande, donc le fait que cet appel à la sainteté va avec une prise de distance par rapport aux erreurs. De la même manière, dans le Nouveau Testament, nous avons pu entendre ce verset : le temple de Dieu est saint et ce temple c’est vous, mais avec une prise de distance aussitôt après par rapport à la folie. Enfin, nous avons parcouru ce verset de l’Évangile de Matthieu et je m’appuierai particulièrement sur celui-là : « ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles aux porcs. » Quelle compréhension de la sainteté et du sacré (même s’il y a aussi un léger décalage entre ces deux termes, mais cela ne nous concernera pas aujourd’hui), quelle conception de la sainteté est proposée ici ? Cela renvoie à l’étymologie qu’il y a dans chacun de ces mots, dans la Bible aussi bien que plus largement en dehors du texte biblique. Les mots de kadosh en hébreu, hagios en grec, sanctus en latin et dans toutes les variantes possibles : tous ces mots qui traduisent une sainteté sont toujours conçus comme une prise de distance, comme l’établissement d’une différence, d’un écart entre la justice de Dieu et ce monde. Oui, le monde où nous vivons, le monde dont nous faisons partie, auquel nous appartenons, ce monde n’est pas le Royaume de Dieu et il est bien loin de sa justice, de sa paix. Il faut mettre à distance la sainteté de Dieu pour porter un regard juste sur ce monde. Une fois cela dit, cependant, nous pourrions avoir une tentation immédiate. Ce serait celle de considérer que l’appel à la sainteté qui nous est adressé signifie pour nous de nous placer du côté de Dieu en prenant nous-mêmes distance d’avec le monde. L’appel à la sainteté ne signifie-t-il pas de ne pas nous mélanger avec ces porcs, de ne surtout pas partager avec eux les biens et la sainteté que nous tiendrions de Dieu, nous qui serions, selon les paroles de Paul, le temple de Dieu, le temple saint de Dieu ? Alors ne faudrait-il pas que nous soyons attentifs sur cette ligne de démarcation entre nous et ce monde mauvais ? Il y a de cela dans le Lévitique, dans le Deutéronome mais aussi à certains passages du Nouveau Testament. Cette tentation n’est jamais très loin dans le texte biblique. Regardez par exemple ce verset du Deutéronome, chapitre 22, verset 9, qui indique que, lorsqu’on plante une vigne, il faut bien faire attention à ne pas mélanger la vigne avec d’autres plantations : tu ne sèmeras pas dans ta vigne une deuxième sorte de plante, est-il écrit, sinon tout deviendrait sacré, dans le sens de « tout deviendrait interdit ». On ne pourrait plus consommer ni la vigne ni les autres plantes : « à la fois ce que tu aurais semé et le produit de la vigne deviendrait interdit », et le mot qui signifie l’interdit est ici le mot de « sacré ». Oui, la question du sacré, dans le texte biblique, est souvent très proche de l’idée d’introduire des démarcations ; et, dans la symbolique de l’Église, ne pourrait-on pas aussitôt dire qu’il ne faut pas planter la vigne de l’Église ensemble avec ces autres plantes ou mauvaises herbes qui prolifèrent ailleurs ? La tendance est forte. Or il se trouve qu’il n’y a pas que cela dans la Bible, et surtout il n’y a essentiellement pas cela. Dans la Bible, on trouve essentiellement l’image d’une sainteté de Dieu que Dieu, lui, choisit de partager. Si donc Dieu affirme sa sainteté dans la différence du monde, ce n’est pas pour prendre ses distances avec le monde, mais c’est au contraire pour pouvoir d’autant plus offrir sa sainteté au monde. Ainsi est-il particulier et remarquable que ce verset de l’Évangile de Matthieu, chapitre 7, verset 6, qui dit de ne pas donner nos perles aux porcs, de ne pas livrer ce qui est sacré aux chiens, soit, contre toute attente, encadré par d’une part l’indication que nous n’avons pas à juger les erreurs de nos frères (l’idée de la paille et de la poutre) et, d’autre part, par l’indication qu’il faut donner de bonnes choses aux autres, comme un père donne de bonnes choses à ses enfants. La parole qui nous indique qu’il ne faut pas jeter nos perles sacrées aux porcs ou aux chiens prend donc nécessairement un sens tout autre. Comment associer les deux ? Comment associer le fait que Dieu nous donne une sainteté qui, comme telle, est à distance du monde, et le fait que Dieu nous invite, à son exemple, à tout offrir au monde ? Il y a ici une distinction à faire entre la sainteté et la sagesse, pour avancer d’un cran dans notre réflexion. C’est ce qui est proposé dans l’Épître aux Corinthiens. Aussitôt que Paul vient d’annoncer aux Corinthiens que « le temple de Dieu est saint et ce temple c’est vous », aussitôt il les met en garde sur le fait que cette sainteté ne ressemble pas à la sagesse des hommes. En quoi est-ce que cela nous apporte quelque chose sur la sainteté ? Dans ce monde, il y a des sages, et il y a des fous. On pourrait parler longuement là-dessus, il y aurait beaucoup à dire ; mais, en simplifiant un peu, on pourrait dire que le sage est habituellement aux yeux du monde celui qui est mesuré, pondéré, équilibré, tandis que le fou est celui qui a quelque chose de dissonant, d’excentrique, quelqu’un qui vit avec des repères différents. L’image, par exemple (mais c’est loin d’être le seul fou possible), du dictateur fou que nous avons, tous, seul contre les autres, Idi Amin Dada, Mouammar Kadhafi et autres. Le saint est-il plus proche du sage, de celui qui équilibre les choses, ou est-il plus proche du fou ? Il se trouve que, dans l’Épître aux Corinthiens, Paul ne nous dit pas que le saint est proche du sage ; mais il nous dit que le saint est proche du fou. Le saint est, selon Paul, celui qui fait ces changements de conception, qui le mène à totalement dissoner des conceptions raisonnables du monde. La sainteté est un chemin de folie qui nous fait tout à coup parcourir des voies nouvelles et étranges, que le monde ne reconnaît pas. Mais il y a ici une distinction supplémentaire à faire, en suivant l’enseignement de Paul. Paul distingue, à ce point-là, la folie du monde, folie humaine, et la folie de Dieu. Je dirais que la folie humaine ne consiste qu’à être humain, de manière plus radicale encore. Les humains ont tendance à être indifférents les uns aux autres ; les sages essaient de contrebalancer cette indifférence ; le fou, lui, est indifférent à l’extrême. L’humain a tendance à être agressif ; le sage essaie de tempérer cette agressivité ; le fou, lui, est agressif sans retenue. Les hommes ont tendance à penser qu’ils ont raison contre les autres ; le sage, lui, essaie d’écouter la part de vérité qu’il y a chez les autres ; le fou, lui, est absolument certain qu’il faut imposer sa certitude et sa raison aux autres. Autrement dit, les fous, aux yeux du monde, ont certes quelque chose qui ressemble beaucoup à la sainteté de Dieu, à savoir qu’ils se séparent du monde, mais se séparent du monde en étant encore plus humains, encore plus mondains. Vous avez, dans le monde, de ces fous du monde, qui d’ailleurs souvent se proclament saints ; je veux parler de ces fanatiques religieux, même si le fanatisme n’est évidemment pas le seul apanage de la religion. Mais parlons, en ce qui nous concerne, de ces fanatiques religieux, qui, évidemment, se revendiquent saints dans leur folie, mais dont la folie me paraît très humaine. Leur manière d’être fous consiste à être indifférents aux souffrances des autres, à libérer leurs pulsions d’agressivité sans contrebalancement, à être certains que leur voie est la bonne et que celle des autres devrait être corrigée. Oui, ils ont beau s’appeler saints, leur folie est véritablement toute humaine. La folie de Dieu est différente. La différence de Dieu, dans sa folie à lui, c’est que, contrairement aux hommes, il ne fait pas de différence. La différence de Dieu, c’est qu’il distingue sans diviser, là où nous séparons toujours. Ce que Dieu a d’unique, c’est qu’il ne s’isole pas ; ce que Dieu a d’extraordinaire par rapport aux hommes, c’est qu’il s’intéresse à nous, à notre normalité, à notre banalité, à notre ordinaire, comme dit un ami. Ce que Dieu a de supérieur par rapport aux autres, c’est qu’il sait être petit, c’est qu’il sait être vulgaire ; ce que Dieu a de raisonnable, c’est qu’il ne mesure pas son amour, ou qu’il sait les limites de ma raison. Oui, la folie de Dieu n’est pas une folie qui intensifie les tendances des hommes, mais au contraire une folie qui les contrebalance. C’est tout autre chose d’être un fou humain, qui n’est finalement qu’un humain, portant au paroxysme le péché, ou au contraire d’être, selon la folie de Dieu, quelqu’un qui est humain autrement, qui est humain avec amour. C’est là que la question de la sainteté devient toute différente. Lorsque Dieu nous dit « ne jetez pas vos perles aux cochons, ne jetez pas vos perles aux porcs », c’est tout près de la parole de Jésus sur le sel : ne perdez pas votre sel, vous en avez besoin pour le donner, pour l’offrir équitablement comme un père donne de bonnes choses à ses enfants. Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré : que ce ne soit pas dilapidé ; mais partagez-le, partagez-le pour ceux qui en ont besoin. C’est là que le mot de communion des saints prend tout son sens. Oui, contrairement à ce que l’on pourrait attendre dans un premier temps, même si la sainteté de Dieu se distingue du monde : la sainteté de Dieu se distingue du monde parce qu’elle vient vers le monde avec quelque chose de nouveau ; la sainteté de Dieu se distingue du monde parce qu’elle connaît la communion des saints, qu’elle connaît la communion dans l’amour. Alors soyons vigilants nous aussi : choisissons bien notre folie, choisissions bien notre sainteté. Non pas la pseudo-sainteté, celle des fanatiques de toutes les religions, qui croient que la bonne folie consiste à s’opposer aux autres, ces fanatiques de toutes les religions que je voudrais bien appeler les détestants. Ne devenons pas des détestants, ceux qui cherchent leur voie de justice en expliquant que l’autre a tort, ceux qui cherchent leur voie de sainteté en prenant leurs distances avec toutes ces choses affreuses qui se pratiquent dans le monde. Et cela, cette voie de la détestation, cette voie des détestants, elle existe partout. Elle est très humaine, elle n’est pas spécifiquement chrétienne : vous avez ces détestants de l’islamisme ; vous avez actuellement en Inde ces détestants de l’hindouisme qui sont contre une rencontre avec les autres religions, pervertissant ainsi le vrai bien de leurs traditions hindouistes ; vous avez aussi ces détestants dans le judaïsme ; et, oui, aussi chez nous, il a y des mouvements détestants. Ne revendiquons pas cette forme-là de sainteté. Ce que la Bible nous fait découvrir, c’est que la sainteté ne consiste pas à prendre distance des autres, mais que la sainteté consiste à aller vers les autres. Revendiquons cette folie divine de ne pas exclure, cette folie divine de ne pas rejeter. Désirons la rencontre de Dieu chez le plus petit d’entre mes frères. Amen. Grand merci à Mélanie d'avoir saisi ce texte à partir de l'enregistrement. Vous pouvez réagir sur cet article du blog de l'Oratoire,
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Pasteur dans la chaire de
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Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 08:56)(début de la prédication à 08:56) film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot Si vous avez des difficultés pour regarder les vidéos, voici quelques conseils. |