Confirmation : un Joker en jeu(Actes 3:1-10) (écouter l'enregistrement - culte entier - voir la vidéo) Culte du jour de Pentecôte 2014 à l'Oratoire du Louvre Chers frères et sœurs, la vie est un jeu de cartes. Chaque année est composée de 52 semaines/cartes qui se regroupent en 4 saisons/couleurs. Et chaque année ça recommence. La vie est un jeu de cartes. Et si nous utilisions encore un calendrier lunaire comme c’était le cas aux temps bibliques, nous aurions 13 mois, le nombre de cartes par couleur, 13 mois de 28 jours. La vie est un jeu de cartes, dont la somme des valeurs d’une couleur est 91, comme la valeur d’un jeu de tarot dont certains se servent pour dire ce qu’est la vie. La vie est patience, elle est coup de bluff, c’est parfois belote et rebelote, souvent une bataille (ouverte ou fermée et pas uniquement corse). La vie est un jeu de cartes aux combinaisons déterminées, que l’on peut mettre en schéma. La vie est un jeu de cartes qui a des allures de déterminisme, comme pour cet homme, infirme depuis toujours, que l’on installe, inlassablement, chaque jour, à la porte du Temple dite la « Belle porte », celle qui donnait accès au parvis des femmes. Cet homme qui a manifestement des problèmes de chevilles et ne peut se tenir debout est donc impur et n’a même pas le droit d’accéder à la partie où les femmes pouvaient se rendre, partie qui est à distance du parvis plus sacré. Pour lui, c’est un jour sans fin, un recommencement à perpétuité. La vie est un jeu de cartes. Du moins peut-elle n’être que cela. La vie n’est qu’un jeu de cartes pour ceux qui se contentent de cela et ne se posent pas beaucoup de questions. Par exemple, la vie n’est qu’un jeu de cartes pour ceux qui se contentent de penser qu’une année, c’est 52 semaines de 7 jours, ou encore qu’une année c’est 13 mois de 28 jours. Nous pourrions tout aussi bien dire qu’une année, c’est quatre saisons et je vous ai dit qu’une saison, une couleur, a une valeur de 91 points. 52x7=13x28=91x4=364. 364 jours ! voilà ce qu’est une année pour ceux qui se contentent des choses telles qu’elles sont, pour ceux qui n’interrogent pas la vie, qui ne posent pas de questions sur la manière de vivre, sur les institutions, sur les dogmes, sur les usages. Voilà ce qu’est la vie pour ceux qui subissent, qui courbent l’échine, qui acceptent les choses en l’état, qui avalent gentiment les couleuvres qui leur sont servies : la vie n’est pas toute la vie… c’est une vie en sous-régime. C’est une vie dont les années ne font que 364 jours ! Mais… il y a le Joker ! Le Joker rompt avec la pensée figée« De l’or Mes Seigneurs », implore l’infirme qui ne peut même pas se tenir à la Belle porte. Mais le Joker est là : « je n’ai ni or, ni argent » répond Pierre, moyennant quoi il ne fera pas de veau d’or, contrairement à Aaron qui avait pris dans ses mains l’or du peuple hébreu qui ne pouvait plus avancer dans le désert de sa liberté (Ex 32/3-4). Savez-vous qu’en hébreu « main » (yad) et « or » (zahav) ont la même valeur numérique ? 14. Mais le Joker, lui, n’a aucune valeur, ce qui lui permet de les avoir toutes. Et donc d’avoir la bonne, au bon moment. Pas de veau d’or pour les apôtres, autrement dit pas d’idolâtrie, pas de pensée figée, pas de certitude gravée dans le marbre. Mais ce qu’ils ont, il le lui donne : le Joker ! Le Joker, Jésus, qui n’a jamais considéré que l’habit faisait le moine ou qu’il était possible d’avoir un avis définitif sur tout (les choses, les personnes, les situations). Le Joker entaille la réalité figée pour faire un peu de place au réel. Car derrière l’apparence du mendiant se cache un homme, un homme pour le moment encore un peu difforme, mais ce n’est pas un sous-homme : c’est un homme en devenir. Il en est encore à l’adolescence de sa vie. Il n’a pas fini sa croissance, en tout cas à l’intérieur. Personne ne sait cela. Tout le monde pense qu’il n’est que cela, que ce qu’il montre ou que ce qu’on veut en voir. Mais Pierre et Jean on été à bonne école. Ils ont fait leur catéchisme auprès du Joker Jésus, le nazoréen. Et ce Joker a suscité chez eux la passion de la vie, le goût des autres, la capacité à voir le réel par delà les réalités immédiates. Ils ne se laissent pas impressionner par les réputations, par les « on-dit-que », par les postures. Ils savent que nul n’est figé à une valeur. C’est le Joker qui le leur a révélé. Ils savent la valeur relative des institutions, des statuts sociaux, des fonctions ou des places qu’on occupe. Alors, quand ils voient quelqu’un, Pierre et Jean, en bons apôtres de Jésus, rejoignent le cœur de la personne (ce que l’Esprit de Pentecôte révèle comme chose possible) et ils cassent tout ce qui l’empêche de vivre, toutes ces fausses certitudes qui le coincent dans une vie étriquée. Ils lui font comprendre qu’il n’est pas un bon à rien et ils l’autorisent à marcher. Lui l’infirme informe a, en fait, les chevilles fermes, aussi fermes que celles des Hébreux entrant en terre promise (Jos 3/17). Le Joker aura donc permis à l’exclus de faire son entrée dans la terre qui ne lui était pas permise à cause des joueurs de cartes à qui il manque un jour : le premier jour du reste de la vie. Le Joker décoince la vie de l’infirme. Il décoince son jeu. Le Joker rompt les lignes de démarcationLe Joker fissure la pensée figée, il brise aussi les lignes de démarcation. Regardez bien ce que fait Pierre : il prend la main de l’homme infirme et donc impur. Il est d’autant plus impur que c’est un infracteur. En effet, il était chaque jour porté puis installé à une porte de l’enceinte du parvis du temple, donc même le jour de Shabbat, ce qui est interdit ! C’est à cet homme que Pierre donne la main, à ce hors la loi. Nous pourrions y voir de la justice restaurative, nous pouvons y voir, à tout le moins, une transgression des frontières religieuses de l’époque. Car le Joker n’a que faire des frontières, des limites, qui parquent les hommes comme le bétail. En faisant accéder l’homme jusqu’à la colonnade, là où Jésus enseignait, Pierre et Jean jouent leur Joker : ils se moquent des conventions : ces conventions qui sont le véritable handicap des personnes. Bien des règles, bien des conventions, bien des lois sont nécessaires, utiles pour permettre la vie commune, jusqu’au moment où elles écrasent l’humanité, où elles empêchent notre humanité de s’exprimer. D’ailleurs, plutôt que de dire que l’homme entre dans l’enceinte du temple, nous pourrions dire que le temple s’élargit jusqu’à lui. Car c’est le même homme qui était exclu et qui est maintenant à l’intérieur. Oui, lui a changé son regard sur lui-même, le Joker lui a redonné confiance contre la fatalité qui s’était abattue sur lui depuis son premier âge, mais le temple aussi a changé, puisque c’est le même homme qui est maintenant accueilli alors qu’il était jusque là banni. La frontière s’est déplacée. Pierre et Jean manifestent que les critères d’accès au temple de l’époque sont caduques. Ils montrent que les discours sur les purs et les impurs, les dignes et les indignes, ceux qui entrent et ceux qui restent dehors sont caduques. Les lignes bougent, selon l’enseignement du Joker, qui, n’ayant aucune couleur, les as toutes. Il peut être faible avec les faibles, sans-loi avec les sans loi, Juif avec les Juifs, chômeur avec les chômeurs, pour sauver ce qui peut l’être (1 Co 9/22). Comme nous le disait l’évêque John Spong mercredi dernier, Jésus n’est pas venu pour faire des chrétiens, au sens d’invidus qui seraient inféodés à une chapelle particulière. Le Joker casse les murs de séparation, il franchit les frontières qui divisent, il transgresse les clivages. Non, la confirmation ou le baptême à l’Oratoire ne sont pas des condamnations à être Oratorien toute sa vie. La foi chrétienne est bien plus vaste que cela. Etre chrétien, être disciple de Jésus, c’est être profondément humain, dans tous les domaines de notre vie, sans ces fichues barrières qui bloquent les progressions. Quand vous serez aux responsabilités, vous ne serez pas fascinés par les diplômes ou l’absence de diplôme des candidats que vous recruterez. Vous ne serez pas sidérés par un casier judiciaire qui n’est plus vierge ou par des titres gloire en pagaille. Quant au délit de faciès, vous vous efforcerez de vous rappeler que l’infirme ne devait pas être beau à voir avant que le Joker fasse son œuvre et attire tous les regards sur cet homme remis debout, ressuscité. Le Joker nous rend actifsCar, bien entendu, vous avez désormais votre rôle à tenir dans ce jeu de la vie. C’est ce que nous vous avons exprimé en vous accueillant comme membre de l’Eglise. Non seulement le Joker ressuscite en nous l’humanité abîmée, mais il nous rend capables d’être agents de résurrection. Pierre et Jean ont pris la succession de Jésus et cet homme jusque là infirme, se met, à son tour, à faire le Joker. Le passage biblique se termine sur la description de personnes stupéfaites et désorientées, hors d’elles-mêmes. C’étaient déjà le cas à Pentecôte. Ca recommence ici. Les témoins de la scène sont bousculés, désorientés ; ils sont donc en mesure de changer d’orientation, de prendre un virage, un nouveau départ, d’ajouter un jour à leur vie qui va les sortir du jour qu’ils vivent en boucle. Un nouveau travail ? un départ à l’étranger ? un autre loisir ? un changement de coupe de cheveux ? Le Joker nous permet d’agir en faisant une place dans le jeu. Là où tout était bloqué, il introduit une nouvelle possibilité, un nouvel espace de liberté, ce qu’en mécanique on appelle du jeu, justement. Le Joker ajoute du jeu au jeu. Je pourrais tout aussi bien dire que le divin ajoute de la vie à la vie. Le Joker nous offre un D-Day, jour de la décision, ce que d’autres appellent la conversion, que certains peuvent identifier à l’heure près. Prendre la décision de vivre. Prendre la décision de ne pas subir. Prendre la décision de ne plus traîner la patte. Donner toute sa démesure. Faire comme David auprès de l’arche (2 S 6/16) : exulter, de tout son corps, de tout son être. « Je danse donc je suis », écrivait Rabbi Nahman de Braslaw. Le Joker crée un mouvement, une dynamique, une chorégraphie de la vie, qui transcende les postures, les conventions, les situations enkystées. La foi chrétienne, c’est cet attachement viscéral au fait que des Jokers traversent l’histoire pour que les hommes ne s’assoupissent pas dans leurs certitudes. Nous vous avons pris par la main, nous vous avons amené au cœur du temple, vous avez reçu l’équipement pour être Joker. A vous de jouer, maintenant ! Yallah ! Vous pouvez réagir sur le blog de l'Oratoire |
Pasteur dans la chaire de
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