Bulletins de l'Oratoire > N°796 de Septembre 2013

 

Dans ce dossier :

Le culte, les sacrements

culte dans l'OratoireL’essentiel, entend-on parfois, est d’être gentil avec les autres. C’est vrai que c’est essentiel, mais notre ambition pour l’être humain est plus large que cela. C’est pour un petit chien que notre plus haute ambition se limite à ce qu’il soit gentil. Pour l’être humain, notre ambition est bien plus ample, elle s’ouvre à l’espérance que la personne ait la capacité à avoir un point de vue personnel sur le monde et sur la justice, cette seconde ambition nous est commune avec tout penseur de bonne volonté. Notre ambition pour l’être humain s’élève encore dans l’espérance d’une relation personnelle avec la transcendance, ce qui nous est commun avec tous les croyants de toutes sortes, même si pour nous cette transcendance est celui que Jésus-Christ a appelé « mon Père et votre Père ».

Dans ce qui est essentiel… il n’y a ni la religion, ni le culte, ni les sacrements. Et c’est dans la droite ligne de notre chef, Jésus-Christ qui a dit « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat. » (Marc 2:27). C’est ainsi qu’en ce qui concerne la religion nous pouvons, nous devons même, être très pragmatiques et ajuster ce qui nous convient le mieux comme actes religieux à un moment donné de notre existence. Ce ne sera pas forcément ce qui est le plus évident pour nous, mais ce qui, à l’usage, construit l’humain en nous, l’humain au sens où le Christ l’incarne. À chacun de choisir ce qui semble le meilleur pour lui-même et pour ses enfants, puis d’évaluer au fil des ans notre évolution pour mieux ajuster les moyens utiles. Le rythme de la pratique. L’usage de tel sacrement pour marquer des étapes et poser des jalons. À chacun d’ajuster le dosage entre la pratique en assemblée en famille ou intime « dans sa chambre porte fermée » ou « dans un lieu désert » comme le dit Jésus. La bonne église, la paroisse, le culte qui nous conviennent, les formations bibliques et théologiques, les temps de retraite, la lecture de tel livre, la recherche sur internet, la Bible, la prière le matin, le soir, ou sous la douche… C’est pourquoi nous avons préparé ce dossier avec le témoignage de personnes diverses.

 L’acte religieux, selon Jésus, n’est donc pas une finalité, il doit rester un moyen au service de la genèse de l’homme. Nous avons un bon résumé de ce qu’est l’humain en pleine forme dans ce fameux résumé de la Loi que nous donne Jésus : « Écoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur, Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force. Et voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Marc 12:29-31).

La religion est fondamentalement une aide pour nous mettre à « l’écoute de l’Éternel notre Dieu ». Ce n’est pas inutile de nous donner délibérément les moyens de nous entraîner à cela pour mieux aimer Dieu et être ainsi plus bienveillant et bienfaisant en ce monde (nous y revoilà). Comme toute relation et faculté humaine (la forme physique, l’intelligence, la musique, la prière et la foi…) une pratique régulière adaptée à la personne est le seul moyen pour améliorer sa forme. Notre amour pour Dieu s’enrichit de l’écoute. Il n’est pas nécessaire d’avoir déjà entendu Dieu ni d’avoir senti sa présence…. pour l’écouter.

L’amour pour Dieu est ici au singulier, c’est une réalité intime, profonde, infiniment individuelle. Mais Jésus parle de « l’Éternel notre Dieu » et non pas seulement de l’Éternel ton Dieu. Jésus évoque aussi Israël, le peuple formé par les personnes qui écoutent l’Éternel. La finalité est bien ici que chacun, individuellement puisse grandir dans son amour pour Dieu. L’écoute de Dieu est aussi individuelle dans notre cœur, notre pensée et notre réflexion personnelle, dans notre âme, dans nos actes enfin. Mais Jésus nous invite ici, parce que c’est bon pour nous, à ce que l’écoute de Dieu soit au moins en partie collective, en peuple assemblé dans l’écoute. Car avec les autres, si semblables et si différents, nous avons plus d’idées et nous risquons moins d’être trop arrêtés sur nos certitudes. Et puis les autres aussi ont besoin de nous, ne serait-ce que de notre présence, signe de notre écoute, signe de notre reconnaissance d’un intérêt que nous leur portons. Rassemblés, nous prenons conscience que nous ne sommes pas seuls, et c’est une force et un soulagement. Certes nous sommes un individu essentiel aux yeux de Dieu, mais nous sommes aussi fondamentalement un Israël formé par l’écoute de Dieu, un peuple en chemin pour franchir les déserts. Nous sommes un peuple formé de centaines de générations de personnes en débat, un peuple formé par les quelques personnes rassemblées un dimanche, par deux personnes qui discutent, un groupe d’enfants au catéchisme, une maman qui apprend à son enfant à prier.

Marc Pernot

Le sens du culte

Le culte protestant est dominé par la réalité de la grâce. À son début, on y déclare : « La grâce et la paix vous sont données... ». En son centre, il y a les paroles de grâce ou de pardon. La bénédiction finale affirme que la grâce de Dieu nous accompagne. La grâce divine est ainsi la réalité initiale, centrale, ultime de notre vie et de notre culte.

La liturgie n’est pas l’expression de la seule tradition, là où la prédication serait celle de l’actualisation. La liturgie aussi s’inscrit dans l’actualité d’une assemblée, comme en témoignent, par exemple, la salutation qui ouvre le culte, puis les annonces, la collecte, la prière d’intercession. Quant à la prédication, elle apporte certes une actualisation du message biblique, mais elle s’inscrit dans une histoire qui la dépasse infiniment ; elle a même une dimension rituelle : commentaire fidèle d’une Écriture dont la lecture appartient déjà, par sa dimension orale, à ce sermon - introduction par « Chers frères et sœurs » - conclusion par « Amen » - un certain ton. Tout cela obéit à une tradition.

Une tentation très protestante consiste à donner à tout le culte une dimension homilétique, faisant de chaque élément de la liturgie une sorte de mini prédication et de catéchèse perpétuelle. Cela fatigue, épuise le fidèle qui a besoin de recueillement et de paix. Il faut savoir garder aux textes liturgiques un caractère non discursif, un ton et un style méditatif de simple adoration. À cet égard, le silence qui prolonge, à l’Oratoire, la prière située entre la lecture de la Bible et la prédication, prière qui n’est pas conclue par « Amen », a une densité considérable. C’est un temps fort de la liturgie. Ce silence exprime notre prière la plus profonde, à la fois personnelle et communautaire. Quant à la prière d’intercession n’est-elle pas plutôt une prière avec les autres que pour eux ? On lira à son sujet le remarquable texte ci-joint écrit par le pasteur James Woody ; il en souligne toutes les difficultés m’épargnant d’y insister à mon tour.

Cela dit, le sacrement, communion ou baptême, quelle que soit sa fréquence, peut avoir, lui également, il est vrai, une dimension homilétique. Ne parle-t-on du verbum audibile pour le sermon et du verbum visibile pour la cène ? C’est là une manière suggestive d’en dire et la solidarité et la complémentarité.

On ne saurait sous-estimer le rôle décisif joué par la musique et les chants dans nos cultes. La musique parvient à dire ce que nos paroles sont si souvent incapables de faire entendre. Elle parvient à exprimer l’inexprimable. On a parfois le sentiment que l’orgue apporte un meilleur commentaire de la Bible que celui donné par la prédication. J’ai vécu des cultes qui avaient été, en quelque sorte, sauvés par l’organiste tant la prédication et la liturgie y avaient été lamentables. Le chant a aussi l’avantage de permettre une vive participation des fidèles. Avez-vous remarqué qu’en comptant les cantiques « spontanés » il y a 9 chants dans le culte de l’Oratoire et plus encore quand la cène est célébrée ? Les cantiques, eux aussi, parlent et nous parlent. Connus et reconnus, nous les avons intériorisés et les chanter est alors une manière de traduire notre vie de foi qui embrasse toute notre existence. Un cantique et le Notre Père dit en commun peuvent être une vraie confession de foi rendant cette dernière presque redondante.

Le triptyque (volonté de Dieu - confession du ou des péchés - paroles de pardon), apporte dans le culte quelque chose d’unique : la lecture de la loi ; elle ne figure pas, en effet, dans la liturgie catholique, orthodoxe, ni dans la tradition luthérienne. C’est donc là un moment spécifique du culte réformé, même si ce triptyque ne me paraît peut-être pas indispensable chaque dimanche, surtout quand le culte s’annonce assez long.

Une dernière remarque : on n’entre au culte que pour en sortir. Notre vie de croyant étant un culte plus important que celui célébré dans nos temples. Joindre les mains, c’est rejoindre les autres.

Laurent Gagnebin

Prière d’intercession

S’il est une partie du culte qui me met mal à l’aise, c’est bien la prière d’intercession. Si souvent catalogue de tous les malheurs du monde, de tout ce qui ne nous plaît pas, de tout ce qui nous révolte, nous attriste, cette prière me donne le sentiment qu’elle est une sorte de sac dans lequel nous mettons le linge sale humain pour que Dieu en fasse le nettoyage. Dans ce cas, ce n’est pas autre chose que se laver les mains en ayant bonne conscience d’avoir eu une pensée pour ceux qui sont dans le besoin. Que signifie le fait de prier Dieu d’intervenir sur telle situation en Syrie, pour telle personne en Egypte ? Qu’il ne saurait pas ce qu’il a à faire en faveur de la Création ? Ou, pire, qu’il attendrait que je lui donne le feu vert pour intervenir ? Dans ce cas, est-ce encore au Dieu de Jésus-Christ que l’on s’adresse ? J’en viens aussi à me demander si la prière d’intercession n’est pas conçue comme le temps où l’on organise l’emploi du temps de Dieu en dressant ses priorités pour la semaine à venir.

Il me semble que ce n’est pas tant Dieu que l’homme qui a besoin d’être alerté sur les situations pour lesquelles il faut intervenir. Et s’il nous apparaît important de porter une personne, une situation devant Dieu, c’est pour l’entendre nous dire comment nous pouvons nous-mêmes agir, réagir pour que ce soit bien sa volonté qui se réalise et non la nôtre. Le silence et l’écoute d’une parole autre que la nôtre a, dès lors, toute son importance. Plus que la prière que l’homme adresse à Dieu, l’intercession devrait être comprise comme la prière que Dieu nous adresse.

James Woody

Le ministère de la Parole : une approche luthérienne

Les réformateurs s’accordent à dire que les deux marques par lesquelles on reconnaît la vraie Eglise sont la proclamation de la parole et l’administration des sacrements conformément à l’Evangile. Selon la Confession d’Augsbourg, la confession de foi luthérienne la plus importante, Dieu a lui-même institué le ministère de la Parole (art. 5). Les deux piliers de ce ministère, la prédication et les sacrements, ne sont pas seulement une nourriture spirituelle fortifiant la foi. Il s’agit de moyens de salut par lesquels le Saint-Esprit suscite la foi et donne la grâce. C’est par la prédication et les sacrements qu’on reçoit la grâce justifiante dans la foi. Prédication et sacrement sont d’égale valeur car ils ont le même effet. L’une est parole audible, l’autre parole visible. Selon Bonhoeffer, ils s’adressent à l’être humain dans sa totalité : à sa raison (prédication) et à sa nature (sacrements).

Dieu a confié le ministère de la Parole à son Eglise. Le sacerdoce universel supprime toute différence entre le ministre et les laïcs. Le sacerdoce universel n’est pas un ministère en lui-même mais constitue l’existence chrétienne. Nous sommes tous appelés à être les témoins de l’Evangile, en parole et en actes. L’Evangile n’est pas une affaire privée, il s’adresse au monde, à tout le monde. La bonne nouvelle veut être proclamée publiquement. Il incombe à la communauté des croyants à proclamer publiquement la Parole par la prédication et les sacrements.

Mais la vocation universelle ne fonde pas l’universalité du ministère. Même si tous les chrétiens ont le pouvoir de proclamer l’évangile personne n’a le droit d’usurper l’exercice public du ministère de la Parole. Que faut-il éviter ? Luther l’explique en se servant d’une comparaison misogyne : « Si nous nous mettions tous à prêcher cela serait un peu comme quand les femmes vont au marché : aucune ne veut écouter les autres, elles veulent toutes parler ». Luther reconnaît donc à la communauté chrétienne le droit et la tâche d’en charger ceux qu’elle trouve aptes et qui ont reçu par Dieu une certaine intelligence et des dons. Pour que la proclamation publique se fasse dans de bonnes conditions (régulièrement, de manière accessible, conformément au message biblique) et dans l’ordre, elle est exercée par des personnes qui ont « reçu une vocation régulière » (art. 14 de la Confession d’Augsbourg), auxquels l’Eglise a permis de proclamer l’Evangile en son nom. Comme le dit le théologien allemand Härle : Le pouvoir est donné à tous mais la communauté donne l’autorisation à certains.

La vocation régulière est l’acte par lequel un chrétien reçoit les droits et les devoirs liés à la proclamation publique. Elle consiste généralement en l’ordination. Cet acte liturgique confie au futur pasteur – qui a acquis une véritable compétence théologique au cours de ses études - le service public de la prédication et de l’administration des sacrements. Selon Luther, l’ordination est même accompagnée d’un don particulier de l’Esprit - sans pour autant altérer la personne de l’ordonné (comme dans la conception catholique). L’ordonné peut avoir confiance : il sera guidé. C’est une promesse qui ne le quittera plus (pas de réordination).

L’ordination est un acte liturgique réservé aux futurs ministres de la Parole. Il convient de trouver d’autres actes liturgiques afin de valoriser les fonctions des laïcs. Ainsi, les prédicateurs laïcs, qui ont aussi reçu une certaine formation théologique, ne sont pas ordonnés mais installés. Ils exercent aussi le ministère public de la Parole (qui est un) mais pas dans toute son étendue (comme les pasteurs). Dans l’EPUdF, inspection luthérienne de Paris, ils ne célèbrent pas la Cène.

En 2006, l’Eglise luthérienne d’Allemagne (VELKD) déplore le flou qui s’est installé dans l’interprétation de l’article 14 qui a résulté en des pratiques diverses dans les Landeskirchen : dans quelques-unes, les pasteurs proposants peuvent prêcher comme ils l’entendent mais ne sont pas autorisés à administrer les sacrements ; dans d’autres, on les autorise à administrer les sacrements sous la responsabilité d’un pasteur mais, de fait, ils le font de manière autonome. Qui plus est, la nécessité de charger partout des prédicateurs laïcs de diverses tâches n’a pas été accompagnée d’une réflexion sur le rapport entre ce service et le ministère pastoral. Dans certaines églises luthériennes allemandes, ils peuvent avoir une délégation leur permettant de célébrer la Cène. L’Eglise luthérienne d’Allemagne va justifier cette pratique en affirmant que la délégation est une forme de la vocation régulière selon l’article 14 de la Confession d’Augsbourg.

La théologie luthérienne a toujours insisté sur l’unité du ministère de la Parole. Encore en 1991, l’Eglise luthérienne d’Allemagne affirme que le ministère unique, c’est le ministère pastoral, dont les autres ministères seraient les conséquences (par exemple le ministère épiscopal). Une telle position est difficilement conciliable avec la doctrine réformée des ministères à valeur égale et fondée sur la diversité des dons de l'Esprit.

Le ministère pastoral assure donc le service public de la prédication et de l’administration des sacrements. Toutes les autres tâches (le pasteur comme manager, etc.) sont secondaires et à subordonner à cette tâche essentielle. Le ministère pastoral est une conséquence du ministère de la parole donné à tous les chrétiens. Il est au service du sacerdoce universel. Les non-ordonnés doivent respecter le fait que l’Eglise charge certains du ministère en les ordonnant - sans pour autant abdiquer leur droit sacerdotal de critiquer l’Eglise au niveau de sa doctrine et de ses pratiques.

Nicola Stricker

La Cène au temps des Réformes

Au sein de l’Eglise médiévale, la cène se comprend à la lumière des paroles du Christ au soir de la pâque : « Faites ceci en mémoire de moi ». La cène est donc, déjà, perçue comme une commémoration, ainsi qu’elle le sera chez les Réformateurs, mais il s’agit d’une commémoration qui s’inscrit dans un contexte plus large : celui de la présence, bien réelle aux yeux des médiévaux, du Christ crucifié et ressuscité au croyant, à son Eglise et au monde. Dans ce contexte, l’Eglise se soucie de préciser le mode de cette présence ; ce sera chose faite lors du Concile de Latran IV (1215) : la présence du Christ y est alors interprétée au moyen des catégories de la philosophie aristotélicienne et, en particulier, des concepts d’« essence » et d’« accident ».

Que faut-il entendre par là ? Prenez un chat, peignez-le en bleu, affublez-le d’une casquette et de lunettes de soleil, il restera toujours un chat. Prenez ce même chat peu après sa naissance puis au soir de sa vieillesse. Malgré les changements de forme, les difficultés de l’âge ou les changements de la texture de son poil, il s’agira toujours du même chat qu’au moment de sa naissance. Cet « invariant » dans un être, c’est ce que l’on appelle son « essence » (ou sa « substance »), alors que sa couleur, la texture de son pelage ou le fait qu’il ait ou non perdu sa queue en traversant la rue sont ce que l’on dénomme des « accidents ». Reprenez votre chat, une fois peint et déguisé : il n’aura subi que ce que l’on qualifie de « transformation ». Or, selon les pères conciliaires, c’est exactement l’inverse qui se produit avec la cène ; tous les signes visibles du pain demeurent (goût, odeur, forme, texture etc.), mais son essence, elle, change : c’est le Christ qui est là, présent, dans, avec et sous l’espèce du pain. Ce n’est donc pas une « transformation », un changement des accidents, mais bien une « transsubstantiation », un changement de la substance, de l’essence du pain.

Martin Luther ne remettra pas en cause l’idée que le Christ est réellement présent dans la cène. Sa compréhension du sacrement consiste alors surtout à mettre en évidence l’importance de la foi qui vient accueillir le sacrement. Il s’agit donc de remettre en valeur le fait que la cène est avant tout l’incarnation de la promesse de Dieu pour les croyants. Par conséquent, la critique de Luther à l’endroit de la compréhension médiévale de la cène porte surtout sur la doctrine de la transsubstantiation que nous venons de présenter et qui lui apparaît comme la fille illégitime de l’Ecriture et de la « Putain Raison » – entendez : la philosophie d’Aristote.

 Le Réformateur de Zurich, Ulrich Zwingli, soulignera lui aussi cette perspective, insistant sur le rôle du sacrement comme acte de foi. Mais, en 1524, il reprendra la question de la présence réelle sous l’influence d’un correspondant hollandais. Cette nouvelle lecture aboutira à une accentuation de la fonction symbolique du sacrement, toujours perçu comme une commémoration, mais dépourvu cette fois de toute réalité quant à la présence du Christ dans les éléments. Pour Zwingli, s’il y a présence du Christ, c’est en nous, par le biais de son Esprit, et il ne saurait être question de définir un moment privilégié de cette présence – comme la cène, par exemple. De plus, cette compréhension des choses se double d’un refus catégorique d’un mélange des réalités spirituelles et physiques. De ce point de vue, le passage scripturaire-clé est pour le Réformateur de Zurich le verset de l’Evangile de Jean : « C’est l’Esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien » (Jn 6,63).

La réaction de Luther à cette perception du sacrement sera catégorique. La présence du Christ au monde, donc notre salut, s’incarne bel et bien dans le pain mais de manière paradoxale. Le salut se rend présent au fidèle, de lui-même, sans que ce dernier ne puisse y faire quelque chose : « quand même Dieu me mettrait sous les yeux des pommes de bois, en me disant : prenez et mangez ! je n’aurais pas le droit de balancer un instant », affirme ainsi le réformateur saxon. Malgré les tentatives de conciliation, le divorce sera consommé lors de la rencontre de Marbourg, en 1529, à l’issue de laquelle Luther refusera de serrer la main de Zwingli, lui lançant : « nous n’avons pas le même esprit. »

Il faut bien comprendre que l’objectif de Luther n’est pas de défendre la tradition de l’Eglise mais bien de ne pas remettre en question le caractère proprement extérieur du salut. Si l’on prétend, comme le fait Zwingli, que le Christ est en nous par l’effet de l’Esprit, on risque alors de nier le fait que la grâce, qu’incarne le sacrement de la cène, est un don, purement extérieur à l’homme. De plus, considérer qu’il n’y a là qu’un simple « faire mémoire » implique que la cène risque de redevenir une « œuvre » à accomplir, avec toute la portée négative que ce terme peut revêtir au sein de la théologie réformatrice.

Derrière ces points de vue, se cache aussi un désaccord christologique et théo-logique au sens fort : pour Luther, le Christ est présent au monde et Dieu agit dans ce monde. Selon Zwingli, en revanche, Dieu respecte les règles de ce monde et ne peut pas décider de faire que le pain devienne autre chose que du pain. Il y a donc là deux conceptions fondamentalement différentes qui s’affrontent et qui se trouvent à l’origine de deux voix de compréhension possibles du sacrement, encore aujourd’hui : d’un côté l’affirmation de la capacité de Dieu à intervenir dans le monde, de l’autre le refus de tout supranaturalisme.

Au travers de ces divergences de vues, qui ne seront vraiment résolues qu’au XXe siècle avec la Concorde de Leuenberg de 1973, c’est aussi une conception différente de la Bible qui se fait jour derrière les points de vue des Réformateurs. Pour Luther, le Christ, le soir précédant sa mort, a dit « ceci est mon corps » et il faut le croire. Pour Zwingli, il faut au contraire essayer de concilier ce texte avec d’autres affirmations, dont celle de Jean 6. C’est sans doute là la raison du caractère plutôt violent du désaccord entre les deux hommes et de son retentissement. Car c’est bien au final la compréhension du principe même du « Sola Scriptura », si cher à la Réforme, qui se trouvait au centre du débat, ce qui souligne bien le fait qu’affirmer l’autorité de la Bible au sein du protestantisme ne saurait nous dispenser d’une réflexion sur son interprétation.

Pierre-Olivier Léchot

Témoignages de paroissiens

J’apprécie le choix des textes liturgiques utilisés lors des cultes et, tout autant et peut-être plus, la manière dont ils sont introduits. Pendant toutes les années où j’ai exercé le ministère pastoral, présidant beaucoup de cultes et préparant la liturgie, je me suis toujours méfié des développements apportés aux introductions aux différents moments liturgiques. N’ayant guère confiance en mes capacités d’improvisation, je me suis généralement contenté d’utiliser uniquement les introductions prévues dans la liturgie adoptée par le synode national et, lorsque j’entendais un collègue se lancer dans des explications avant tel ou tel moment de la liturgie, j’étais rarement convaincu.

Ce que j’entends à l’Oratoire m’a fait changer d’avis. Ces introductions restent brèves et permettent, il me semble, de mieux entrer dans le texte qu’elles précèdent. Donc, merci.

En vivant l’Eglise protestante unie, j’espère que nous apprendrons de nos frères luthériens à ne pas négliger la tradition liturgique. Dans la liturgie de la sainte cène, après la préface (qui n’est pas ce qui vient au début, mais ce qui est proclamé face à Dieu, à sa louange), j’aimerais bien que l’on revienne à ce qui était clairement indiqué dans les liturgies de 1946, 1955 et 1963. Après l’appel à la louange : « C’est pourquoi, […] avec l’Eglise tout entière, en une commune allégresse, nous chantons ta gloire, te célébrant et disant : "Saint, saint, saint, est le Seigneur !" ». La liturgie indiquait ensuite le n° 531 ou le n° 530 du recueil Louange et Prière.

On a perdu cela de vue, il y a eu pléthore de recueils de chants et l’on chante, après la préface, des cantiques qui pourraient trouver place ailleurs, tel le L&P 205, puisqu’il s’agit clairement d’une exhortation que le fidèle s’adresse à lui-même et non d’une louange à Dieu.

Claude Peuron

Avant de demander le baptême, j'ai beaucoup discuté avec plusieurs pasteurs, afin de m'assurer qu'il y avait bien une adéquation entre ce que j'attendais et ce que l'Eglise proposait. Le baptême était pour moi, bien plus que le moment de l'entrée dans une communauté, le signe visible d'une grâce invisible mais que je ressens et sur laquelle je n'ai pas de doute. Je voulais qu'un moment particulier puisse me permettre de me souvenir, pour toujours, de l'évidence qui me faisait demander le baptême: qu'une parole m'était adressée, à moi en particulier, et qu'elle m'animait.

Pour l'instant, je ne participe pas à la Cène. Ne participer à un acte communautaire que s'il fait sens pour ma foi est une manière de prendre ma foi et celle des autres au sérieux. Un sacrement ne prend son sens à mes yeux que s'il constitue une réponse extérieure à un questionnement intérieur déjà existant, s'il me permet d'exprimer, d'une manière religieuse, un aspect de ma foi, quelque chose qui me préoccupe. Or, pour le moment, la Cène ne résonne avec rien en moi.

Abigaïl Bassac

Trois personnes répondent brièvement sur la participation aux sacrements

Communion

Je ne communie pas. Par manque d'habitude d'abord (je suis issue d'une famille athée, et convertie à l'âge adulte, les rituels, démonstrations publiques, me sont peu familiers). Également parce que je ne ressens pas le besoin du geste; lorsque j'assiste à la communion, je me sens associée en pensée et en coeur, assise sur mon banc, autant que si je participais "physiquement".

J'apprécie grandement la liberté donnée à chacun de participer ou non. La communion ritualisée me semble trop commémorative. Je préfère la vivre de façon "performative" : partager un repas avec d'autres, amis ou non, membres ou non d'une Eglise.

Je participe avec joie à ce rassemblement fraternel.

Baptême

Je ne suis pas baptisée (conversion à l'âge adulte). Suis-je tentée? Peut-être plus tard, lorsque j'aurai des enfants qui seront baptisés. Pour le moment, ma foi est connue de moi, je la vis, elle est connue de Dieu (je n'en doute pas!). Que Dieu et moi soyons au courant me semble suffisant, je n'ai donc pas ressenti le besoin d'une cérémonie publique. Et j'ai été tellement bien accueillie dans la communauté des croyants, très spontanément, que je n'ai pas ressenti le besoin de ce rite de passage.

A mes yeux, la grâce donnée à chacun relativise la portée rituelle du baptême. Ce faisant, je trouve qu'il est un "signe" important, manifestant l'acceptation et la reconnaissance de ce don à chacun par l'individu. Je ne vois donc pas la nécessité de rendre ce geste public - si ce n'est pour (r)assurer l'é(E)glise.

J’ose avouer que j’ai complètement oublié ce moment…

Baptisé quelque temps après ma naissance, ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai compris ce que voulait dire faire partie du peuple des rachetés.

Profession de foi

La profession de foi "signale" une profonde redéfinition existentielle. C'est un très beau témoignage, mais comme le baptême, il n'a pas à être nécessairement rendu public. Cela dit, ce geste a du sens car il marque l'intégration au sein d'une "communauté" d'esprit, de partage et de personnes, autant d'éléments qui sont pour moi importants au quotidien.

Tant d’excellents souvenirs de sa préparation, échanges, dialogues, amitiés : la découverte d’une certaine liberté de la foi.

Je n’ai pas fait de profession de foi, mais je crois en un seul Seigneur et Dieu. Jésus Christ, Roi des rois et Seigneur des seigneurs.

Réagissez sur le blog de l'Oratoire .

 

 

couverture du bulletin n°796

« Je marcherai au milieu de vous,
je serai votre Dieu
et vous serez mon peuple »
Lévitique 26:12